Opinions - 29.04.2014

Tourisme, oui...mais sans perdre notre âme

«Il semble même que les Arabes soient avant tout contre les Arabes, contre eux-mêmes, les uns contre les autres. Et que l’étranger agressif, colonisateur, combatte les Arabes par des Arabes.»  Adonis in «Printemps arabes. Religion et Révolution» (Editions de la Différence, Paris, 2014).

Le débat qui a lieu dans le pays à propos des touristes détenteurs de passeports israéliens  est un indicateur de la maturité de notre pays et une preuve que la démocratie fait du chemin en Tunisie.

Bien entendu, tout ce qui brille n’est pas or. Cette  question est en effet instrumentalisée par certains politicards qui n’ont jamais brillé, eux, par de la suite dans les idées… comme on l’a vu lors de l’élaboration de la Constitution.  A travers la juste cause de la Palestine, ils s’en prennent au gouvernement de M. Jomaa. De leur côté, un certain nombre de fonctionnaires,  en dévoilant cette affaire, auraient de sombres visées et des comptes à régler. Pourtant, sous la dictature de Ben Ali - qui voulait inviter à Tunis Sharon le boucher de Sabra et Chatila - ils étaient muets comme des carpes alors que de nombreux touristes israéliens se pavanaient à Dougga et ailleurs… quand le peuple tunisien était enchaîné et ne pouvait dire son fait au laquais des intérêts américano-israéliens.  De même, lors du long passage de la Troïka au pouvoir, ces agents n’ont pas senti le besoin d’éclairer le public sur ces entrées d’Israéliens.

Mais, face à ces manœuvres de basse politique, faut-il éviter le débat et la réflexion  sur l’admission de ces «touristes» dans notre pays?

Il faut tout d’abord le dire haut et fort : Honte à ceux qui magouillent sur le dos  du peuple palestinien, peu soucieux  de ses martyrs, de ses prisonniers,  de  ses souffrances, de ses oliviers arrachés et de son eau volée. Honte à ceux qui, incapables de se prononcer sur le code électoral à l’ANC et incapables de faire face à la crise économique recourent à de vils procédés au prétexte de lutte contre le sionisme. La Tunisie n’a jamais abandonné la Palestine: des centaines de jeunes Tunisiens sont partis combattre les sionistes en 1947 et, suite à la guerre du Liban, c’est chez nous que l’OLP et Arafat ont trouvé refuge. Aujourd’hui, certains tentent de nier la centralité de la question palestinienne. Adonis note : «La mémoire de la Méditerranée, celle des trois religions monothéistes, réveille sur un plan universel, d’autres guerres. Mais cette fois au nom des libertés, des démocraties, des droits de l’homme, avec une seule exception : condamnation de la Palestine - toujours «prisonnière», jetée «à jamais» dans le silence». («Printemps arabes. Révolution et Religion», Paris, 2014, p.49)

Il est vrai que tourisme et agriculture sont les mamelles de notre économie. Mais le peuple tunisien n’est pas frappé d’amnésie et le souvenir du bombardement de Hammam Chott en 1985 est encore vif pour tous les Tunisiens, tout comme l’assassinat d’Abou Jihad en 1988. Ces actes-là ne sont que l’œuvre d’un Etat–voyou qui n’obéit à aucune morale ni à aucune loi internationale. Israël a ainsi foulé aux pieds la souveraineté de notre pays. Non,  les Tunisiens ne sont pas amnésiques et ils font mentir la prédiction de David Ben Gourion… qui comptait sur «la mort des vieux et l’oubli des jeunes»  pour justifier les agressions et l’expansionnisme d’Israël.   Les Tunisiens s’agenouilleraient-ils pour quelques shekels devant l’Etat qui se targue de posséder la quatrième armée du monde et dont les sous-marins rôdent le long de nos côtes ? Contrairement à l’empereur Vespasien, les Tunisiens ne diront pas que l’argent n’a pas d’odeur ! Les évangélistes du marché et les adorateurs du Veau d’Or – sous couvert de neutralité - jouent les chiens de garde alors qu’il s’agit de liberté, de dignité et de libération des peuples. 

Oublient-ils qu’ «une injustice faite à un seul est une menace pour tous» ?

Ne voient-ils pas qu’Israël attaque et assassine tout azimut : le Liban, Gaza, les  bateaux turcs et autres  en pleine mer, dans les eaux internationales ?  Qu’il menace l’Iran pour demeurer seule puissance nucléaire de la région ? Qui peut empêcher les bellicistes de Tel Aviv de rééditer Hammam Chott ?
La Tunisie accueille tous ses visiteurs dans la dignité et le respect mutuel. La Ghriba est un élément important  de notre patrimoine et les pèlerins sont bienvenus.  Mais le titulaire d’un passeport tunisien peut-il aujourd’hui visiter Jérusalem ou Bethléem ? Non, bien entendu. Or, les rapports entre les Etats se font,  en général, sur la base de la réciprocité(1). En Israël, même les titulaires de passeport états-unien ont des difficultés à franchir la frontière dès lors que leur nom a une consonance arabe ! Que dire alors du Tunisien ?!

Certains avancent que la Jordanie et l’Egypte ont reconnu Israël. Cet argument est fallacieux car tout le monde sait que l’argent américain a joué un grand rôle dans cette reconnaissance que rejettent unanimement les peuples jordanien et égyptien. Comme le prouve ce qui est arrivé à l’Ambassade israélienne au Caire à la Révolution. A l’époque de cette reconnaissance du reste, Israël n’exigeait pas qu’on le reconnaisse comme un «Etat juif» comme il le fait maintenant. De plus, techniquement, la Ligue Arabe - dont la Tunisie est membre - ne reconnaît pas Israël. Dans ses «Dix thèses sur les révolutions arabes actuelles» (Al Hayat, 26 mai 2011) Adonis conclut sa huitième thèse ainsi : «Voici un objet de dérision : cet Occident politique prétend… qu’il défend les droits des musulmans. L’ironie, c’est que nombre de ces derniers le croient et s’allient à lui. Et il est plus ridicule encore cet Occident qui ne cesse pratiquement depuis la fondation d’Israël, de dédaigner les droits des musulmans, d’encourager cet Etat à les braver, les écraser en Palestine. Cette hypocrisie que l’Occident exerce envers les Arabes et les musulmans est une autre forme de la colonisation culturelle. L’Occident détruit les Arabes.» La Tunisie ne saurait se joindre à cette phalange!

Pour certains médias, ces Israéliens venaient aussi pour visiter de la famille et se recueillir sur les tombes de leurs parents. Notre pays est un pays ouvert et tolérant mais faut-il rappeler ici que la Palestine est le seul pays occupé au monde en ce XXIème siècle et que son peuple n’a aucun droit ; il  ne peut se déplacer, pris en otage par Israël, au mépris de la 4ème Convention de Genève.  Faut-il rappeler que des milliers de familles palestiniennes de Cisjordanie et de Gaza ne peuvent rendre visite aux leurs,  depuis des décennies,  car l’occupant israélien ne consent pas à leur donner les autorisations nécessaires ? Pour ne rien dire des terribles obstacles que sont les check points et le Mur de l’Apartheid condamné par la Cour de Justice Internationale. Adonis encore :«… Les dirigeants occidentaux défendent les droits de l’homme dans les pays arabes, du Golfe à l’Atlantique, pourvu qu’ils n’englobent pas ceux des Palestiniens. Ces derniers, aux yeux des défenseurs américains et européens, constituent, par leur simple présence, un outrage à l’idée abstraite qu’ils se font des droits de l’homme….»

Aujourd’hui,  mardi 19 avril 2014,  les  négociations  - alibi pour Netanyahou qui n’a jamais cru à la paix- entre les Palestiniens et Israël ont échoué.  D’après Médiapart, mi-janvier 2014, Tzipi Livni, ministre de la justice, chargée de ces pourparlers affirmait : «Le monde ne comprend pas les implantations (israéliennes en Cisjordanie). Les négociations de paix constituent une véritable digue contre cette vague» (du boycott international). Interrogée sur l’isolement d’Israël, par  comparaison  à celui de l’Afrique du Sud de l’apartheid des années 1970, elle répond clairement : «Je crie : «réveillez-vous»»

A l’heure où le mouvement de boycott des produits israéliens – et son boycott culturel par des artistes, des universitaires et des sportifs- prend de l’ampleur dans le monde (Cf Pierre Puchot, «Israël s’inquiète du boycott international»,Médiapart, 26 avril 2014)), à l’heure où John Kerry en personne qualifie Israël de «pays d’apartheid» et à l’heure où des banques hollandaises (PPGM) et danoises (Danske Bank) se retirent d’Israël ainsi que des entreprises néerlandaises (Vitens, fournisseur d’eau potable), les Tunisiens peuvent-ils abandonner le peuple arabe de Palestine aux griffes des colons et du gouvernement extrémiste et raciste de Netanyahou, élu par la majorité des Israéliens ? Incapables de faire la paix avec les Palestiniens….à cause de tout le mal qu’ils leur ont  fait,  pour paraphraser le regretté Edward Saïd.

Israël ne peut faire la paix sans pressions internationales. Cette paix est nécessaire pour la stabilité de la région et donc de notre pays. Il nous faut donc joindre nos efforts à tous ceux qui œuvrent pour  la paix en Palestine. Toute l’histoire de notre peuple prouve qu’il chérit la paix. Et qu’il ne voue de haine pour personne…dès lors que sa dignité, son honneur  et sa liberté sont respectés.

(1) Bien sûr, la réciprocité est un concept…qui rappelle la fable  de Jean de la Fontaine «Le loup et l’agneau»! Rappelons  que pour avoir le droit de poser le pied sur le sol de France, le Tunisien doit fournir : justificatifs du motif du séjour, bulletins de salaire, relevés bancaires, assurance rapatriement, justificatifs des moyens de subsistance, conditions d’hébergement en France et tout document prouvant l’intention de quitter le territoire à l’expiration du visa – sans oublier les cent euros non remboursables ( il n’y a pas de petit bénéfice en ces temps de disette) si le visa est refusé (Cf site de l’Ambassade de France à Tunis). A noter que certaines mairies UMP ou FN (Orléans, Béziers…) ont nommé des conseillers municipaux chargés de la chasse aux immigrés et qu’obtenir de ces gens un certificat d’hébergement relève du rêve!
 

Mohamed Larbi Bouguerra

Tags : ANC   arabes   B   ben ali   Caire   David Ben Gourion   Egypte   Gaza   Iran   Isra   J   Jordanie   Palestine   r   Tro   Tunisie  
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13 Commentaires
Les Commentaires
CHE - 30-04-2014 08:00

La Tunisie est plus attentive au sort de la Palestine que les palestiniens eux-même. Quand aux touristes ce ne sont pas 40 Sharon mais de pèlerins. Au pire surveillez-les mais arrêtez la surenchère. Israël est l'ennemi, pas tous les israéliens, certains d'origine tunisienne et ayant quitté après les émeutes de juin 1967, probablement parce qu'ils ne pouvaient pas aller au Canada ou en France. Les israéliens visitent sans problème la Jordanie et l'Egypte, lesquels pays ont eux 4 guerres avec Israël. Et pas par 40 mais par milliers. Allez à Sharm el Sheikh ou même au Caire, ou au Maroc, à Dubai et j'en passe. On peut être antisioniste sans tomber dans le simplisme.

chokri tounsi - 30-04-2014 09:01

en voilà un intellectuel qui fait honneur à sa caste et à sa nation. Cela change un peu des pseudo-intellectuels qui défendent corps et âme le cancer qui s'appelle israël, juste pour plaire à leurs maitres outre-mer. Merci Si Bouguerra de défendre les victimes quand en ces temps tordues, on entend presque que ceux qui défendent les criminels

ridha L - 30-04-2014 12:59

oui je confirme: "sans oublier les cent euros non remboursables ( il n’y a pas de petit bénéfice en ces temps de disette) ", suis membre de la médiathèque F. , on me demande le remboursement total d'un livre après une semaine de l'avoir rendu, à cause d'une page blanche arrachée, voilà comment la responsable a réussi non seulement à me soutirer une bouffée d’oxygène dans notre existence qui était la lecture, en annulant ma carte d'adhésion, payé par mes soins selon le règlement, et a voulu renouvelé les livres sur le compte des membres.

AMBO - 30-04-2014 15:00

Beaucoup à dire : il y'a l'état et les citoyens.Perdrons - nous notre ame quand on reçoit les Français après tout ce que leur Etat nous a fait subir , ou les Espagnols , les Vickings etc..Il en est de meme des autres citoyens . Il est plus facile de batailler avec un état que l'on reconnait qu'avec un état que l'on ignore . Pour cela il faut se dépasser et c'est très dur à accepter pour certains : les Palestiniens ont souffert de la domination sioniste mais ils peuvent obtenir des concessions s'ils se débarrassent de certaines idées qui ne leur ont pas porté de solutions . Mais nous les Tunisiens ? Est-ce par solidarité avec les Palestiniens ? L'attaque israélienne en Tunisie est- elle plus grave que celle de la France pendant la révolution algérienne ? Et pourtant rien n'empèche nos amis Français de visiter la Tunisie . Alors que fait notre ame dans ce cas ?

Béchir Toukabri - 30-04-2014 15:06

Bonne analyse avec beaucoup de détails sur le dessous des cartes. Cet article dévoile la grande hypocrisie des politiciensde tout bord.

Mehdi - 30-04-2014 15:18

Merci Monsieur de centrer enfin le débat! En effet, la question est la reconnaissance du passeport israélien à travers la permission de l'entrée de touristes par des passeports sionistes et n'est en aucun cas le pèlerinage de la Ghriba ou les droits de nos concitoyens juifs comme tentent de le faire croire certains médias... et certains ministres du gouvernement!

T.B. - 30-04-2014 15:53

Une fois les palestiniens auront leur indépendance dans les frontieres de 1967, il y aurait reconnaissance mutuelle avec échange d´ambassadeurs; mais quand ca aurait lieu? Qui sait.

Rafik Talbi - 30-04-2014 17:56

Bravo M. Boughera mais pourquoi vous ne parlez pas de la position de l'Ordre National des Avocats qui condamne la position des ministres de l'Intérieur et du Tourisme. M. Ben Mahfoud et son équipe sont à féliciter. Il faudrait faire connnaître cette position.

Abdelkader - 30-04-2014 18:48

Je voulais tout simplement vous dire merci Monsieur pour cet article qui résume si bien la pensée de la majorité des tunisiens .

AFAT - 01-05-2014 08:39

Réponse à M. AMBO Vous oubliez simplement un principe fondamental dans toute relation: LA RECIPROCITE. Avez-vous une seule fois essayé de rentrer en Israël? Ceux qui s'appellent Abdallah, Malik, Mehdi etc....et qui sont de nationalité Européenne subissent des humiliations aux aéroports Israéliens au point de rebrousser chemin. Alors un voyageur au passeport Tunisien est carrément traité de terroriste et passera 2 ou 3 jours de contrôle et de questionnement! Avec nos anciens colonisateurs, nous traitons aujourd'hui à pied d'égalité sauf que misère s'y rajoutant, nous leurs accordons des facilités pour quelques devises. En conclusion, accepter des voyageurs à passeport israéliens avec autant de facilité en Tunisie, c'est faire preuve prostitution. Quant cet état voyous se conformera aux règles internationales nous n'aurons aucune peine à commercer avec.

Nouri Ben Salem - 01-05-2014 17:43

D'accord avec vous sur toute la ligne. Mais cette question préoccupe t-elle les Tunisiens confrontés à pas mal de problèmes aujourd'hui? Merci quand même pour ce rappel utile.

Patrick Nunez - 01-05-2014 17:52

Oui, mais en Tunisie, mon pays de naissance, il y a l'équation économique..même si je ne crois pas que le pélerinage de Djerba soit le bon baromètre. Pour tout ce que vous dites, j'ai refusé de servir Tsahal.

el khlifi mokhtar - 01-05-2014 23:57

Nous sommes pour la reconnaissance d'un Etat aux palestiniens.Nous sommes contre le sionisme.Nous n'avons rien contre les juifs du monde entier.C'est clair.Mais est-ce que le fait de permettre à des détenteurs d'un passeport israelien venu visiter la Tunisie à bord d'une croisiére pour six heures ou pour faire un pélerinage à la Ghriba constitue une normalisation avev l'Etat d'Israel?Personnelement , je ne le pense pas.Si vous ajoutez que le pays ne peut pas se permettre de rater une saison touristique au vu des circonstances difficiles qu'il traverse, je dis qu'on ne doit s'opposer à la venue de touristes israeliens.Que l'Etat d'Israelien se comporte différemment à l'égard de nos nationaux, cela ne nous étonne guére de la part d'un Etat sioniste et notre culture nousinterdit de rendre la pareille.

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