L'arme de distraction massive: le sensationnalisme!
Le nouveau gouvernement, -composé d’une pléiade de technocrates bardés de diplômes ayant fait leurs classes-, sait ses soutiens fragiles et sa feuille de route compliquée. Issue du dialogue national, la légitimité qui sous-tend son action est de facto très étroite et pour ainsi dire balisée. Le chef du gouvernement,, conscient de ces codes du «non dit», ou si l’on préfère des interdits implicites, tente de se frayer un passage au sein de ces étroites marges de manœuvre. Faire d’abord le bilan de la période passée est chose courante et admise. Pas étonnant, que la nouvelle équipe se soit engouffrée dans une «opération vérité». Opération classique et sans risques majeurs, s’il en est, qui fonctionne toujours sur les mêmes et invariants leviers: audit, diagnostic, mesures correctives. En somme du déjà vu, de toutes les époques et sous tous les cieux. Mais on aura tout de même observé qu’avant même que les comptes de la nation ne soient vraiment tirés au clair que déjà le gouvernement se précipitait dans un «road-show» en quête de nouveaux emprunts.
Une approche qui dénote une évidente précipitation mais «déçue» comme la laisse entrevoir la fin de non recevoir d’une visite en France en campagne des municipales et le peu de résultats tangibles de ces tournées du golfe comme des Etats-Unis. Du coup et a posteriori, la communication du gouvernement va se réajuster en mettant en exergue une nouvelle donne… le surgissement (sic) subit d’une crise financière sans précédent.
A l’assurance lente des communiqués des premières semaines succède l’effervescence de déclarations alarmistes à peine dissimulées. Un changement brutal, orchestrée autour de la vraie-fausse découverte de l’ampleur insoupçonnée des dégâts. Une «situation catastrophique» dira le chef du gouvernement, mais «pas désespérée» tempérera le ministre des finances. Une orchestration qui souffle le chaud et le froid mais qui va finir par mettre l’opinion en émoi, lorsque le gouvernement annoncera que les salaires des fonctionnaires risquaient de ne pas pouvoir être payés en Avril. Une information tellement «sensationnelle» qu’elle va se répandre comme une trainée de poudre en quelques jours. Un électrochoc recherché mais pas exempt d’arrière-pensées, car la pilule pourrait être bien plus amère qu’il n’y parait….en Juillet…comme par hasard.
Le gouvernement se sait ne pas pouvoir passer en force, UGTT et UTICA, pour des raisons contradictoires, l’en empêchent. Aussi va-t-il inaugurer, -avec le recours de ses fidèles appareils, la BCT et l’INS-, une nouvelle ère de communication.
D’évidence nos technocrates aguerris connaissent la communication de crise, enseignée et mise en pratique dans les grandes institutions et les multinationales. Ils savent ne pas pouvoir jouer des ressorts de la communication classique celle de l’autorité légitime, du haut vers le bas, d’un gouvernement élu. Aussi se rabattent-ils sur cette communication de crise qui emprunte ses mécanismes à celle bien connue du storytelling moderne: capter l’attention / stimuler le désir de changement / emporter la conviction par l’utilisation d’arguments raisonnés….au bout des mesures antisociales.
On l’aura compris le nouveau vecteur est donc celui de l’émotion. Son principe actif et par là son efficacité réside dans cette simple trivialité que pour parler à la tête il faut d’abord toucher le cœur. Dit autrement il faut passer par l’émotion pour atteindre la raison. Il n’y a plus d’argent ! Il faut réduire les dépenses (décodez les subventions).
Or le recours à un récit alarmiste et sensationnaliste subjuguant les émotions joue un rôle primordial dans le processus d'identification-adhésion (le constat de faillite –sic- / le recours inéluctable à des coupes sombres). Nous vivrions au dessus de nos moyens…il faudrait donc réduire notre train de vie excessif; aux couches populaires près. Couches populaires, -vous l’aurez remarqué-, dont on ne saura d’ailleurs jamais où elles commencent et où elles finissent.
Ce récit permet dés lors, de penser les réformes structurelles (la baisse drastique des dépenses de transfert) comme inexorables occultant du même coup la nécessaire et indispensable hausse des recettes qui font tant défaut. Pris dans cette injonction émotionnelle qui va sans doute aller crescendo, les gardiens de l’orthodoxie gestionnaire espèrent rencontrer au final le consentement d’une opinion qui est encore loin d’être acquise, à en juger par les réactions immédiates de l’UGTT. Dramatiser la tournure récessive dans laquelle s’enfonce le pays permet à coup sûr d’éluder les vraies questions: Celles de l’évasion fiscale, de la fuite des capitaux, du remboursement d’emprunts, tous grandement pénalisants. Une sorte de tour de passe qui laisse croire que tout l’affaire se résumerait à une question comptable (on ne peut dépenser que ce que l’on gagne). Du coup certains organes zélées de nos médias se mettent de la partie et dénoncent le manque d’empressement au travail et l’absence du goût de l’effort de toute une population déjà largement accablée. On croit rêver vu le niveau de sous emploi et de chômage ! Que des fainéants vous dit-on!
Le terme de distraction utilisé dans le titre ne doit donc rien au hasard, ni à une figure de style. Il est à prendre dans un sens figuré et second de «détourner l’attention». Le déroulé du récit pour ne pas dire de la rhétorique technocratique alarmiste est là pour tenter de provoquer un sursaut, un reflexe conditionné d’acceptation mais visant en fait à sauver ce qui peut l’être encore: les privilèges et rentes de l’ordre social ancien. Ni la BCT, ni l’INS, avons-nous dit ne ménagent leurs efforts. Une volte face à 180% après des mois, des années, de «tout est sous contrôle». Tous deux à quelques heures d’intervalles tirent tour à tour la sonnette d’alarme: la dérive du déficit courant, la baisse des réserves de change. Les «spin doctors» ne manquent pas pour commenter des statistiques de plus en plus nombreuses mais toujours aussi partielles et partiales, face à une opinion médusée mais réceptive car peu à même de les contester. 20% du déficit extérieur sont le fait de produits de luxe et de grand confort. Près de 250 niches fiscales privent l’Etat de plus de 10% de ses recettes courantes. Près de 15% du budget va aller au remboursement de la dette (Avril et Juillet) dont une partie est odieuse….Juillet, cela ne vous dit rien!
Une opération de sauvetage dont les adeptes les plus maladroits vont jusqu’à dire qu’il y aura de la casse sociale ou des dommages collatéraux. Pathétiques coreligionnaires!
Alors loin de nous l’idée de contester l’idée de toute réforme. Mais ce qui est en cause ici c’est le bien fondé des mesures, osons le mot «scélérates», qui se préparent tant d’un point de vue d’équité sociale que d’efficacité économique. Rappelons à toute fins utiles que le salaire médian du pays est de 240 DT et la retraite médiane de 180 DT…
Que peut on encore gratter…..Gare donc au retour de flamme.
Hédi Sraieb,
Docteur d’Etat en économie du développement.
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Le Premier Ministre a cherché une légitimité internationale avant même qu'il ait assis sa légitimité dans son pays, parmi les siens, quartet compris. Il est parti en périple sans aucun plan de sauvetage, sans mesures de sauvegarde, prises ou à prendre, qui assureraient le soutien extérieur, un extérieur en pleine crise économique en premier lieu, financière et politique en second lieu. La situation est irrécupérable et l'on risque fort de revoir ceux qui ont vidé les caisses revenir aux commandes du pays du fait qu'aucun grief ne leur a été adressé ou relevé.
Je suis, je le savais d´avance. d´accord avec vous qu´il ya eu précipitation d´ aborder des pays aussi experimentés en matière de la valeur de l´argent que le chef de gouvernement a visités,on croyait vraiment qu´il suffit d´être en fonction pour que ca fonctionne. Moi je suis stupéfais. Bon que faire de l´avenir? on verra, on attend encore mais je pense que ca sera extrêmement difficile sinon impossible.