Universités tunisiennes, le présent et l'avenir
Le dernier classement des universités dans le monde, publié par 4icu.org, suscitera sûrement parmi les universitaires tunisiens un sursaut de consternation : pour l’Afrique, la première université tunisienne classée (celle de La Manouba) figure au 70e rang parmi les 100 premières, après celle de Mogadiscio.
On se dira peut-être avec un certain soulagement que ce classement, contrairement à ceux qu’effectue l’Université de Shanghai ou Times Higher Education, ne se base pas sur les résultats académiques des universités mais sur leur notoriété dans le monde, ce qui est beaucoup moins sérieux et revient à pénaliser les universités qui gèrent mal leur image.
Mais nos universités peinent-elles seulement à être visibles au regard international, ou bien ces classemements reflètent-ils le niveau académique de nos chercheurs?
Du point de vue de la visibilité, des réformes techniques simples pourraient en effet améliorer immédiatement notre image. Conformément aux usages dans le monde,
- Chaque chercheur publiant ses résultats devrait obligatoirement indiquer, avec son nom et le titre de sa publication, le nom de l’université à laquelle il appartient et ses coordonnées (site web de l’université, nom complet de l’université, adresse géographique, etc.). Actuellement, par manque fréquent de ces données, les universités tunisiennes sont peu visibles sur scholar.google.com qui contient toutes les publications des revues référencées.
- Les adresses des sites académiques tunisiens devraient se conformer aux standards internationaux : nom-de-l-université.edu comme aux Etats-Unis d’Amérique, ou bien nom-de-l-université.ac suivi du symbole du pays comme pour la plupart des autres pays dans le monde. Actuellement, nos sites sont nommés abréviation-obscure.rnu.tn (par exemple www.uc.rnu.tn pour l’Université de Sousse !) ce qui ne permet à aucun chercheur étranger de les repérer.
- Tout site académique devrait obligatoirement se doubler d’une version en anglais, condition sine qua non à la visibilité internationale puisque l’anglais est la seule langue universelle de communication entre les universitaires et les chercheurs.
- Chaque site académique devrait comporter une page personnelle par enseignant-chercheur, mentionnant son adresse e-mail, ses intérêt de recherche, les matières qu’il enseigne, la liste complète des ses publications et fournissant, de préférence, une version en ligne de ses cours.
En ce qui concerne le niveau académique de nos travaux en Tunisie, nous pourrions sûrement aussi faire mieux puisque les classements de Shanghai et du Times eux-mêmes ne font figurer dans les 500 premières dans le monde que trois universités arabes ! Dont aucune tunisienne. Des décisions d’orientation des recherches dans notre pays peuvent être prises, des réformes de fond peuvent être mises en route, dont on verra les résultats sur le moyen et le long terme.
- Nos chercheurs devraient donner plus d’importance au fait que leurs travaux débouchent sur beaucoup plus que l’obtention de leur diplôme de doctorat.
- Ils devraient travailler à l’établissement de plans de recherche, par institut et pour le pays entier, qu’ils devraient présenter aux décideurs académiques et politiques de notre pays avec des pistes de réflexion. Actuellement, ni le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, ni les universités tunisiennes, n’ont en général de politiques propres. Ils s’en remettent à ce qui se décide ailleurs, en France notamment, dans des réunions auxquelles ils ne sont pas conviés. De vastes programmes sont ainsi mis sur pied, dont ils ignorent tout (militaires par exemple) et dont ils sont la main d’œuvre partielle dans le cadre de la coopération bilatérale. Ces programmes ne conviennent pas nécessairement à nos besoins et possibilités, limitent le champ de nos recherches et entravent à la fois le niveau de nos universités et le développement de notre pays.
- Les plans tunisiens de développement de la recherche universitaire devraient se faire avec la participation d’acteurs économiques nationaux ou étrangers, publics ou privés, qui pourraient envisager des applications économiques (commerciales, industrielles, d’équipement) et participer au financement des recherches.
- Un meilleur financement devrait permettre d’acquérir des outillages techniques de niveau international pour les manipulations expérimentales scientifiques, d’enrichir les bibliothèques de recherche actuellement sinistrées, et en général, d’améliorer les outils de travail des étudiants et des chercheurs.
- Nos enseignants chercheurs et nos étudiants devraient tous avoir une certaine connaissance de la langue anglaise, sans laquelle il leur est impossible de consulter les documents publiés au niveau mondial et de communiquer leurs propres travaux. La seule maîtrise de la langue française restreint à la fois la diffusion et le niveau des travaux, comme le savent bien les chercheurs français qui, eux publient toujours en anglais.
- La coopération de nos universités devrait s’ouvrir largement sur les universités dans le monde (échange d’étudiants, échange d’enseignants, postes de post-doc, programmes communs de recherche, échange d’expériences, ...) et dépasser l’horizon actuellement presque exclusivement limité à la France.
Ces vastes perspectives, enthousiasmantes pour nos jeunes, leur donneraient une bouffée d’oxygène qui les pousserait à amplifier leurs efforts et démultiplierait les effets de leur intelligence.
Toutes ces propositions sont réalistes et faciles à mettre en œuvre, pour peu que les universitaires, les chercheurs et les responsables administratifs et politiques de notre pays s’y impliquent. Nous qui avons réussi l’une des plus belles révolutions de l’histoire de l’humanité, qui venons de propulser notre pays dans le peloton de tête des pays démocratiques dans le monde, sommes capables de rejoindre le peloton de tête pour la qualité de nos universités.
Ahmed Bouazzi
universitaire
- Ecrire un commentaire
- Commenter
D'accord avec tout ce que dit M. Bouazizi, particulièrement l'identification de nos universités sur les publications de nos étudiants et sur les axes et les programmes de recherches publiques privés, c'est aussi un point important. Par contre cette dernière remarque me dérange et me choque. Elle manque de clairvoyance et frise la plaisanterie. Dire que "Nous qui avons réussi l’une des plus belles révolutions de l’histoire de l’humanité, qui venons de propulser notre pays dans le peloton de tête des pays démocratiques dans le monde" est une contre vérité, à croire qu'il ne connait pas le sens exact de la démocratie. C'est certain, l'époque Ben Ali est révolue. Mais nous avons pas gagné grand chose au change. Je ne donnerais qu'un seul exemple, mais au combien révélateur. Jugé à 3 reprises et relaxé 2 fois par la cours de cassation, Sami Féhri, entraînant dans son sillage 5 hauts fonctionnaires, PDG de la télévision, reste derrière les barreaux, accusés tous sans preuve et retenus tous depuis de long mois pour n'avoir fait que leur travail. Si cela c'est de la démocratie, appelez moi Président.
oui cher Ahmed, on devrait etc etc... mais il faudrait pour cela que le ministère ait de l'initiative et de la créativité, et que NOS COLLÈGUES quittent le mur des lamentations pour engager une vraie Réforme universitaire innovante et performante...
C'est déjà un miracle que notre université soit la ou elle est et on doit cela essentiellement à l'esprit Bourguibien fondateur. Depuis le fameux 7 nov 1987, l'université a été outillée pour le pouvoir avec de plus en plus de structures et diplômes fictifs - elle a été essentiellement un "long couloir d'attente" pour la vraie vie; les universitaires n'ont cessés d'êtres clochardisés avec des salaires minables que gagne un plombier ou un maçon à titre d'exemple en moins d'une semaine!!!! Si on veut maintenant sauver l'université tunisienne il faut très rapidement commencer par: 1- Créer un Bac pro pour réduire le nombre de nouveaux étudiants d'au moins 30% et 50% en 3 ans, l'université doit être réservée à une réelle élite, 2- Fermer très vite toutes les structures dont les diplômées sont en chômage au delà de la centaine en commençant par les instituts de biotechnologies qui sont de véritables fabrique de chômeurs, 3- Encourager la qualité par la responsabilisation effective et l'évaluation objective des responsables et chefs de structures dont il faut dans un 1er temps au moins doubler le salaire. 4- Arrêter le simulacre et le superflus pour redonner leur valeur au diplômes universitaires. 5- Nettoyer du superflus les grilles d'évaluation en particulier hospitalouniversitaires qui sont devenus un véritable désastre conférant des titres quasi caduques basés sur la plus grande tromperie hospitalouniversitaire que sont les désignés par comités pédagogiques qui délivrent des attestations totalement sans valeur. 6- Établir une politique de recherche scientifique par appels d'offre selon les priorités réelles du pays et ne pas hésiter à arrêter toutes les structures dont l'activité de recherche n'apporte rien de concret au pays. Responsabiliser, évaluer et rémunérer à leur juste valeur les universitaires et l'université tunisienne brillera de nouveau et participera de manière déterminante à sortir notre pays du sous développement.
tout n'est pas noir, nous pouvons être fier d'avoir l'université de Manouba connue par le monde entier puisque son doyen est attaquée par des tètes bien hijabées et niquabées.