Le rossignol de la radio: Adel Youssef
L’histoire de la radio tunisienne fourmille de voix immortelles, tels Abdelaziz Laroui, Abdelaziz Riahi, Mohamed Maherzi, Ahmed Laamouri, Tahar Mbarek, Brahim Mahouachi et beaucoup d’autres… Adel Youssef, lui, a un statut à part.
Son histoire personnelle est non seulement atypique mais relevant de l’allégorie tant l’homme a connu une trajectoire digne d’un scénario égyptien. Cela coule même de source puisque ce speaker, animateur et producteur est originaire du pays du Nil ayant vécu une enfance particulièrement perturbée, une jeunesse très animée entre Alexandrie, la Libye et Tunis. C’est finalement à Tunis qu’il s’installa définitivement en 1959. La suite est une belle carrière à la Radio tunisienne qu’il a honorée de sa voix, de sa gentillesse et de son humilité, devenant l’un de ses principaux emblèmes. Adel Youssef est né à Alexandrie le 29 décembre 1939. Son père, Awadh Abdellatif Ali, est originaire d’Essaid, le Haut Nil ; sa mère est tunisienne, fille de Mokhtar Ayari, bras droit du syndicaliste Mohamed Ali Hammi. Première dure épreuve : l’enfant perd sa mère à l’âge de six mois. Son père est affligé et souhaite s’expatrier à Tunis pour y mourir par attachement et fidélité à la défunte. Les incertitudes commencent alors à peser sur la vie du môme et c’est son grand-père qui l’entoure d’une affection particulière pour le protéger contre les aléas de la vie. Sa scolarité à Alexandrie est globalement bien menée malgré les effets de l’orphelinat, surtout quand il observe avec frustration la tendresse reçue de ses collègues de la part de leurs mères quand elles les accompagnent sur le chemin de l’école.
A douze ans, il parvient à partir pour la Tunisie en s’accolant aux pèlerins tunisiens de retour des Lieux saints par la voie terrestre. C’est sa première aventure qui lui offre un rôle à la radio avec le concours de son oncle pour les besoins d’un scénario, son accent égyptien et son éveil ayant plaidé en sa faveur. Mais l’expérience est très éphémère malgré une seconde chance qui se présente à l’âge de dix-sept ans en Egypte et qui lui fait découvrir le monde des arts : Tahia Kariouka, Ibrahim Hamouda, Kamel Baraket...A Alexandrie, il est déterminé à poursuivre ses études tout en mettant en filigrane un projet qui lui tient à cœur : revenir à Tunis. En 1956, il écrit à Nasser pour lui exprimer son admiration pour le nationalisme arabe tout en lui demandant par ricochet de lui faciliter l’obtention d’un passeport. Peine perdue ! La persévérance aux études devient alors son seul refuge et une passerelle de salut, sans qu’il élimine de son esprit son rêve : s’installer à Tunis.
En 1959, le bac en poche, il commence à guetter la première opportunité pour faire le périple tant souhaité. Sans titre de voyage, il lorgne du côté des Tunisiens dont Mohamed Badra, diplomate en poste en Libye. S’organise alors une aventure qui durera un mois. Il part à bord d’un camion revenant à Benghazi après l’export de moutons de Libye vers l’Egypte à l’occasion de l’Aïd El Kébir. Avec cinq cents livres offertes par Mohamed Badra, les chances d’arriver à Tunis sont sérieuses. Adel Youssef vit alors toutes les sensations d’un Arabe passant d’une configuration sociale à une autre, d’un dialecte à un autre et d’un régime politique à un autre. Il n’en a pour le moment cure, son esprit est focalisé sur son objectif : Tunis. Son périple le conduit à bon port et lui ouvre une nouvelle vie. Il a vingt ans, des rêves d’enfance à réaliser et une aspiration qui le passionne au-dessus de tout. «Celui qui se perd dans sa passion a moins perdu que celui qui a perdu sa passion», disait Alexandre Jardin.
Ses débuts à la radio tunisienne sont timides, cela va de soi. Il est enrôlé comme aide speaker, ou speaker en formation. Sa rémunération est à la pièce sous forme de cachet. Ce n’est pas le plus important pourvu qu’il s’accroche. Trois ans s’écoulent dans cette formule qui lui permet de réaliser trois rêves: s’adapter à la culture tunisienne, se familiariser avec le milieu professionnel et apprendre un métier sur le tas. Il découvre alors les ténors de la radio. D’abord Abdelaziz Laroui, le géant, avec qui un souvenir impérissable sera retenu : alors que Laroui enregistrait son samar, il a été surpris par la présence d’un intrus à la régie, ce qui le mit hors de lui, ne voulant pas que la virginité de son émission soit efflorée par quiconque, la primauté étant réservée aux auditeurs. L’intrus, c’était Adel Youssef. Il y avait également Tahar Mebarak, Mohamed Maherzi, Malika Ben Khamsa, Zoubeida Bchir, etc. Leurs productions constituent un repère et leurs talents une indication qu’il faut briguer. Ce n’est qu’en 1962 qu’on lui accorde le direct. Il est prêt, justifie la confiance placée en lui et la chance qu’on lui a accordée. Son parcours est donc lancé pour un bail qui durera plus de quarante ans.
Les auditeurs de la radio nationale se familiarisent rapidement avec cette nouvelle voix égyptienne de souche mais convertie au tempo tunisien. Adel Youssef doit souffrir le martyre devant la prononciation de son nom : Adel Iwadh au lieu de Awadh. Il tranche la question en optant d’abord pour le patronyme de son grand-père, devenant Adel Abdellatif. Et c’est finalement son admiration pour le speaker égyptien Abdelwaheb Youssef qui le dirige vers une appropriation de ce nom. Il se fraie un chemin et grâce à sa politesse, son sérieux et son humour inné d’Egyptien, il cumule les amitiés, les sympathies et le respect. Ses débuts avec une émission mêlant poésie et chansons après les informations de 14h le mettent en pole position, s’agissant d’une heure de grande écoute. Les échos sont favorables, voire flatteurs. Le plus jeune speaker de la radio tunisienne obtient une promotion : il animera une émission en direct pendant tout le mois de Ramadan en alternance avec Abdelaziz Riahi. Une heure avant la rupture du jeûne, il présente un cocktail de spiritualités, de psalmodies et de chants religieux, tout en agrémentant le tout par du Hadith et des sagesses islamiques. C’est le « Salut du crépuscule» (tahiattou el ghouroub). En 1964, l’alternance cesse à la faveur d’une décision de Mzali, directeur général, mécontent d’une défaillance involontaire de Riahi. Sa voix suave et son élocution rythmée et maîtrisée, ainsi qu’un timbre nouveau le distinguent de tous les autres préposés à l’antenne.
La carrière de Adel Youssef est donc sur les rails et le parterre d’artistes qui sillonnent la radio lui inspire d’autres ambitions. En croisant régulièrement Ali Riahi, Hédi Jouini, Mohamed Triki, Mohamed Jamoussi, Naama, Oulaya, etc., il ne peut rester insensible à l’art et au raffinement. Il lui échoit alors le privilège d’ouvrir les émissions radiophoniques dès 6 heures, ce qui l’a astreint à un mode de vie conséquent. Mais il lui arrivait de se réveiller de justesse avec l’aide des huissiers de la radio accourus pour éviter un flop. Adel Youssef se souvient même des arrivées au studio en pyjama, quelques aventures en sus avec les agents de sécurité néophytes et médusés par ce qui leur semblait comme un badaud impromptu.
La télévision, démarrée en mai 1966, lui ouvre ses bras mais Adel Youssef ne mord pas à l’hameçon en raison d’une prétention excessive qu’il reconnaîtra beaucoup plus tard avec beaucoup d’humour et de dépit. Il s’exerce aussi à la chanson pour les besoins d’un générique d’une dramatique La grande miséricorde, texte de Mustapha Abderrahmane et composition de Hédi Jouini, une expérience sans lendemain. Il produit et présente plusieurs émissions «Voyage sans passeport», «Sur la plage», «Un homme de mon peuple», «Une ville de mon pays». Il coopère régulièrement avec les différents services de la radio sans toutefois s’impliquer dans des émissions politiques, faute de «compétence». Il lui est revenu aussi de lire des textes littéraires pour les valoriser davantage grâce à sa diction et son timbre. Son émission du mois Saint change de dénomination, devenant «Ramadan miliou kouloubina» puis «Ramadan karim».
C’est le rendez-vous rituel et la chasse gardée de Adel Youssef jusqu’à son départ à la retraite en 2005, qui a coïncidé avec une longue maladie. Ce sont Moez Gharbi et Walid Tlili qui assurent avec réussite la continuité de cet ogre de la radio. Il effectue un court come-back huit ans plus tard, histoire de répondre à un public nostalgique et fidèle. Tous ceux qui l’ont connu ou côtoyé lui reconnaissent des valeurs humaines et professionnelles de premier ordre. C’est ce qui lui a rapporté le respect, la considération et beaucoup d’admiration. Marié à une Tunisienne depuis 1966, trois ans après le contrat de mariage, Adel Youssef se contente aujourd’hui de vivre le statut d’époux, de père et de grand-père dans la sérénité et le bonheur, quand l’actualité en Tunisie, et accessoirement en Egypte, lui en offre la possibilité.
Mohamed Kilani
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texte tres bien redige . relatant le parcours d'un grand homme qui a beaucoup donne a la radio tunisienne en tant que producteur ; animateur et speaker ; adel youussef s'est distingue par son serieux son abnegatin et son amour illimite pour le metier ; homme digne de respect
Désolé de vous contredire, gentiment : si quelqu'un à Radio-Tunis ne saurait être qualifié de "rossignol", c'est bien Adel Youssef ! Ténor, oui, stentor même, mais sans doute pas rossignol! Il nous a longtemps apporté les nouvelles du journal parlé, bonnes et mauvaises sur le même ton, grâce à une voix qui défiait les décibels, et nous avons tous grandi au son de sa voix d'airain, et à ce titre il fait partie de notre patrimoine national, tout comme Mounir Chamma, un autre Egyptien qu'on aime intégrer dans notre identité. Toutefois, ce fut une erreur de lui confier la lecture de poèmes, précisément en raison de la force de sa voix, qui ne se prêtait pas à la modulation nécessaire à la poésie, sous peine de la transformer en déclamation d'édits municipaux sur la grand' place du village !
J'ai côtoyé Adel Youssef plusieurs années en travaillant dans le même studio à la Radio Télévision Tunisienne. Vraiment c'est Homme compétant et modeste en même temps, je garde des bonnes souvenir de lui surtout les mois de Ramadan.
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