Deux ou trois petites choses à rappeler à propos de la Libye
Un voisinage ne constitue pas forcément une relation, sauf que dans le cas de la Tunisie et de la Libye, le voisinage a façonné une relation puissante, complexe et indestructible. Il suffit de regarder une carte pour se rendre compte à quel point l’espace tuniso-tripolitain est continu et fluide. Entre le Sud tunisien et la Tripolitaine, il n’existe pas d’obstacles majeurs qui aient pu entraver les échanges et les mouvements de population durant plusieurs siècles. Ce qui sépare les deux pays est finalement aussi mince que celui qui sépare Remada de Tataouine, Ben Guerdane de Médenine, Douz de Kébili ou El Hamma de Gabès. La frontière entre la Tunisie et la Libye est si artificielle qu’elle en devient à être impossible à boucler et à contrôler, même à coups d’électronique et de drones.
Soumise d’abord aux Aghlabides de Kairouan, ensuite aux Fatimides de Mahdia et plus tard aux Hafsides de Tunis, la Libye (du moins pour ce qui est de la Tripolitaine) partage avec la Tunisie une très longue histoire commune et entretient avec elle des rapports continus même quand les grandes puissances européennes ont imposé une frontière qu’elles voulaient hermétique. Avec ou sans le consentement des autorités, l’espace commun tuniso-libyen a constitué un refuge pour les activistes et les résistants des deux côtés de la frontière. La présence sur le territoire tunisien de Gouma El Mahmoudi au milieu du dix-neuvième siècle et du Cheik Souf El Mahmoudi au début du vingtième l’atteste et permet de prendre la pleine mesure de la solidité des liens qui unissent une bonne partie de la population tunisienne du sud avec les Tripolitains en particulier, les Libyens en général.
Tout rapproche des localités entières du sud-est tunisien avec la Tripolitaine : accent, tournure des phrases, origine tribale, habitudes alimentaires, etc. Quand on entend parler à Kébili ou à Ben Guerdane, on se rend compte que l’accent se distingue peu de celui pratiqué de l’autre côté de la frontière et que si des nuances existent, elles restent moins nettes que celles marquant l’accent de Sfax ou de Tunis. Kébili, pour ne pas la citer, a vu naître un ancien Premier ministre libyen et un ancien ambassadeur à Tunis. Les chansons que l’on chante dans ma propre famille à l’occasion des mariages sont exactement les mêmes que l’on retrouve dans les mariages aux Mahamides et à Béni Walid, chef-lieu d’une province (on dit baladia en Libye) qui porte le nom complet de ma famille. Entre le sud-est tunisien et la Tripolitaine libyenne, les points de concordance l’emportent aisément sur les points de discordance.
Ce qui se passe en Libye ne peut donc pas être vécu par nombre de Tunisiens comme un malheur qui frappe un pays voisin. Le malheur qui frappe les Libyens, qu’ils soient Tripolitains ou non, que nous ayons avec eux des liens familiaux ou pas, nous interpelle directement puisque à bien y réfléchir, le feu est bien dans notre propre maison, pas dans la maison voisine. Cela devrait nous inciter à regarder la Libye et les Libyens autrement, c’est-à-dire avec moins de distance et de condescendance.
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Vous oubliez Ali Ben Khelifa caid des Neffets qui a opposé une resistance héroique à la colonisation française et qui s 'est réfugié en Lybie ou il est décédé et enterré