Réforme du système financier tunisien : quelles leçons à tirer des expériences étrangères
La Tunisie ne semble pas avoir choisi une méthode de travail claire en matière de restructuration bancaire. Il reste beaucoup de non-dits et de zones d’ombre. La Tunisie cherche un rythme de réformes qui risque de se limiter seulement à une action de nettoyage des trois grandes banques dites publiques. On entend ici ou là que la fusion des trois composantes STB – BH – BNA n’aurait pas lieu, même une fois apurées de leur crédits accrochés. Cela relèverait d’une grave erreur car tout simplement anti-économique comme on va le démontrer plus bas à travers les expériences étrangères.
Les restructurations bancaires ne se font pas à coup de slogans et encore moins en se fixant comme horizon temporel des échéances électorales. Elles exigent au contraire une pondération assises sur une vision de long terme. C’est la méthode adoptée par la Turquie, le Maroc ou la France. Elles supposent des choix audacieux et cohérents qui visent le bien-être des générations futures.
Il faut reconnaître que les grands choix stratégiques de la réforme financière en Tunisie sont de plus en plus comprimés entre les exigences des partenaires sociaux, les conditionnalités des instances internationales et les intérêts partisans de certains hommes politiques. Comment éviter qu’une grande réforme historique introduisant de la cohérence entre les différentes composantes du système financier ne se traduise en une réformette limitée au traitement des crédits accrochés par une structure de défaisance?
Les restructurations bancaires ne constituent pas un blasphème et encore moins un affront à la force de travail d’un pays. C’est une nécessité. Ce processus est en vigueur depuis plus de quinze ans dans plusieurs pays du monde. Il s’est traduit par un gain d’efficience et une meilleure résilience des banques notamment européennes face à la crise.
Nous souhaitons insister dans cette étude sur trois aspects fondamentaux de la mutation financière que devra connaître la Tunisie.
D’abord nous souhaitons évoquer des restructurations réussies grâce à une vision bancaire audacieuse. C’est le cas de certains pays d’Afrique sub-saharienne, mais aussi du Maroc. Nous évoquerons l’exemple réussi de la Turquie ainsi que celui de la France. Tous ces exemples nous les évoquons explicitement afin de montrer à nos autorités monétaires que tout est possible à condition de se doter d’une vision claire et cohérente de l’architecture du future système financier tunisien. C’est pourquoi nous attirons ensuite l’attention sur les risques d’une balkanisation bancaire. On encourage la vraie consolidation du système bancaire tunisien. Enfin on insiste sur le fait qu’il importe d’oser la construction d’un véritable système financier plutôt que de se limiter à des petites réformettes.
Banque d’Afrique sub-saharienne: la leçon a été bien comprise
Depuis quelques années déjà certaines banques d’Afrique sub-saharienne se démarquent par leur efficacité. Celles d’Afrique du Sud sont depuis longtemps considérées comme des leaders sur le continent africain. Celles du Nigeria se caractérisent par un dynamisme et une progression remarquable. Celles du Maroc ont connu une modernisation exceptionnelle avec des banques de plus en plus agressives hors de leur territoire national. Certaines banques africaines sont déjà dans la stratégie de consolidation par le marché.
Rappelons que les banques africaines ont du faire face aux nouveaux défis de la mondialisation. En effet fin des années 1990, les banques africaines ont commencé à industrialiser leur production. Ces nouvelles règles du jeu ont imposé la recherche de la compétitivité et de la productivité.
Les banques africaines sont en train de s'adapter avec succès à trois défis majeurs:
- la globalisation financière,
- le développement de la concurrence,
- l’adoption de règles prudentielles et la mise en place d’une bonne gouvernance.
Au Maroc à partir de la fin des années 1950 l'Etat a procédé à la création d'organismes financiers spécialisés et à la restructuration de certaines institutions existantes: création en 1959 de la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG), du Fonds d'Equipement Communal (FEC), de la Caisse d'Epargne Nationale (CEN), de la Banque Nationale pour le Développement Economique (BNDE), et de la Banque Marocaine du Commerce Extérieur (BMCE). En 1961 a ont été restructuré le Crédit Agricole et le Crédit Populaire. Le Crédit Immobilier et Hôtelier, qui a succédé en 1967 à la Caisse de Prêts Immobiliers du Maroc, a été réorganisé conformément aux dispositions du décret royal portant loi du 17 décembre 1968. Cette période s'est caractérisée également par la réduction du nombre des banques, qui a été ramené de 69 à 26 entre 1954 et 1961, sous l'effet conjugué de la fusion et de la disparition de certains établissements. Le système financier a gagné en efficience. Il a préparé le terrain à la naissance de champions nationaux aujourd’hui africains comme AttijariWafa Bank, BMCE et Banques populaires.
Les banques qui progressent le mieux en Afrique sont celles qui ont démarré cette mutation grâce aux restructurations et à la modernisation. Les banques les mieux armées subsisteront, les plus faibles disparaîtront selon la loi impitoyable du marché.
L’industrialisation et la rationalisation du processus de production sont devenues un impératif. Il s’agit de sortir d’un paradoxe : lutter contre les surcapacités et améliorer la bancarisation. Certains banquiers considèrent en effet qu’il y a trop d’établissements mais un maillage insuffisant.
Les banques africaines ont donc dû procéder à «une mise à jour» de leurs stratégies par des fusions-acquisitions domestiques puis transfrontières pour mieux maîtriser les coûts et exploiter des économies d’échelle. C’est l’occasion aussi de réviser les coûts de certains services encore trop élevés pour les PME-PMI. L’idée consiste aussi à exploiter des synergies par la recherche d’une envergure régionale et africaine et évoluer ainsi vers une taille optimale.
Où en sont aujourd’hui certains «leaders» ou «champions régionaux» bancaires africains?
Tous les regards se tournent aujourd’hui vers Casablanca et Lagos et leurs stratégies d’expansion vers d’autres territoires (Cameroun, Congo, Gabon, Angola…).
Certaines banques marocaines semblent avoir fait le choix de l’expansion africaine par une croissance externe transfrontière. Le système bancaire marocain a été pour l’essentiel privatisé. Les quelques banques publiques qui restent sont en train de l’être.
On a besoin de vrais banquiers africains visionnaires plus que de banques
Les banques qui progressent le mieux en Afrique sont donc celles qui ont engagé il y a plusieurs années d’audacieux programmes de modernisation (rationalisation de la production et maîtrise des coûts, restructuration et recapitalisation des banques, lutte contre la sous-bancarisation, consolidation du maillage bancaire…). Les banques africaines sont de plus en plus efficaces et n’ont généralement rien à envier à leurs consœurs des autres continents.
Ainsi, depuis quelques années, on parle d’une véritable GBBA: «Grande bataille bancaire africaine» qui se manifeste par des stratégies de «conquête» qui partent de Lagos et de Casablanca. A l’étroit sur leurs marché domestiques elles sont une dizaine de banques nigérianes et marocaines à renforcer leur présence africaine.
Exemples de GBBA : la stratégie africaine des banques marocaines
Acquéreur | Cible | Année |
Attijariwafa Bank | Crédit agricole du Cameroun - 65% en cours | 2009 |
Attijariwafa Bank | Compagnie bancaire de l’Afrique occidentale (Sénégal) - 79,15% | 2008 |
Attijariwafa Bank | Banque Internationale du Mali – 51% | 2008 |
Attijariwafa Bank | Banque Sénégalo-Tunisienne – 66.6 | 2007 |
Attijariwafa Bank | Banque du Sud (Tunisie) - 33,54% | 2005 |
BMCE | Bank of Africa (Group) – 50,5% | 2008 |
BMCE | Axis Capital (Tunisie) – 50% | 2005 |
BMCE | La Congolaise de Banque – 25% | 2004 |
BMCE | Banque de développement du Mali – 27,38 | 1989 |
Source : d’après les auteurs – sites des banques
Certaines banques nigérianes ont également adopté cette stratégie d’expansion transfrontière. Cette approche se traduit par l’apparition de banques dynamiques et de stratégies agressives d’expansion même hors Afrique anglophone. Ce comportement est un peu normal. Les banques nigérianes sont un peu plus à l’étroit sur leur territoire domestique. La concentration du marché bancaire nigérian a considérablement augmenté : de 89 banques en 2005 il ne restait plus que 25 en 2007. A cela s’ajoute un afflux de devises lié à l’envolée des prix du pétrole. Ainsi le PNB de Access Bank a augmenté de 109% en 2007 et ses profits ont été multipliés par huit. Les profits de GT Bank ont aussi augmenté de 60% en 2008 et ceux de Zenith Bank de 100%.
Il en résulte qu’en décembre 2008, UBA rachète 37,84% de la BIB (Banque Internationale du Burkina), deuxième banque au Burkina. Une rude concurrence s’est déclarée avec d’autres acteurs panafricains comme Ecobank ou Attijariwafa Bank. UBA est installée dans 7 pays dont 2 francophones. En avril 2008, Access Bank rachète 88% de l’ivoirien Omnifinance. La même stratégie d’expansion est dupliquée par GT Bank et Zenith Bank.
Le cas d’Ecobank : une banque panafricaine… au service de l’Afrique
Poids lourd d’Afrique de l’Ouest, Ecobank est présente dans bientôt trente pays grâce à l’alliance avec le leader sud africain Nedbank. En général, ce type d’alliance préfigure un premier pas vers une fusion.
Il s’agit d’une banque dynamique. Entre 2005 et 2007 le total de son bilan a été multiplié par trois. Son PNB a augmenté de 130% et les bénéfices de 172%.
Le secret de sa réussite réside dans le déploiement d’une stratégie cohérente de banque «à tout faire» ou «One stop shop» répondant aux besoins de la population par une diversification dans la limite de son «cœur de métier»: la banque de détail.
Les banques africaines sont-elles prêtes à affronter les bourrasques du capitalisme financier et les stratégies violentes «prédateurs-proies» qui en résultent? L’Etat a sans doute un rôle à jouer ici. Ce rôle est à définir au nom d’un certain «patriotisme économique» utile au développement de l’Afrique.
On assiste ainsi en Afrique au développement d’une culture bancaire africaine en phase avec la mondialisation. Avec une faible bancarisation, en moyenne autour de 6%, le marché africain est prometteur. Comment les grandes banques africaines pourront-elles déployer une stratégie d’expansion efficace ? Pour y parvenir, il y a des préalables à observer en vue d’assainir et de rechercher l’efficience. On peut en évoquer trois.
- Lutter contre les inefficacités par une meilleure gestion de la production et des coûts.
- Rapprocher les lignes de métiers qui présentent des synergies et éviter les doublons afin de bâtir des banques universelles cohérentes; des «One Stop Shops» utiles aux usagers.
- Contribuer à un meilleur cadre légal permettant une gestion efficace des risques.
Turquie: des restructurations et une vision bancaire audacieuses
En Turquie les réformes bancaires ont été entreprises avec succès. En effet les restructurations en vigueur depuis plus de quinze ans ont porté leurs fruits. Il y a eu une réduction importante du nombre de banques: de 79 en 2000 le nombre de banques Turques est passé à 48 en 2005 date, d’entrée en vigueur de la convertibilité de la livre Turque. Le programme de restructuration et de recapitalisation a contribué à assainir le financement de l'économie de le revigorer et à le rendre résilient face à la crise de 2008. Cette restructuration s’est traduite aussi par un gain d’efficience considérable.
Système bancaire Turc: baisse des crédits accrochés et amélioration de la résilience grace à des réformes audacieuses
Des fonds propres conséquents imposés par un Régulateur très conservateur…
Au regard des niveaux internationaux, le niveau de fonds propres des banques turques est traditionnellement très élevé, le ratio de fonds propres (CAR) étant de 19,5% fin mai 2010 après avoir dépassé les 20% fin 2009.
Des rendements élevés…
Depuis 2006, si on le compare aux standards internationaux, le secteur bancaire turc affiche des RoE très impressionnants qui vont de pair avec une stabilité d’ensemble de la marge brute d’intermédiation autour de 5%.
Un taux d’encours douteux maîtrisé
Extrêmement dépendante de la demande étrangère, en particulier européenne, l’économie turque a été touchée de plein fouet par la crise économique : en 2009, le PIB réel a connu une baisse de 4,8%. Entraînant son cortège de faillites et de défaillances, on pouvait s’attendre à ce que la récession se traduise par une forte hausse des impayés et des défauts sur les crédits. Si cette hausse a bien eu lieu, force est de constater que son ampleur a été finalement limitée, puisque le taux d’encours douteux (NPL ratio), après être monté à plus de 5,5% en cours d’année 2009, est descendu à moins de 4,5% (à fin juin 2010). De plus, il est à noter que les encours douteux sont globalement bien provisionnés (avec un taux de provisionnement de 83,6% fin décembre 2009), même si ce taux est en baisse ces dernières années (90% mi-2006). Bien entendu, parmi les facteurs explicatifs du ratio de NPL relativement modéré, figurent le «traitement comptable» permis par le BRSA (Agence de régulation et de supervision bancaire) et les mesures permettant de restructurer préventivement les prêts potentiellement douteux. Bien qu’il soit difficile d’évaluer l’impact réel de ces mesures, le Régulateur bancaire estime que sans celles-ci, le taux de NPL aurait vraisemblablement atteint 8%.
Source : D'après Anselme IMBERT, Banque de France, Conseiller Financier de l’Ambassade de France en Turquie (2010).
Le système bancaire Turc va connaitre des évolutions importantes. Relativement rustique dans son modèle et solide dans sa structure, le système bancaire turc n’est pas pour autant figé. Il a connu des évolutions importantes. Parmi ces évolutions les principales concernent la fin de la surliquidité structurelle et l’augmentation de la part des prêts dans le total du bilan ; sur ce dernier point, les évolutions réglementaires ont contribué à un basculement vers le système bancaire turc des financements corporate en devises qui se faisait en grande partie off-shore.
Le poids du financement de l’Etat s’amenuise. En offrant des taux élevés sur ses bons du Trésor, l’Etat a longtemps permis aux banques de bénéficier de rendements élevés sur des placements sans risque. Ce faisant, il a provoqué un effet d’éviction vis-à-vis des emprunteurs privés. La politique d’assainissement des Finances Publiques menée depuis 2002 dans le cadre des programmes successifs avec le FMI a porté ses fruits et, en réduisant le poids de la dette publique, a permis, peu à peu de diminuer le poids des titres publics dans le total de bilan des banques.
France: une réforme financière pour mieux servir le financement de l’économie
Rappelons qu’à partir de 1984, la France s’est attelée, tous bords politiques confondus droite et gauche, à revoir son système financier en vue d’améliorer le mode de financement de l’économie française. Comble de l’ironie, cette grande réforme d’inspiration libérale, sans doute la plus grande de l’histoire financière de France, basée sur l’ouverture totale sur les marchés de capitaux était menée par le premier gouvernement socialiste de l’histoire de la cinquième république. Cette réforme a pris d’ailleurs le nom de son instigateur : on parle de la réforme Bérégovoy. Ce rappel de l’histoire financière nous enseigne deux faits : d’abord quand il s’agit d’arrêter des orientations économiques de long terme les couleurs politiques se diluent pour ne constituer qu’une seule celle qui défend l’intérêt suprême de la nation. On retient ensuite, qu’une politique économique se gère à court terme, mais aussi à long terme et que certains choix, disons techniques, doivent être réalisés indépendamment des échéances électorales. Notons pour la petite histoire que c’est grâce à cette réforme, instaurant le modèle de la banque universelle, que les banques françaises ont mieux résisté à la crise de 2008. La restructuration bancaire par concentration s’est poursuivie à un rythme soutenu. En France le nombre d’établissements est passé de 1033 en 1980 à 543 en 1998. En Europe le nombre total d’établissements a diminué régulièrement, confirmant cette tendance à la concentration. Dans la zone euro à 12, à la fin de l’année 2005, le nombre d’établissements de crédit était de 6 308 alors qu’il se situait à 7 213 en 2001. Au sein de l’Union européenne à 25, ce chiffre était de 8 684 en 2005 et de 9 747 en 2001. Cette tendance a été plus marquée en Allemagne, en France et aux Pays-Bas.
Eviter la balkanisation du système bancaire tunisien
Le système bancaire tunisien ne peut pas s’extraire de cette dynamique mondiale de modernisation financière par consolidation bancaire. Il s’agit là d’une condition nécessaire à un meilleur financement de l’économie.
Les restructurations devraient se traduire par un désengagement progressif et prudent de l’Etat. La stratégie de concentration, en général par fusion-acquisition, est indispensable car elle renforce les fonds propres et la sécurité des banques. Ces fusions renforcent aussi la concurrence oligopolistique entre acteurs majeurs et améliorent la qualité des services et encouragent l’innovation. Des synergies de revenus et de coûts résultent d’une meilleure organisation de la production bancaire des entités qui fusionnent grâce au potentiel d’économie d’échelle. Les synergies de revenus consistent à améliorer l’efficience technique par un renforcement de l’échelle de production. Les synergies de coûts visent l’augmentation de l’efficience allocative par une meilleure combinaison des facteurs de production. Ces dernières résultent des économies d’échelle et des économies de gamme. Il devient ainsi plus profitable de produire ensemble des produits qui présentent des synergies que de les produire séparément.
La recherche d'une meilleure efficience et d'une taille critique sont autant de facteurs qui poussent vers la restructuration du système financier et bancaire dans un pays comme le notre. L’ensemble des synergies résultant des avantages procurés par les fusion-acquisition et de la complémentarité entre les différents produits et services, notamment au niveau des coûts est prouvé aujourd’hui par l’ensemble des travaux qui y ont été consacrés ces vingt dernières années. Elles se traduisent en particulier par l’utilisation commune des différents moyens de communication et de distribution. Elles reposent aussi sur l’intégration des différentes équipes, des systèmes informatiques et de la combinaison des différents services et départements. Elles sont enfin conditionnées par la rationalisation des réseaux et des canaux de distribution. Pour la Tunisie, cette démarche, dont l’efficacité est aujourd’hui unanimement admise de par le monde, doit être accompagnée au plan social afin d’atténuer les résistances. Des plans de formation, de mise à niveau et de reconversion des collaborateurs au sein des banques constituent une des conditions préalables. Constituer des champions bancaires nationaux est donc une priorité.
Consolider et assainir le système bancaire pour qu’il joue enfin son rôle de moteur de la croissance notamment au niveau régional et de lutte contre l'exclusion au plan social. Ce rôle social des banques tunisiennes devra se traduire par la création de Banques régionales de financement de projets. Ces BRF devront s'appuyer sur le Réseau National des Pépinières d’Entreprises composé de 30 pépinières. Ces BRF s'appuieraient sur la Caisse de dépôts et consignations qui canaliserait des ressources de long terme (Ressources d’épargne, dépôts, consignations….), pour des investissements régionaux de manière souple et rapide.
Tunisie: re-construire un véritable système financier
Quand on parle du système financier, on se limite généralement au système bancaire alors que l'analyse doit englober, entre autres, les marchés des capitaux qui restent largement sous-développés en Tunisie. En particulier la non existence d'un marché de taux représente un handicap majeur pour le développement d'un marché obligataire qui permettrait de mobiliser les ressources longues pour financer l'économie. En Tunisie nous n'avons toujours pas une courbe de taux alors qu'au Maroc elle s'étale sur 20 ans.
La bourse de Tunis est très maigre avec une capitalisation qui ne représente que 25% du PNB alors qu'au Maroc la capitalisation boursière dépasse 70% du PNB. L'absence quasi-totale des investisseurs institutionnels, et la difficulté que rencontrent les investisseurs étrangers à accéder à l'ensemble des segments du marché des capitaux sont des handicaps majeurs.
Alors qu'à la fin des années 80, le marché financier tunisien était considéré comme un modèle pour les pays du Maghreb et en Afrique, aujourd'hui il et nettement à la traîne. Ceci est particulièrement vrai quand on le mesure par rapport à la sophistication des produits et services offerts. Par exemple, au Maroc des produits de couverture de risques (hedging) aussi bien de taux que de change existent depuis 15 ans (options de change, options de taux, swaps de taux et de change, options sur actions, etc.). Même les produits les plus classiques tels que la bancassurance n'existent toujours pas en Tunisie.
La Tunisie enregistre du retard dans d'autres domaines spécialisés tels que le Private Equity, les opérations de capital transmission (LBO/MBO), et le Corporate Finance.
En matière d'inclusion financière et d'économie sociale et solidaire, la Tunisie a aussi beaucoup de chemin à rattraper particulièrement dans les domaines de la micro-finance, de la micro-assurance, et du mobile banking. Il est intéressant de noter à cet effet que Bank Al-Maghrib a décidé récemment de prendre en charge la supervision des instituts de micro-finance, et de loger en son sein la centrale des risques alors qu'en Tunisie la création d'un crédit bureau traine depuis des années.
L’heure tourne. Le compte à rebours est en marche. A l’instar de nombreux pays africains et européens, la Tunisie ne peut pas rater ce rendez-vous historique, celui d’une réforme globale de son système financier. Il y va de la survie de son tissu entrepreneurial. Notre économie ne pourra jamais atteindre son plein potentiel sans un système financier robuste. Une solidarité de place est indispensable pour imaginer tous ensemble, opérateurs bancaires et non bancaires mais aussi Etat, la voie de sortie de cette impasse.
Dhafer Saidane
Professeur, SKEMA
et Université de Lille Nord de France
Jaloul Ayed
Banquier, ancien Ministre des Finances de Tunisie
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