Economie tunisienne ! Cave ne cadas*
Les différentes analyses nationales et internationales portant sur l’économie tunisienne montrent que la situation n’est pas au beau fixe. La révision des perspectives de croissance, que ce soit par la BAD, le FMI ou par le gouvernement lui-même ainsi que le dernier abaissement de la note souveraine de la Tunisie par Moody’s penchent dans ce sens et poussent à croire que les choses vont plutôt mal.
Rappelons que dans son dernier rapport « Perspectives économiques pour l’Afrique », la BAD (en collaboration avec le Centre de développement de l’OCDE, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, le Programme des Nations Unies pour le développement ainsi qu’un réseau de think tanks et de centres de recherche africains) prévoit une croissance de l’ordre de 3.4% en 2013 dans notre pays alors que dans des pays voisins comme la Libye et le Maroc, les prévisions s’élèvent respectivement à 15% et 4.6%.
Dans la même lignée, le FMI considère que le potentiel de croissance de l’économie tunisienne ne dépassera pas les 4.5% dans les années qui viennent (du moins jusqu’au fin 2014) alors que la croissance moyenne des économies maghrébines dépassera les 5% (6.1% en 2013 et 5.1% en 2014).
En plus de l’absence d’une vision politique claire ainsi que de l’insuffisance de la stabilité et de la sécurité -longtemps recommandées-, plusieurs analystes admettent que la faiblesse de la croissance en Tunisie est intimement liée à des problèmes économiques structurels.
Plus clairement, on considère souvent que le modèle de développement actuel est arrivé au bout de son souffle et il faut, nolens volens, le repenser afin d’atteindre des taux de croissance élevés permettant de résoudre les problèmes de chômage, de disparités régionales et de pauvreté.
Comment donc éviter la chute de l’économie tunisienne et assurer son passage au rang des pays à revenu élevé ?
Notons de prime abord que dans une petite économie ouverte essentiellement dominée par les services marchands et l’agriculture -telle que la Tunisie-, les aléas naturels et les chocs internes et externes piétinent la croissance.
D’ailleurs, les performances enregistrées en 2012 (par rapport à 2011) dans le pays étaient principalement le résultat d’une saison agricole favorable et des entrées de touristes non négligeables. En revanche, le modeste démarrage de l’année 2013 (croissance estimée à 2.7% au premier trimestre) est en gros attribué à une demande extérieure en baisse et des investissements directs étrangers en bernes.
Il va sans dire qu’une restructuration de l’appareil productif du pays est indispensable. Plus particulièrement, et en plus d’une modernisation du secteur agricole et d’une mise à niveau du secteur touristique, la Tunisie doit baser sa croissance et son développement sur d’autres créneaux porteurs, créateurs de valeur ajoutée.
Le changement du modèle de développement tunisien pourra prendre plusieurs dimensions :
- Une dimension sectorielle : il s’agit d’un ciblage des activités à fort potentiel de croissance telles que les industries de transformation. On peut par exemple imaginer une expansion notable des industries chimiques dans la région du bassin minier, des agro-industries dans le nord-ouest et des industries de raffinage dans les zones côtières.
L’exemple de « l’éléphant » asiatique, l’Inde, où l’expansion visible des activités sidérurgiques au centre-est et l’essor remarquable des industries agroalimentaires au nord, est éloquent.
- Une dimension régionale : il s’agit de mettre à niveau les régions défavorisées et de limiter la fracture territoriale constatée. Ceci passe inévitablement par la mise en place d’une infrastructure moderne, d’un effort d’éducation et de formation satisfaisant, d’une politique de revenu bien ciblée ainsi qu’une bonne planification de l’urbanisation.
L’exemple du « tigre » latino-américain, le Brésil, où l’intervention publique était très présente pour combler le déséquilibre existant entre le Nordeste et le reste du pays, est illustratif.
- Une dimension commerciale : il s’agit d’un ciblage des marchés à forte demande. En effet, continuer à parier sur l’Europe (dont les prévisions de croissance ne dépasseront pas les 1.1% d’ici 2014 selon l’OCDE) est une absurdité. On peut ainsi imaginer une réorientation commerciale vers les marchés maghrébins et africains, bénéficiant des avantages compétitifs de l’économie nationale.
L’exemple du « dragon » asiatique, la Chine, où le maintien d’un rythme de croissance soutenable tout au long des trois dernières décennies à travers une expansion des activités d’exportations et une présence quasi-continue sur plusieurs marchés émergents, est révélateur.
Quoi qu’il en soit, pour la Tunisie, un passage vers un nouveau modèle de développement ne peut réussir que lorsque sont réunies au moins trois facteurs :
- Des facteurs politiques où les solutions « consensuelles » priment sur les tiraillements idéologiques et le fantasme des politiques politiciennes.
- Des facteurs économiques où les problèmes liés au climat des affaires, à la flexibilité du marché du travail, à l’accès au financement, à la solidité du secteur bancaire etc, seront sérieusement analysés et traités.
- Des facteurs sociétaux où la voie de la raison et l’esprit de l’entraide devancent la logique du « chacun pour soi», où le travail syndical ne se déploie pas dans les frictions politisées et où enfin la société civile s’avère véritablement présente dans le processus décisionnel.
* Locution latine qui signifie "Prends garde à la chute"
Aram Belhadj
Doctorant, LEO, France
Enseignant universitaire, ISAEG, Tunisie
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Qu'est ce que vous attendez Messieurs pour changer de politique, notre pays ne se développera jamais, sans deux conditions primordiales à savoir la paix sociale, et la sécurité, en faisant disparaître une fois pour toute les terroristes soit par extermination, ou par incarcération, pour retrouver la santé de notre pays, il faut extirper le mal qui ronge notre pays depuis 2 ans.
Merci Monsieur Mokhtar ELKHLIFI, je vous supplie d'oeuvrer dans ce sens, avec des hommes de bonne volonté, pour sauver notre pays.
Le Plan d’Ajustement Structurel : définitions et objectifs La notion d’ajustement structurel, appliquée aux pays sous-développés, est étroitement liée à la spirale infernale de l’endettement international, ainsi qu'à la crise de paiement qui l’a suivie au début des années 1980. Limité, au départ, à certains pays de l’Amérique latine, le phénomène de cessation de paiement s'était généralisé pour toucher plusieurs pays producteurs de pétrole, notamment après le contrechoc pétrolier de 1986. Face à l’ampleur du phénomène d’insolvabilité, les bailleurs de fonds internationaux, notamment le FMI et la Banque Mondiale, avaient décidé d’exiger des pays emprunteurs de s’engager à prendre des mesures économiques et financières radicales, pour parvenir à dégager des excédents financiers et rembourser leur dette extérieure. Ces mesures étaient consignées dans des programmes annuels ou pluriannuels appelés « Plans d’Ajustement Structurel ». Après un début d’application limité, les Plans d’Ajustement Structurel ont pris un essor particulier depuis le début des années 1990. En effet, l’effondrement de l’URSS et la chute du Mur de Berlin ont conféré aux Institutions Financières Internationales le statut de « parrain » de la transition vers le marché. La thérapie de choc, issue du consensus de Washington, fut partout imposée au début des années 1990, comme un « mal nécessaire » pour réussir la transition vers le marché260. La notion d’ajustement structurel peut être appréhendée de plusieurs façons. Elle oscille de la recherche d’équilibre de la balance des paiements à la soumission des économies en difficultés aux lois du marché en passant par la recherche de la gestion rationnelle des ressources monétaires et financières publiques. Malgré leurs légères divergences, ces définitions se complètent et convergent sur au moins deux faits : Premièrement, le Plan d’ajustement structurel est un programme dicté de l’extérieur par le FMI à un pays donné pour rétablir ses équilibres économiques globaux. Les pays exposés au P.A.S éprouvent généralement des difficultés pour s’acquitter de leur dette extérieure261. Deuxièmement, au-delà de son rôle de garant du paiement des dettes rééchelonnées, le FMI a pour objectif de généraliser les règles du marché à l’échelle planétaire. Le P.A.S, qualifié généralement de thérapie de choc, est un ensemble de mesures d’ordre monétaire, budgétaire, fiscal et commercial. Son objectif est double : le rétablissement des équilibres macro-économiques, dans un premiers temps, celui des mécanismes du marché et de la vérité des prix par le désengagement de l’Etat de la sphère économique, dans un deuxième temps. La stabilisation, la libéralisation et la privatisation sont les maîtres mots qui synthétisent les différentes conditions et critères de performances du FMI. La doctrine du FMI est inspirée des théories économiques néolibérales nées dans le sillage de la crise des pays occidentaux des années 1970 et les difficultés de l’Etat providence à juguler le chômage et l’inflation selon les mécanismes keynésiens. Le fondement principal de ces théories est le rôle assigné à l’Etat dans l’économie. Selon cette doctrine, l’intervention de l’Etat doit être limitée et les équilibres monétaire et budgétaire doivent être dans tout les cas respectés. La privatisation est en outre une des solutions préconisée pour alléger le poids des dépenses publiques et des charges fiscales. Après un début d’application en Angleterre et aux Etats Unis, ce courant de pensée, appelé monétarisme, s'est généralise pour devenir actuellement une pensée dominante au sein de la science économique. Le Plan d’ajustement et le FMI obéissent donc à une logique d’ensemble visant la généralisation de la doctrine libérale à l’ensemble de la planète. En revanche, si les motivations du FMI sont facilement identifiables, celles des pays le sollicitant le sont moins. En effet, l’histoire des plans d’Ajustement Structurel montre des exemples de pays ayant bénéficié de l’aide du FMI en appliquant scrupuleusement ses recommandations, mais qui, une fois la « tempête » de la crise financière passée, reviennent sur toutes les décisions qu’ils avaient prises. L’exemple algérien est à ce propos édifiant. L’Algérie a accepté, pour les raisons évoquées plus haut et sans conditions, le Plan d’ajustement structurel du FMI au milieu des années 1990, mais dès que ses recettes pétrolières augmentèrent, et son engagement avec le FMI expira, elle revint sur plusieurs des décisions qu’elle avait prises auparavant. L’histoire économique ultérieure de l’Algérie le montre amplement262. Notes 260. Cependant, on assiste, depuis les années 2000, à un recul net de cette « doctrine ». Cette situation va être exploitée par plusieurs pays, dont l’Algérie pour remettre en cause les engagements qu’ils avaient pris au moment ou ils étaient en difficulté. 261. Il y a lieu de souligner que la notion d’Ajustement Structurel n’est pas exclusivement propre aux pays endettés et sous développés. L’Ajustement Structurel est appliqué en permanence dans les pays capitalistes pour rééquilibrer leur balance de paiement. Mais cette notion, transposée mécaniquement aux pays du tiers monde, prend une toute autre signification. Eu égard des conditions historiques dans lesquelles évoluent ces pays, le rétablissement de l’équilibre de la balance des paiements au moyen de restrictions monétaires et budgétairen’implique pas uniquement une austérité limitée et le sacrifice de certains aspects de la politique sociale, c’est tout le sens de la notion de l’Etat, des frontières entre le public et le privé, en bref, ce sont l’ensemble des rapports de force, du pouvoir et d’autorité au sein de l’Etat et entre ce dernier et la société civile qui se trouvent bouleversés, d’où les difficultés du P-A-S. En fait, les catégories d’analyses qu’utilisent les concepteurs du P-A-S perdent leur pertinence analytique devant les réalités marchandes évoluant dans des aires historiques différentes de ceux qui ont fait naitre le système de marché. 262. A contrario, quand l’Ajustement Structurel est appliqué dans des conditions politiques favorables il peut donner des résultats probants. Sur cet aspect voir, C. Chavagneux, Ghana une révolution de bon sens, économie politique d’un ajustement structurel, Karthala, 1997.