News - 15.10.2013

Le rejet de l'islamisme par les siens par Abdelwahab Meddeb

Les peuples ne supportent plus les islamistes. C’est ce qui s’est exprimé cet été en Egypte et en Tunisie. Et cette détestation confirme toutes les analyses que nous avons faites en un cycle de cinq livres complétés par nombre d’articles. Or, maintenant c’est au tour d’hommes de religion de penser comme nous, de partager nos analyses, sans nous avoir forcément lu, même si notre livre La Maladie de l’islam (qui est l’islamisme) est traduit en arabe et a circulé notamment en Irak.

En effet, mon collègue Mohammed Haddad m’a rapporté, voilà quelques années,  que tel livre a été inscrit dans la bibliographie de la Hawza de Najaf, séminaire de formation des docteurs shi’îtes. Et c’est de ce milieu que provient le grand faqîh, docteur irakien Tâlib ar-Rifâ’î. La Maladie de l’islam a été traduite en arabe sous le titre Awhâm al-Islâm as-Siyâsî (« Les chimères de l’islam politique », paru chez Dâr an-Nahâr à Beyrouth en 2002). Or c’est cette expression qu’utilise Tâlib Rifâ’î dans l’entretien qu’il a accordé en pleine page au quotidien saoudien de Londres a-Sharq al-Awsat daté du 8 octobre 2013. Entretien dans lequel notre docteur, qui a appartenu dans sa jeunesse à la sphère des Frères Musulmans, dénonce l’inanité de l’islamisme. 

Peu importe que ce clerc nous ait lu ou pas. Ce qui compte c’est l’extraordinaire convergence de jugement. Après le réconfort que nous avons eu cet été lorsque nous avons entendu, à maintes reprises, les gens du peuple,  et en Egypte et en Tunisie, partager notre désaveu de l’islamisme, nous voilà tout autant réconforté d’entendre des savants en religion, membres du personnel cultuel, des « prêtres » au sens anthropologique, prononcer des propos que nous aurions pu prononcer nous-mêmes et qui résonnent en toute intensité avec les mots que nous avons écrit.  
 
Ecoutez et je vous laisse juge : « L’islam politique est parvenu au pouvoir en Egypte en un moment qui ne lui est pas opportun… Les Frères Musulmans se sont précipités pour s’emparer du pouvoir, leur salive a dégouliné devant la tentation que tel pouvoir a suscité en eux au point qu’ils ont raté le coche. Une fois parvenus au pouvoir, j’étais désespéré car je savais que l’Egypte et son peuple les rejetteraient. Ils ont été portés par une vague  qui ne reflète pas l’âme de l’Egypte. »
 
Plus loin, Tâlib ar-Rifâ’ï rappelle qu’il a commencé sa carrière en étant militant de l’islam politique. Et cette expérience lui a appris que l’islam politique n’est pas la réponse au défi de l’heure. Dans la foulée, il propose cette analyse que nous ne cessons pas de répéter : « Les Frères Musulmans sont montés sur la vague démocratique alors qu’eux-mêmes ne sont pas démocrates. Aucun parti islamiste n’est démocrate. Moi-même, quand j’étais membre d’un parti islamiste, j’entendais répéter pendant nos réunions : ‘La démocratie est kufr, mécréance.’ Ainsi se noue une contradiction intrinsèque : ceux qui sont parvenus au pouvoir par le jeu démocratique ne croient pas à la démocratie… Plutôt que d’hypocrisie (nifâq), il s’agirait de tactique. Ils utilisent la démocratie pour parvenir à leur fin ultime qui nie la démocratie. »
 
C’est comme si vous entendiez une des voix séculières à travers la voix du faqîh Tâlib ar-Rifâ’î. Il est heureux que cette évidence soit relayée par une autorité religieuse. Cela lui donne un poids supplémentaire pour activer son assimilation par le sens commun citoyen. 
 
Dans le même entretien, Tâlib ar-Rifâ’î confirme le reflux historique qu’a connu l’islam politique après ce qui s’est passé début juillet dernier au Caire. Ecoutez-le : « L’islam politique, après l’expérience qui a commencé en Egypte avec les Frères comme avec leurs émules en Tunisie, et peut-être en Libye et en Irak, je le vois sur le point de s’éteindre. L’alternative est au « libéralisme » (au sens anglo-saxon du terme : c’est-à-dire un système politique centré sur la liberté) ; le peuples désirent la liberté. L’islamisme est désormais détesté partout  où ses adeptes ont exercé le pouvoir. Leurs actes ont ruiné leur idéologie… En raison de leur vision étroite, de leur ignorance, de leur manque d’expertise, les islamistes – malgré eux – déblayent la voie qui conduit au « libéralisme » ; ils font croître le désir de liberté, qui sera éclos, qu’ils le veuillent ou non. Ils ont beau hurler que le « libéralisme » est kufr, le peuple le désire. »
 
Tâlib ar-Rifâ’î rappelle que le fondement du « libéralisme » c’est la citoyenneté ; c’est elle qui facilite le dépassement des clivages ethniques et religieux ; c’est par l’égalité citoyenne qu’on remédie au communautarisme et que se gouverne la diversité qui peuple nos cités.
 
A la fin de cet entretien, Tâlib ar-Rifâ’î évoque le bel héritage que nous a légué la civilisation islamique. Pour le fructifier, pour l’actualiser, il convient de s’adapter à son temps. Nous retrouvons dans sa bouche la thèse que nous développons dans Pari de civilisation (Le Seuil, 2009). Il anéantit ainsi la fixité de la vision islamiste pour adapter l’islam au mouvement de l’histoire dont le propre est le changement. 
 
Ecoutez encore ses paroles : « L’islam transmet un message civilisationnel qui doit s’adapter au temps. Or le temps, à chaque seconde, passe d’un état à un autre. Celui qui ne suit pas les changements et ne tient pas compte des circonstances, la réalité le rattrapera et le pulvérisera. J’appelle à ce que les référents islamiques – dans tous les domaines – ne restent pas tapis dans le coin de la permanence, ni ne se soumettent à l’immuable. »
 
Ces propos me remettent en mémoire la remarque de Tocqueville concernant le catholicisme soumis à une Eglise rétive au changement ; face à cette carence, l’historien disait qu’une religion qui ne s’adapte pas au changement des mœurs est destinée à périr. Il est heureux de voir un clerc musulman s’accorder avec cette pensée.
 
Voilà donc un document supplémentaire qui confirme notre diagnostic du reflux historique que connaît l’islamisme. Les événements qui se sont déroulés cet été en Egypte ont des conséquences universelles au point que la vague islamiste reflue partout, jusqu’au Bengladesh, jusqu’en Indonésie.      
 
Abdelwahab Meddeb
 
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12 Commentaires
Les Commentaires
Observateur - 15-10-2013 19:37

Démontrer que l'islamisme est anachronique est devenu une obsession chez Abdelwahab Meddeb. Je le trouve encore plus fanatique dans sa "croisade" que ceux qu'il attaque sans répit, preuve que le fanatisme et le dogamatisme peuvent aussi faire partie de la pensée laïque. On ne sait plus si Meddeb essaie de nous convaincre ou de se convaincre lui-même (ou ses convertis/disciples?). À force de continuer sur cette lancée, Medded pourrait facilement passer pour un laïque fondamentaliste. Ah l'intégrisme laïque!

berger - 15-10-2013 23:16

Le Roi est mort, vive le Roi. l`homme est le seul être qu´on ne peut jamais ni mesuré ni prevoir ses actes. En tout cas l´islam politique est trés peu politique, il est plutôt religieux, cela date depuis Mouawia et le conflit avec le calif Ali. L´islam (actuel est une reaction à ce conflit) et un retour á l´origine" les premiers califes, Errachidines. Les frères musulmans d´Egypte sont peut-être de cette catégorie.mais on peut pas dire d´Ennahdha la meme chose. D´aprés Le president actuel Marzouki Ennahdha s´est converti complètement au règles de la démocratie: alternance du pouvoir , la separation des pouvoirs, les droits de l´homme etc.... Donc ce travail a été fait.Mais on ne peut pas dire aujourd´hui (vive Al Sissi et mort l´islam politique) on ne sait jamais. En tout cas d´aprés moi, dire l´islam politique ce n´est pas clair. ca depend ce qu´on met dans cette definition. J´ai parlé de MOUAWAIA et le calif ALI dans le passé. C´est vrai le liberté est le but del´homme aujourd´hui. mais vous avez un probleme á resoudre à savoir la contradiction qui existe dans la démocratie "les deux poids et deux mesures" savez vous d´où ca vient?

alia - 16-10-2013 01:17

enfin un article qui s 'énonce clairement et se lit aisément.l 'islamité est une chose l 'islamisme en est une autre. Il porte en lui les germes du totalitarisme;il veut créer l 'homme nouveau l 'homo islamicus;ah ce dada de l 'homme nouveau poussé a l 'extrême par les khmers rouges;encensés par certains médias français à l 'époque tous comme les maoïstes de saint germain;très bien recyclés d 'ailleurs en virant leur cuti.En attendant le reflux de cette idéologie il faut se poser la question pourquoi une majorité y adhère?vous semblez ignorer le mépris dans lequel la bourgeoisie les tenaient pour elle c 'étaient des "go'ors" des rustres des apaches.Cela ne vous choque pas que dans les forums on les traites de singes et autres qualificatifs.ils prennent leur revanche.souvenez vous des compliments que vous a adressé un de vos ami philosophe;je ne suis pas adepte du name droping un 23 février à Paris à la maison d Amérique Latine.Vous etes un homme érudit ; en revanche vous appartenez à cette bourgeoisie trop sure d 'elle .Ecrivez sur le petit peuple vous apprendrez beaucoup et nous ferez une bonne analyse sur le succès de cette idéologie.Benjamin Stora, votre ami historien, ;ancien trotskiste et lambertiste a étudié l 'imaginaire colonial;il serait intéressant de creuser sur l 'imaginaire de classe en Tunisie

sihem - 16-10-2013 09:59

ce qui démontre une fois de plus que notre élite est loin du peuple et ne peut en aucun cas parler en son nom. assez d'hypocrisie, vous ne représentez que vos opinion; et l'approche de la Chiaa en Irak en est une preuve supplémentaire

THRAYA.S - 16-10-2013 17:37

L' islamisme politique est la plus grosse hypocrisie de ce début de ce siècle , l'anarchie qui en découle va fragiliser le monde arabo musulman et remettre en question des idéologies qui ne tiennent plus la route . Une vitrine ternie par l' incompétence et l' ignorance des islamistes en Egypte en Tunisie et partout ou l' on trouve des islamistes au pouvoir ou ailleurs

Mohamed Obey - 17-10-2013 01:21

Je ne peux qu'admettre que vraies les phrases déclaratives de M. Abdelwahab Medded_ et tout-à-fait confirmés par les scénarios de la vie socio-politique dans nos contrées orientales. A chaque proposition, malgré son caractère logique pur, requiert impérativement son applicabilité dans les conditions humaines réelles et non être seulement suffise par sa force interne. L'Islam politique_ une proposition pur sur un monde pur_ a échoué quand il fut testé au laboratoire du Printemps Arabe...!

MOURAD - 17-10-2013 06:41

étudiez l'islam d'une manière plus profonde et laissez le peuple choisir vous êtes démocrates non?

aissa - 17-10-2013 06:59

ca reste toujours votre point de vue personnel,et non général,car une opignon générale n existe pas,auccun autre sisteme politique na reussi jusqua maintenant a instaurer la justice sur terre,et la preuve l état du monde actuelle,les richesse du monde ne profite qua une minorité malsainte,et hipocrite,lislam politique reste et restera lunique solution,quand tous a échoué,

Citoyen - 17-10-2013 07:01

Et si on avait le courage et la liberté de critiquer la religion et de la juger ,ne sortirons nous pas avec d'autres idées fracassantes.

Elloumi - 17-10-2013 10:20

SAUVONS L,ISLAM DE L,ISLAMISME

aidda bouchadakh - 17-10-2013 11:55

Le peuple, majeur et vaxiné, dira ce qu'il pense lors des prochaines élections. Les démocrates sauront tirer les conculusions qui s'imposent, les pseudo-démocrates diront qu'il faudrait diriger le pays par consensus...

jamel - 17-10-2013 15:06

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