Questions à Taïeb Houidi : 6 grandes réformes pour redresser le pays
Conseiller économique de Ahmed Néjib Chebbi et coordinateur du programme électoral d’Al-Joumhouri.
Quel est le programme d’Al-Joumhouri pour les prochaines élections?
Le programme politique destiné pour la prochaine législature de cinq ans doit tenir compte de la mal-gouvernance de ces dernières années qui a laissé l’économie tunisienne pratiquement exsangue. Cela implique un travail en profondeur pour inverser la logique actuelle de décroissance-appauvrissement-endettement-inflation. C’est pour cela que notre programme s’appuie sur des actions fortes qui se fondent sur six axes:
- L’Etat: rôle, autorité, efficacité. Cela doit se traduire par l’équité, la justice, l’efficience, la simplification des procédures, la solidarité et la décentralisation. L’Etat doit avoir un rôle de stratège et d’arbitre, plutôt que celui de producteur ou de gestionnaire des affaires locales.
- La sécurité: sans laquelle il n’y a ni paix sociale ni économie efficace, ni encore de renforcement des institutions démocratiques
- La fiscalité: c’est la garantie de la survie de l’Etat et son équité à l’égard de tout citoyen devant ses devoirs civiques. La fiscalité ne doit plus être confiscatoire pour les uns et magnanime pour les autres; la réforme fiscale doit donc être juste, globale et profonde; stimulant l’investissement plutôt que la rente, elle doit être menée rapidement pour rétablir l’efficacité de l’Etat et son rôle en tant que garant de la redistribution, donc de solidarité nationale
- L’amélioration du pouvoir d’achat des citoyens les plus démunis: les mesures doivent être de nature économique, sociale et réglementaire; elles doivent aussi en appeler à la responsabilité des citoyens : rétablissement de la valeur du travail, mais aussi lutte contre la contrebande et le marché illégal.
- L’emploi: beaucoup de programmes peuvent être initiés: aide à la création de PME, habitat populaire, grands chantiers d’infrastructures et d’équipements publics, agences régionales pour la diversification économique et la compétitivité, etc. La question de l’emploi n’implique pas une politique, mais des politiques (sectorielles, transversales, régionales…)
- La décentralisation et le développement régional : la première concerne la mise en place de la démocratie locale et la prise en main des projets régionaux et locaux par les populations directement concernées, à travers leurs élus. Le second concerne une allocation des ressources et des instruments qui tienne compte des inégalités territoriales héritées des 50 dernières années.
Tout cela devra être régi par des sujets récurrents qui, eux, devront se développer sur le long terme:
- Un pacte éducatif (définissant le rôle de l’école, la refonte des cursus pédagogiques et leur mode d’administration, la mise en relation entre la formation et le monde du travail, le rôle de l’université)
- Une refonte du système de santé afin de faire accéder les 20% les plus pauvres à la gratuité de la santé et de réformer le système de relations entre le public et le privé.
Tous les partis évoquent ces questions. En quoi Al-Joumhouri se distingue-t-il?
Par sa crédibilité, par les valeurs qu’il porte et par la cohérence de ses propositions. Il n’est pas besoin de faire la démonstration des filiations et des principes politiques, philosophiques et moraux qui ont régi la conduite de notre parti et de son leader depuis plus de trente ans.
Nous avons déjà décliné la majeure partie de ces propositions dans notre programme en 120 points pour les élections de 2011. Il a été dépecé tout au long des 30 derniers mois par la mise en œuvre de quelques actions isolées (désendettement des petits paysans, infrastructures régionales… et bien plus), sans tenir compte du fait qu’un programme politique constitue un ensemble logique et cohérent. Et qu’il faut donc l’appliquer dans son ensemble pour qu’il puisse donner des résultats. A contrario, je donnerai l’exemple de la proposition de la Troïka de créer 50 000 emplois administratifs, qui s’est traduite par un surcoût intolérable pour les finances publiques, sans aucune valeur ajoutée.
Il est bien vrai que les dernières élections ont tenu bien plus compte de questions idéologiques et religieuses que des propositions programmatiques des partis. Mais aujourd’hui, le peuple en a pris conscience. Dans ses choix, il faut espérer qu’il donnera plus de place aux programmes socioéconomiques et politiques des partis et des candidats à la présidence de la République qu’à leur obédience idéologique.
Que pensez-vous de la situation économique actuelle?
Elle est incontestablement difficile. Mais le gouvernement actuel ne dispose pas de l’appui politique nécessaire, car, je l’ai déjà écrit, il est issu d’un consensus «par le bas» qui entrave son action. De ce fait, le dialogue économique national constitue à la fois une abyssale ineptie et une vaste mystification.
Comment voulez-vous en effet mettre d’accord des partis politiques aussi divergents sur un programme économique concocté de surcroît par un gouvernement qui se déclare apolitique? Par ailleurs, il semble que ce gouvernement ait déjà opté pour une politique d’austérité, alors que le pays a besoin d’une grande politique sociale pour les 20 prochaines années, associée à une vraie révolution culturelle en matière de responsabilisation de tous les acteurs, de réhabilitation de la «valeur travail» et de définition du rôle de l’Etat. En matière de gouvernance, le pays «marche sur la tête».Des esprits normalement constitués n’ont rien à attendre d’un dialogue économique déjà biaisé à la base.
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