Mehdi Jomaa : «Ce sera mon équipe, ma décision, ma responsabilité!»
«Je serai à l’écoute de tous, mais le choix des membres du gouvernement m’appartient en définitive. Ce sera ma décision, mon équipe et ma responsabilité», affirme clairement à Leaders, le chef du gouvernement nominé, Mehdi Jomaa.
Sorti du chapeau à la toute dernière minute et à la surprise générale, après 50 jours de rebondissements successifs, pour former un gouvernement de compétences nationales indépendantes, il divise, à 51 ans, presque par deux l’âge des candidats à la Kasbah qui l’ont précédé, comme Ahmed Mestiri (88 ans) et Mustapha Filali (92 ans). Un vent de jeunesse et de fraîcheur qui donne le moral à toute une génération montante, frustrée de voir le commandement de sa révolution confisqué par la gérontocratie avide de pouvoir.
Dans le dossier spécial que nous lui consacrons, les lecteurs découvriront comment il a été choisi, les coulisses de ce qui s’est réellement passé ce 14 décembre 2013, comment il a appris sa nomination, dans quel milieu familial et valeurs fondatrices il a été élevé et quel a été jusque-là son parcours. Des révélations exclusives qui permettent de mieux cerner sa personnalité et de saisir les raisons de son choix. Fidèle à sa vocation de faire connaître les jeunes compétences tunisiennes, Leaders avait présenté, dans son numéro 12 du mois de mai 2012, la success story de Mehdi Jomaa, alors très peu connu en Tunisie. Les plus attentifs s’en souviennent, mais personne n’avait pressenti un parcours aussi fulgurant.
Mehdi Jomaa affronte son destin «avec assurance et sérénité». «En toute indépendance et en totale conformité avec la feuille de route du Dialogue national», souligne-t-il.
Le poids de la charge qui lui repose désormais sur les épaules est tellement lourd qu’il doit s’entourer du maximum de chances pour réussir. Certains prêtent à des puissances étrangères un rôle déterminant dans sa désignation. Le quotidien Le Monde, pourtant connu par son sérieux, va jusqu’à relayer, en appui, un post circulant sur les réseaux sociaux, montrant Mehdi Jomaa partageant un méchoui dans une gargote sur la route de Béja, avec l’ambassadeur d’Allemagne à Tunis, Jens Pöltner, désormais promu directeur de cabinet du nouveau ministre des Affaires étrangères. Avec son humour coutumier, le diplomate s’en défendra en disant: «Si cela avait été aussi simple pour faire conclure le dialogue national, on l’aurait fait il y a bien longtemps». Ni «méchoui-diplomatie», ni «keftéji-politique». La raison de son choix est tout autre.
Bien qu’on lui assigne beaucoup plus des missions «techniques», son gouvernement sera en fait hautement politique puisqu’il aura à rallier en sa faveur le spectre le plus large possible de forces politiques, économiques et sociales. Leur soutien sera déterminant. A quelles conditions y parviendra-t-il. Dès l’annonce de sa désignation, il croule sous les «recommandations» de candidats et les conseils sur la configuration du futur gouvernement. Mais, jusque-là, tient-il à préciser, il n’a pas encore fixé son choix, écartant ainsi d’un revers de main toutes les listes qui circulent sur les réseaux sociaux. S’il a multiplié les contacts avec les dirigeants de partis politiques, organisations nationales, et diverses personnalités, il a prêté une oreille attentive à leurs analyses et les a invités à lui faire part de leurs propositions sur les actions à mener, sans pour autant évoquer, à ce stade, de candidatures.
Trois critères et trois considérations
Nommé en mars dernier à la tête du ministère de l’Industrie, Mehdi Jomaa a surpris tout le monde, en arrivant tout seul, sans le moindre conseiller spécial, reconduisant tous ceux qu’il y avait trouvés. «Mon équipe, c’est vous», leur avait-il lancé, galvanisant leurs énergies. Cette fois, c’est à la tête de son équipe qu’il compte prendre ses fonctions à la Kasbah. Le contexte et les enjeux sont bien différents. Sur quelle base choisira-t-il ses ministres? «Je me suis fixé trois critères principaux et trois considérations essentielles, révèle-t-il à Leaders. Les critères sont : l’indépendance, non seulement politique mais aussi vis-à-vis de toute source et forme d’influence, la compétence et l’intégrité. Quant aux autres considérations, il s’agit de la cohérence et de la cohésion générale de l’équipe, l’âge et le genre – avec une bonne participation féminine – et la représentation des régions. L’expérience managériale précédente est également nécessaire».
Pour le moment, le futur chef du gouvernement s’arrête là, préférant ne pas en dire plus. Comme à l’accoutumée, il n’est guère prolixe avec les médias, travaillant toujours loin des micros et des projecteurs, mais dans ses nouvelles fonctions, il sera amené à s’y résoudre. Communiquer bien peu, clairement et utile sera indispensable et il le sait parfaitement. Répartissant ses audiences entre son bureau au ministère de l’Industrie et Dar Dhiafa à Carthage, mise à sa disposition, il est en phase d’écoute, de réflexion et de synthèse. L’essentiel à ses yeux, tel un manager, est de clarifier la vision générale assignée par la feuille de route, fixer les priorités, définir le concept de son gouvernement et son architecture, fixer les termes de références et les descriptions de poste et lancer alors un appel à candidatures. Son choix risque d’être limité.
Où puiser les grosses pointures?
Dès le lendemain de sa nomination, d’actuels ministres «indépendants» ont fait part à Mehdi Jomaa de leurs «bonnes dispositions» à rempiler sous sa conduite. Qui pourra-t-il garder et qui doit-il éconduire? Avant même d’y songer, beaucoup de voix s’élèvent pour lui demander avec insistance d’écarter tous les membres du gouvernement sortant, «indépendants» compris, mais aussi tous les ministres qui avaient servi sous Bourguiba, Ben Ali, Ghannouchi 1 et 2, Essebsi et Jebali. Plus encore, certains vont même jusqu’à y ajouter les principaux noms qui avaient fait l’objet de délibérations du Dialogue national.
Où pourra-t-il puiser alors les bons profils recherchés en dehors des politiques? Le vivier est restreint : la haute administration, le secteur privé, les professions libérales et la société civile. Ceux qui connaissent bien Mehdi Jomaa savent que son loisir préféré est la pêche à la ligne. Il éprouve, en effet, un grand plaisir à traquer calmement le bon poisson, un à un, avec patience, mais dès qu’il sent le fil frémir, il tire rapidement sa pêche. Même si, à présent, il y a urgence, il ne manquera certainement pas de nous surprendre le jour où il annoncera la composition de son équipe.
Un changement de style
Quel est son programme, quelles seront ses dix premières grandes décisions et que fera-t-il chaque jour durant ses premiers 100 jours à la Kasbah? Il ne le dit pas, mais l’élaboration de son plan est certainement bien avancée, en attendant de le fignoler avec son équipe. Ce qui est certain, c’est que ce plus jeune chef de gouvernement depuis l’indépendance insufflera un sang neuf à la Kasbah et opèrera un véritable changement de style. Un nouveau management gouvernemental dont la Tunisie a grand besoin. Les défis ne manquent pas, les cadeaux empoisonnés aussi. Chacun lui lance un «soutien critique» et le prévient d’une «mise à l’épreuve», refusant de lui accorder «un chèque en blanc». En fait, c’est l’ensemble de la classe politique, économique et sociale qui est mise à l’épreuve. C’est à elle de démontrer qu’elle peut laisser ce gouvernement travailler et l’assurer de l’indispensable soutien à conduire la Tunisie vers des élections libres et indépendantes, en toute transparence. Gardant la tête froide, et se gardant de se retrouver dans une bulle qui le coupe de la Tunisie profonde, Mehdi Jomaa affiche assurance et sérénité. Il faut avoir la foi. Laïque?
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T.H.
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Le Tunisien d'aujourd'hui a besoin de fermeté aprés sa libération . Bien entendu en tenant compte que nous sommes bel et bien en début de démocratie!
La réussite du futur chef du gouvernement dépendra essentiellement de son choix des membres de son équipe qui devrait être réduite au maximum afin de focaliser principalement et uniquement sur les priorités de la future étape, à savoir l'amélioration de la sécurité et la tenue au plutôt des élections. Un conseil à Mr le futur chef de gouvernement, si je peux me permettre, à ne pas continuer la même langue de bois en insistant sur l'emploi! Tout le monde est au courant de la situation économique actuelle du pays et surtout que la loi des finances 2014 prévoit peu de recrutement dans la fonction publique. Prière donc à ne pas prévoir un Ministère pour l'emploi pour la prochaine étape et à ne pas surtout reconduire l'actuel Ministre qui se prétend neutre!!! Tout le monde sait aussi qui l'a recommandé à ce poste ! Le CPR et Mr Maatar. Je souhaite enfin la réussite de la mission de ce prochain gouvernement afin de sauver notre chère patrie. Que dieu protège notre Tunisie.
J'espère que nous aurons un gouvernement puissant qui assainira sans faiblesse tout ce que son prédécesseur s'est permis de salir
Les tunisiens sont désespérés depuis le 23 octobre 2011. Ils sont en attente de la Démocratie . Pourvu que nous ne soyons pas trahis à nouveau . Attendons de voir , nous avons eu de vain espoir !