Opinions - 31.03.2013

Tunisie: Le doute est permis

Le doute permet d’avancer, de se remettre en question et de trouver le chemin de la vérité, une vérité qui permette de se hisser au niveau d’exigence du moment. Le doute permet de se poser la question de l’utilité de son action, il s’agit là du doute philosophique, celui qui parfois peut conduire à remettre en question la voie prêchée par un « guide infaillible», fût-il religieux ou politique. En politique, souvent, il vaut mieux faire confiance à celui qui est en quête de vérité qu’à celui qui prétend la détenir et l’imposer aux autres.

Le doute est une vertu intellectuelle qui doit être assumée. En politique, le doute, au contraire de l’opinion, permet de conserver une forme d’authenticité, et de se départir des modèles conformistes, pour aller chercher des solutions en dehors de celles communément admises. En religion, le doute permet de s’affranchir de la théologie dogmatique qui mène à l’obscurantisme pour peu qu’elle nie le savoir scientifique.

Le doute en religion est souvent décrié, car le principe même de la foi est de croire, croire sans jamais se laisser corrompre par le doute. En religion, le doute est l’œuvre du malin.

Si le doute au sens du scepticisme est une vertu, le doute au sens de l’incertitude est une malédiction. Et aujourd’hui, la Tunisie est plongée dans l’incertitude, elle doute d’elle-même, elle doute de ses femmes, elle doute de ses hommes, elle doute de ses propres enfants.

Elle doute plus sûrement de son avenir, car l’avenir ce ne sont pas de simples possibilités envisageables mais de réelles perspectives qu’un pays doit offrir à ses citoyens.

Elle doute de ses femmes, celles qui n’hésitent pas à prétendre revenir sur des acquis millénaires et acceptent d’elles-mêmes de réduire le genre à un rôle d’éducation et de transmission, celui qui sert à façonner une société «authentiquement» musulmane.

La Tunisie doute de ses hommes, ont-ils relevé un jour la tête face au népotisme pour la replonger aussitôt dans la médiocrité. La médiocrité des débats, celles des idées, des horizons.

La médiocratie est-elle une alternative acceptable à la dictature, une voie vers la démocratie ? A y regarder de plus près, il y a une forme de filiation entre la dictature népotique et la médiocratie, et il n’est pas surprenant que l’une enfante l’autre. A ceci près que la dictature essaye, parfois, de sauvegarder des apparences, dont les médiocres n’ont que faire.

La Tunisie doute de ses enfants, ceux dont la seule ambition serait d’attendre et d’espérer la providence, comme ceux dont la seule perspective serait le djihad en Syrie et ailleurs. A croire qu’il faut plus de courage pour s’engager contre la misère chez soi, que de faire la guerre chez les autres, au nom d’idéaux sacralisés au-delà de la raison.

Ses enfants doutent de son histoire, soumise aux tentatives des négationnistes. La Tunisie bafouille son histoire et son hymne national dont les vers sont devenus sujet de polémique, pour ceux qui interprètent le blasphème dans chaque mot et qui, au motif de protéger la religion, voudraient renvoyer le pays dans les ténèbres et son peuple à ses chaînes. L’image même du tonnerre et des éclairs rendus à la gloire de la Tunisie hérisse la barbe des plus fondamentalistes.

La Tunisie doute de sa capacité à concrétiser l’espoir démocratique, faisant de la dictature une fatalité en terre d’Islam. Opposant religion et modernité, la Tunisie se perd en chemin, au travers de questions que ne se sont pas posées Mohamed Ali en Egypte ottomane ni Kheireddine en Tunisie.

Comment la révolution a-t-elle pu dériver aussi loin de ses objectifs premiers, de ses racines sociales et humanistes ? Les premiers mouvements et leurs premières revendications étaient mus par des idéaux, des concepts. Plus on avance dans la volonté et la nécessité de concrétiser ces concepts en actions effectives et tangibles, plus on se retrouve confrontés à l’interprétation. Il en va de la révolution tunisienne comme de la religion.

Livrés à l’interprétation, passés au prisme des vérités conceptuelles de chacun, de ces idéaux naissent autant de théories dissemblables, incompatibles, qui nous conduisent à l’affrontement.

Le doute est une forme de neutralité intellectuelle, d’ouverture d’esprit qui devrait permettre à la communauté de se hisser au niveau d’exigence de la période que nous traversons, sans que l’on soit réduit à réfuter les voies de concordance entre la raison et la foi.

L’homme n’est pas raison, et l’homme n’est pas foi, il est l’un et l’autre par intermittence, par vagues successives qui se submergent l’une l’autre, et pourtant seule la foi permet de garder la raison, et la raison, la foi.

La Tunisie s’est perdue sur le chemin du doute ordinaire. Des années de dictature ont déstructuré la société, brouillé ses valeurs et fait du citoyen une poussière d’individu déconnecté du sens communautaire, de ses principes et de ses vertus. Ce citoyen, ou plutôt ce qu’il en reste, est aujourd’hui confronté à des opinions monolithiques et rigides, qui ne laissent aucune place à l’inventivité, alors qu’il faudrait se rassembler autour d’un nouveau modèle, qui reste justement à inventer, dans lequel chacun trouvera place, son chemin.

Seul le doute philosophique permettra de sortir du doute ordinaire. Le doute qui fera que chacun sera en mesure de se débarrasser de ses haillons de vérité pour revenir aux vertus fondatrices de la société et se draper des valeurs structurantes de la communauté.

Condamner la corruption des esprits par la matière, opter pour redonner une valeur aux choses qui n’ont pas de prix, plutôt que de donner un prix aux choses sans valeur. Reconstruisons l’esprit citoyen avant d’asséner aux esprits corrompus les principes de grands dogmes qui les dépassent.

Le pays a besoin d’être reconstruit, rénové du sol au plafond, une œuvre dont le peuple, confronté à ses propres limites, ne s’est pas montré digne encore. Faire fuir le dictateur est une chose mais combattre ses propres démons en est une autre.

Aux hommes et femmes politiques de ce pays d’ouvrir le chemin du doute, de le parcourir ensemble, d’accepter chacun de n’avoir qu’une infime part de vérité, de lumière qui éclaire la voie. Le doute est le chemin vers la tolérance, et «La tolérance est la clé de voûte des droits de l’homme, du pluralisme, de la démocratie et de l’Etat de droit »(*).

La Tunisie doute de ses hommes, et pourtant seuls ces hommes pourraient, un jour, lever le doute…A ce jour, le doute est permis.

Walid Bel Hadj Amor

(*) Déclaration de principe sur la tolérance de l’UNESCO


 

Tags : Tunisie  
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3 Commentaires
Les Commentaires
STACKE Edouard - 01-04-2013 10:39

Merci de votre invitation au discernement. Manes Sperber, dans "la Psychologie du pouvoir", a déclaré : tout chef qui prétend détenir la vérité est un tyran en puissance. Merci encore de vos encouragements à la tolérance et à la réflexion en profondeur. Edouard Stacke

melli - 01-04-2013 16:32

les tunisiens n ont par contre aucun doute que nahdha est en train de couler le pays et qu ils doivent partir

melli - 01-04-2013 16:33

les tunisiens n ont par contre aucun doute que nahdha est en train de couler le pays et qu ils doivent partir

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