Développement régional: Un concept à la mode pour une réalité ignorée
Depuis la révolution, tous les partis politiques mais aussi les associations ont intégré dans leur vocabulaire «le développement régional» comme un concept de base d’une politique de relance sociale et économique. Peu ont su lui donner un contenu.
Ce concept n’est pas nouveau, rappelons-nous, de Ben Ali se promenant d’un gouvernorat à l’autre, présidant les réunions des conseils régionaux pour égrener une liste de projets et d’investissements publics, des enveloppes mirifiques, comme autant de cadeaux rarement réalisés sur le terrain. Lorsqu’un opposant se prenait à critiquer cette politique désastreuse porteuse d’inégalités, le pouvoir lâchait ses chiens d’éditorialistes lèche-bottes, à la carte de presse en croix de guerre, épinglée à la poitrine, pour défendre la vision stratégique globale et intégrée de la politique du moment.
Le gouvernement précédent et les élus de l’ANC ont proposé tour à tour des mesures pour favoriser les régions.Le premier en proposant d’abord la construction de facultés de médecine partout où c’est possible puis en conditionnant l’obtention du diplôme de médecine par un service civil régional de trois années, et les seconds en proposant de constitutionnaliser la discrimination positive en faveur des régions défavorisées. Ces propositions partent d’un bon sentiment, offrir plus d’opportunités à ces régions et se donner les moyens d’équilibrer la qualité des services publics. Pourtant, dans les trois cas, il s’agit de fausses bonnes idées. D’abord, il y a un principe de base qui est essentiel, c’est qu’il ne peut y avoir de développement régional à travers des mesures forcées qui tiennent plus de l’aumône populiste que de la mise en avant des atouts des régions. Ben Ali l’a fait pendant des années et on a vu le résultat, ou plutôt l’absence de résultats.
D’autre part, il s’agit d’une méconnaissance des ressorts économiques et sociaux du Tunisien, qui reste attaché à ses origines et à sa famille, et qui considère l’exode comme un acte ultime et nécessaire commandé par la recherche de conditions de vie dignes. A conditions de vie égales, même légèrement défavorables, il préfèrera toujours sa région d’origine à toute autre. Ce n’est donc pas sur ses choix qu’il faut agir, mais bien sur les conditions et critères qui motivent ces choix. Le rôle de l’Etat est de faire en sorte qu’un médecin, ingénieur ou enseignant exerçant dans la fonction publique ou privée dispose des mêmes moyens techniques et technologiques quelle que soit la ville où il exerce. Ensuite, l’Etat devra assurer à ces citoyens, car ce sont aussi et avant tout des citoyens, la même facilité d’accès à la culture, au logement, à l’éducation ou au sport. Il s’agit de favoriser l’égalité des chances à travers le développement des territoires.
Un territoire, c’est un patrimoine, une histoire, des us et coutumes, une dynamique centrée autour de ressources matérielles et immatérielles, spécifiques, qui, si elles sont articulées économiquement, deviennent des moteurs de compétitivité. Il faudrait donc conceptualiser au niveau économique la notion de territoire pour identifier un contenu effectif à la notion de développement régional. Un patrimoine est un espace identitaire, dont la négation du droit au développement est vécue comme la négation de l’appartenance nationale même. Mais un territoire, ce n’est ni un gouvernorat ni une localité administrative nécessairement. C’est un espace éco-social qui a des frontières naturelles et non administratives, et c’est à son échelle que la réflexion doit se faire, et que l’économie doit être pensée. A titre d’exemple, le Sahel tunisien s’est développé autour de deux ressources patrimoniales profondes que sont l’oléiculture et la mer. Elles se sont articulées économiquement à travers les industries oléicoles et le tourisme. Le reste est venu après et s’est construit autour. A Sfax, la même ressource maritime s’est exprimée différemment, puisque moins à travers le tourisme et plus à travers le commerce et la pêche.
Ce sont ces articulations entre ressources territoriales, d’une part, et avantages économiques, de l’autre, qu’il s’agit de mettre en place. Chaque territoire a ses ressources propres et spécifiques, il s’agit de les identifier avant de structurer leur expression économique, tout en considérant l’articulation des ressources entre elles au sein d’un même territoire mais aussi au sein de territoires différents et voisins par exemple. Il n’est, en effet, pas interdit qu’un territoire se développe en satellite d’un autre territoire voisin, si l’articulation des ressources spécifiques le préconise.
Une problématique essentielle du développement vient de la nuance entre ressources transférables, celles qui peuvent être valorisées hors site, et ressources exclusives, celles qui ne peuvent être transférées et nécessitent d’être valorisées sur site. Le constat est peut-être amer, mais il sera facile de vérifier que les zones aujourd’hui exclues du développement sont celles dont les ressources se sont avérées transférables. L’exclusivité de la ressource est souvent une garantie pour le territoire, ses hommes et son économie. Au-delà de l’absurdité de vouloir constitutionnaliser la discrimination positive, puisque les horizons temporels d’une constitution ne sont pas les mêmes que ceux des objectifs du développement, son intérêt unique résiderait dans la garantie de l’intransférabilité de la ressource jusqu’à sa valorisation ultime. L’échec de la politique de développement régional est avant tout l’échec de la valorisation économique des ressources des territoires, comme un actif tangible. Historiquement, les sciences et la technologie ont d’ailleurs plus fait pour la transférabilité des ressources que pour la mise en place de techniques de valorisation économique. Le dépouillement des ressources régionales est donc un phénomène économiquement programmé, tant à l’échelle nationale que mondiale.
L’aménagement du territoire est un fabuleux outil politique pour mettre fin aux inégalités et concrétiser l’engagement de l’Etat pour l’égalité entre les territoires (c’est ce concept qui devrait être constitutionnel). Un expert du domaine décrit l’aménagement du territoire comme «l’instrument d’une démocratie moderne», ajoutant que «ce n’est pas la politique d’un groupe, d’un gouvernement ou d’un régime. C’est l’œuvre de la nation, une œuvre permanente qui déborde les soucis immédiats». (*)
L’égalité, ce n’est pas l’uniformisation mais bien la spécificité par laquelle chaque région doit penser son développement territorial en s’appuyant sur une cartographie de ses ressources, pour contribuer in fine à la diversification de l’économie nationale. Malheureusement, ce n’est pas de l’aménagement que nous avons fait en Tunisie depuis des années mais du «déménagement du territoire. Des politiques transformés en déménageurs, non seulement aveugles et sourds, mais irresponsables au sens où ils jouent, naïvement ou cyniquement, les apprentis sorciers sur le dos des populations et des écosystèmes ; ils déménagent au sens où ils déraisonnent ». (*)
Le seul objectif de la politique de développement des territoires doit être de favoriser l’attractivité des régions qui passe par un nouvel équilibre entre les pouvoirs à l’échelle nationale et locale. Mais cela nécessite des ressources et des moyens importants qui doivent être mobilisés de manière concomitante et consolidée, pour atteindre une masse critique minimale susceptible de modifier le paysage économique et d’insuffler une nouvelle dynamique.
Mais l’aménagement des territoires n’est pas pensé, en l’absence d’une structure de coordination qui soit en mesure de mettre de la cohérence dans les investissements publics d’infrastructures et d’équipement, de l’optimisation dans leur mise en œuvre, de la complémentarité dans leur fonctionnalité, pour espérer drainer derrière des investissements privés complémentaires et stratégiques, créateurs de valeur ajoutée et d’emplois.
Pour cela, il ne faut pas négliger l’économie numérique qui peut être un catalyseur fort, sur lequel il est essentiel de s’appuyer. Mais que voulez-vous ? Lorsque le monde réfléchit e-learning, télétravail, télémédecine, nous en Tunisie, nous pensons encore et toujours construire des universités. Lorsquele monde réfléchit dématérialisation, nous en Tunisie, nous pensons encore et toujours attestations, dossier, tampon, etc.
Alors, faute d’innover nous-mêmes, essayons au-moins de copier ceux qui innovent plutôt que de reproduire les échecs de nos prédécesseurs.
W.B.H.A.
(*): Philippe Lamour, haut fonctionnaire français, considéré comme le père de l’aménagement du territoire.
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Une remarque assez simple. Je suis étudiant à Tunis, vous parlez d'accès à la culture pourtant les seuls véritables accès que nous avons sont bibliothèques privées; la médiathèque CDG ou encore le CEC. Nos facultés produisent des idiots à la chaîne et les nouveaux professeurs sont des coquilles vides.
Cela fait partie des priorités que le développement régional en Tunisie. Ca reste un salut ,sans oublier qu'on est Tous Tunisiens et que chaque région peut être d'une grande utilité pour une autre déjà! !
Avant de penser au développement régional, il faut réfléchir à la décentralisation de l'Etat tunisien. Tant que toute les décisions se font dans les bureaux des ministères - souvent prisent par des technocrates qui ignorent tout sur la spécificité de chaque territoire et de chaque région - point de salut pour le développement régional. On le voit, en Europe par exemple, ce sont les régions les plus autonomes qui ont réussi le meilleur développement économique et humain. La Bavière en Allemagne, la Catalogne en Espagne, la Lombardie en Italie... ce sont des exemples parmi d'autres qui montrent que la décentralisation administrative a toujours précéder et entrainer le développement régional. En effet, les décisions importantes qui engagent l'avenir de chaque territoire doivent être prises sur place par ceux qui connaissent le mieux les atouts de chaque région. IL faut créer des pôles de compétitivité partout dans le Pays en tirant profit des spécificités de chaque territoire. Bien sûr, l'Etat doit jouer tout son rôle de catalyseur dans ce maillage des territoires avec des incitations techniques et fiscales pour encourager l'investissement et la création de projets porteurs de développement et de prospérité pour les habitants de ces régions en particulier et pour le pays en général.
j'ai l'impression de lire un article d'un philosophe...article vague et sans intérêt ...il faut être un économiste pour parler de ce sujet.....monsieur !