L'échec de l'islam politique était-il prévisible?
Les faits sont têtus et il faut les garder à l’esprit: l’élection présidentielle en Egypte des 17 et 18 juin 2012 a enregistré une abstention record de 65% des inscrits. Deux millions de citoyens égyptiens sous les drapeaux n’avaient pas le droit de voter. M. Mohamed Morsi a obtenu 12 millions de suffrages sur un total de 70 millions d’Egyptiens en âge de voter (militaires inclus), soit 17% des citoyens adultes. Si un quorum avait été exigé par le code électoral, M. Morsi n’aurait jamais été élu !
M. Morsi était donc mal parti. De président, il se révèlera une simple courroie de transmission pour les décisions du Guide et se comportera en homme d’une secte et non en dirigeant de tous les Egyptiens. Il y a là des similitudes avec la situation en Tunisie, diront certains, louchant vers Montplaisir. Economie en charpie, sectarisme et incompétence seront la marque de fabrique du bref passage de M. Morsi à la tête de l’Etat égyptien de sorte qu’il arrivera à faire oublier aux Egyptiens leur aversion pour les militaires au pouvoir. Les jeunes d’Ettamaroud, comme frappés d’amnésie collective, oublieront la femme au soutien-gorge bleu outrageusement traînée par les soldats place Tahrir et les scandaleux tests de virginité qu’ont fait subir les militaires aux jeunes manifestantes. Comme si leur cri de ralliement était soudain devenu : «Tout sauf Morsi !». Cerise sur le gâteau — si l’on peut dire — M. Morsi va s’attribuer des pouvoirs extraordinaires par le décret constitutionnel de décembre 2012 et voilà l’Egypte dirigée par un omnipotent pharaon des temps modernes !
Pour l’écrivain américain Shamus Cooke, le bref passage au pouvoir en Egypte des Frères musulmans a fait «un bien immense» car «il a permis de montrer la réalité vraie de leur idéologie politique et économique: une politique capitaliste pro-occidentale servant le FMI dominé par les grandes banques, au moment même où les Frères empêchent toutes mesures réelles de traiter la plaie du chômage en Egypte et les inégalités massives - elles-mêmes issues des politiques néolibérales de privatisation.» et Cooke de demander : « Qu’ont fait les Frères de l’Etat corrompu dont ils ont hérité ? Ils ont essayé de s’adapter, ils ont flirté avec les militaires, choyé les services de sécurité et séduit les Etats-Unis, le soutien premier de la dictature. Ils ont empêché le bras de la justice d’atteindre les criminels de l’ère Moubarak. La politique étrangère des Frères a été la même que celle de Moubarak : ils ont favorisé Israël aux dépens des Palestiniens… et leur premier répondant financier a été le Qatar, une marionnette dont les ficelles sont tirées par les Etats-Unis.» Du reste, les Etats-Unis et les Occidentaux n’ont-ils pas été toujours derrière l’Islam politique pour installer et soutenir des monarchies obscurantistes en vue de se gaver à bon prix de pétrole ? Les Frères n’ont-ils pas toujours exploité l’Islam, durant la Guerre froide, pour combattre les gouvernements socialistes panarabes ? (Voir les excellents ouvrages de l’agent de la CIA Robert Baer Or noir et Maison Blanche. Comment Washington a vendu notre âme pour le pétrole saoudien (J.C Lattès éditeur, Paris, 2003) et La chute de la CIA : les mémoires d’un guerrier de l’ombre sur les fronts de l’islamisme (J.C. Lattès éditeur, Paris, 2002) Pour la revue The Economist (13 juillet 2013, p.7), en votant pour les partis se réclamant de l’Islam, les électeurs— en Egypte, en Tunisie, en Libye et au Yémen — «tenaient plus à avoir des gouvernements propres qu’à se rapprocher de Dieu.»
Pour de nombreux observateurs, les Frères suivaient la voie tracée voilà trois décennies par la Révolution iranienne. Pour eux, la démocratie est tout simplement un moyen pour légitimer une nouvelle forme d’autoritarisme: «Un homme, un vote, une fois.» Les fameux enregistrements attribués à M. Ghannouchi ou les récentes éructations de MM. Atig et Zeitoun tendent à confirmer, chez nous aussi, cette fâcheuse impression. Plus inquiétant que la polarisation politique ou les visées islamistes, The Economist cible le désordre des transitions politiques qui n’en finissent pas dans le monde arabe et qui n’ont rien fait pour atténuer les problèmes sociaux ; problèmes qui ont allumé, en tout premier lieu, la mèche des révolutions. «Nulle part jusqu’ici, ni le droit de vote ni une plus grande liberté de parole n’ont conduit à de meilleurs gouvernements, à plus d’emplois ou à des perspectives plus brillantes à court terme », affirme The Economist qui prédit sombrement: «Aucun pays arabe n’a émergé comme modèle à suivre pour les autres. Le désespoir semble prendre le pas sur l’espoir. Des pays comme la Tunisie et l’Egypte pourraient demeurer dans l’agitation et la turbulence pour les années à venir, quel que soit le gouvernement.» Mais comme le montre le bel ouvrage de Gamal Ghittani Le Livre des illuminations, le temps, quels que soient ses mauvais coups, ne saurait avoir raison des valeurs et des idéaux égyptiens et arabes d’autant que les peuples arabes sont l’objet de manœuvres, affirme Shamus Cooke: «En fin de compte, les Frères musulmans et les organisations politiques similaires ne sont pas l’expression des attitudes religieuses des peuples du Moyen-Orient, il s’agit plutôt de créations politiques non naturelles qui servent un agenda géopolitique spécifique et tout spécialement celui des Etats-Unis, d’Israël et de l’Arabie Saoudite.»
L’islam n’a pas été révélé pour voiler les femmes
Sous ce titre, le célèbre écrivain égyptien Alaa al-Aswani a signé, en novembre 2008, un article repris par Courrier International (n° 944, 4-12 décembre 2008, p. 31). Infatigable militant pour la démocratie, tout comme beaucoup d’Egyptiens, il s’élève déjà contre les tartufferies religieuses des Frères et l’exploitation intéressée de la religion par Moubarak alors que la torture est pratiquée quotidiennement par des policiers qui saluent à la manière musulmane, font les cinq prières, jeûnent et font le pèlerinage (Voir les deux tomes de ses articles en langue arabe publiés par Dar Echourouk au Caire en 2010). Il condamne les aspects visibles de la religiosité comme la «zebiba» de M. Morsi et écrit : «Cette prétendue religion est confortable parce qu’elle ne demande pas d’effort, ne coûte pas cher, se limite à des slogans et des apparences… Les vrais principes de l’islam en revanche - justice, liberté et égalité - vous font courir le risque de perdre votre salaire, votre situation sociale et votre liberté… L’islam dans toute sa grandeur avait poussé les musulmans à faire connaître au monde l’humanité, la civilisation, l’art et la science. Mais la tartufferie nous a menés à toute cette ignominie et à cette misère dans laquelle nous vivons.» Au passage, ce chirurgien-dentiste fustige les médecins qui, à l’hôpital, abandonnent les malades à leur sort pour faire la prière au moment de la rupture du jeûne. Pratique hélas courante ailleurs que sur les bords du Fleuve Eternel chanté par Mohamed Abdelwahab ! Opposé à l’utilisation de la religion en politique, il donne l’exemple de l’Arabie Saoudite où les émules d’Al Qaradawi envahissent les télévisions pour traiter ad nauseam de questions religieuses mais «jamais du droit des citoyens à élire leurs gouvernants, ni des lois d’exception, ni de la torture et des arrestations arbitraires. Leur pensée ne s’attarde jamais aux questions de justice et de liberté.» Si donc le 30 juin 2013, les Egyptiens se sont soulevés contre leur président, c’est qu’ils partagent le refus catégorique de ces hypocrisies si bien exprimées par Al Aswany. C’est ainsi qu’à Tagamu Khamis, les voisins de Mohamed Morsi se félicitent de sa destitution car, avoue l’un d’entre eux qui n’a pas voté en sa faveur: «Je ne voulais pas que ce type, qui gouverne au nom de la religion, transforme l’Egypte en Afghanistan.» ( Le Monde, 16 juillet 2013, p. 3). Quant à Ibrahim Thabit, libraire de 52 ans au Caire, il déclare au New York Times (12 juillet 2013) : «Nous voulons manger, boire et vivre en paix. C’est cela qui est important pour les gens.» La religion n’a aucune place dans cet aveu ! Le modeste libraire Thabet rejoint ainsi le Prix Nobel de la paix Mohamed El-Baradei qui affirme dans Foreign Policy (Courrier International n° 1183, 4-10 juillet 2013, p. 21) : «La charia ne nourrit pas son peuple.» et note «la déliquescence et la désintégration de l’Etat de droit» avec Morsi puisqu’ en 2012, selon le ministère de l’Intérieur, «les meurtres ont augmenté de 130%, les vols de 350% et les enlèvements de 145%.»
Coup d’Etat ?
Sur l’Avenue Bourguiba, le 14 juillet dernier, un calicot de la section d’Ennahdha à Sidi Bouzid clamait : «La défense de la légitimité est un devoir religieux», au moment même où le député Sahbi Atig promettait de faire couler le sang de quiconque s’en prendrait à la légalité. Pour ces gens, M. Morsi est victime d’un coup d’Etat. On soulignera que le chancelier Adolf Hitler est aussi arrivé au pouvoir au moyen d’élections ainsi que le colonel du KGB (espion) Vladimir Poutine. Le Général de Gaulle n’a pas instauré la dictature quand il a renversé le régime de Vichy et traduit en justice le maréchal Philippe Pétain, collaborateur des occupants allemands de son pays. Les coups d’Etat installent généralement des dictatures comme on l’a vu en Grèce, au Chili ou en Argentine. Quant au président Obama, écartelé entre le Sénat et le lobby juif, il n’ose qualifier ce qui se passe en Egypte, le plus important pays arabe. Il ne peut décemment lui sucrer 1,5 milliard de dollars d’aide alors qu’il accorde plus de trois milliards de dollars à l’Etat raciste d’Israël qui bafoue toutes les décisions de l’ONU, fort du veto yankee. L’ineffable philosophe sioniste Bernard-Henri Lévy, lors d’une émission matinale sur l’Egypte sur France Inter le 19 juillet 2013, parlait de «coup d’Etat démocratique». Il aurait mieux fait de dire que le 18 juillet 1936 — il y a exactement 77 ans —, le général Francisco Franco renversait le gouvernement légitime de la République espagnole, donnant le signal de la guerre civile en Espagne. Ce conflit vit la naissance du mouvement international en faveur de la justice et de la paix. Des combattants de toutes nationalités affluèrent en Espagne pour combattre l’artisan de ce coup d’Etat. Or, en Egypte, les militaires ne sont pas au pouvoir et nul général n’a pris les rênes de cet Etat vieux de 7 000 ans.
Ceux qui parlent de coup d’Etat veulent dépouiller les jeunes d’Ettamaroud de leur victoire, eux qui ont contraint l’armée à rejoindre le peuple. Ce peuple qui rejette la politique des Frères musulmans et exige que la religion réintègre la mosquée. Aux peuples arabes — détenteurs de la souveraineté — de décider maintenant que le jasmin du Printemps arabe aura raison des rigueurs et des épines de l’hiver islamiste.
M.L.B.
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Aucun pays arabe n'a le niveau intellectuel requis pour comprendre l'islam politique civilisationnel, les arabes perçoivent l'islam dans un sens réducteur qui les réconfortent dans leur choix de paresse physique et intellectuelle ce qui historiquement les a fait sombré dans un très profond sous développement et les a mené à se faire coloniser. Les asiatiques non arabes ont su extraire de l'islam plusieurs valeurs civilisationnelles mais ceux qui tirent les meilleurs valeurs de l'islam sont les américains et les germaniques en particulier au niveau juridique et social. Dans notre pays pratiquement tous ceux qui ont volé et trahi le pays ont juré la main sur le coran et la suite on la connait tous!!
plutot réussite de la phobie gouvernance islamique, et surtout de la déviation des projets d'avenir de nos pays vers l'inconnu sans transition démocratique
Un exellent réquisitoire,bien fouillé,documenté et d'une précision qui donne froid au dos.Ces phrases et ces injonctions, doivent certainement secouer les tunisiens (certains d'enre eux)de leur torpeur, surtout ceux-la même qui dans leur juvénilité maladives risquent de s'approcher des urnes, la main sur le coeur comme lors de la journée du 23/10 ,comme titanisés à la pensée des fous de dieu.