Opinions - 05.08.2014

La charge harassante du patriotisme

De toutes les passions humaines, celle vouée à la patrie est certainement la plus dévorante et la plus chargée de servitude et d’exigence. De nos jours, le patriotisme de beaucoup n’est qu’un patriotisme «circonstanciel» à éclipse qui ne s’exprime qu’à l’occasion d’un match de football, de manifestations sportives majeures comme les Jeux Olympiques ou pour «accompagner» des évènements politiques exceptionnels. Il ne se traduit pas par une posture de tous les instants, ne commande pas l’itinéraire social, politique et professionnel et ne transcende en rien l’action individuelle au service du collectif. Mais pour une minorité, le patriotisme va très au-delà de l’évènementiel et du communautaire.

Pour elle, le patriotisme est d’abord «une entrée en religion», un sacerdoce, un mode de vie et de pensée et un engagement supplantant tous les autres engagements. Tout est vécu, rêvé, décidé et acté en fonction de ce que l’on croit être conforme à l’intérêt supérieur du pays et tout lui est sacrifié: son temps, sa santé, sa carrière, son confort matériel, ses devoirs familiaux, le repos de son âme et, s’il le faut, la «considération» de ses propres concitoyens. En cela, le patriotisme ne constitue pas une passion solidaire comme l‘affirme Bakounine mais bien une passion solitaire. Il n’est pas non plus «la plus sotte des passions et la passion des sots» à moins de considérer la multitude comme forcément intelligente et la singularité comme obligatoirement débile.

Les dictionnaires définissent le patriotisme (du latin pinder, parrain) comme «un sentiment d’appartenance à un pays, la patrie, qui renforce l’alliance selon des valeurs communes». Mais la question est: quelles sont ces valeurs et dans quelle mesure peuvent-elles être communes ? S’agit-il de valeurs «réelles» ou de valeurs «sublimées»? Et puisqu’il est question d’alliance, un terme qui évoque, peu ou prou, «l’arche d’alliance», la question est aussi de savoir si cette alliance est du type «social», séculier par définition, ou du type «divin», régulier par nature? Dans ces conditions, le «défaitisme» de l’immense majorité des Français en 1940 et de ses élites tout particulièrement doit-il être  interprété comme un partage de certaines valeurs communes, auquel cas la prétention du Général à incarner les vraies valeurs de la France n’a guère de sens, ou faut-il, au contraire, souscrire à l’infaillibilité d’un seul ou d’une toute petite minorité face à l’aveuglement de presque tous ?

Le problème est que l’intransigeance qu’insuffle le patriotisme peut conduire à l’isolement et à la marginalisation, mais aussi au mépris de ses propres concitoyens, au motif qu’ils ne se montrent pas à la hauteur de l’idéal élevé qu’est le patriotisme. Le Général de Gaulle traitait les Français de «veaux», ce qui ne l’a toutefois pas empêché de se soumettre loyalement à leur verdict électoral tout en gardant jalousement intacte «une certaine idée de la France». Bourguiba, aimant sa Tunisie au-delà de toute exégèse et de toute polémique, n’hésita pas moins à parler de «poussière d’individus» tout en faisant continuellement fi de l’avis de ses propres concitoyens, en pratiquant un «périalisme » qui a fait le lit de la dictature. Dans un cas comme dans l’autre, le patriotisme a conduit à se couper, charnellement et politiquement, de ceux avec qui on est censé partager des «valeurs communes».  Depuis au moins deux siècles et l’apparition des Etats nations, le patriotisme a alimenté la guerre avec ce cynisme insupportable propre aux classes dirigeantes qui consiste à donner en pâture, sans mauvaise conscience, la vie du plus grand nombre et des plus humbles. Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, les pays défaits, l’Allemagne et le Japon, n’ont pas eu d’autre choix que de canaliser leur patriotisme d’antan en faveur de l’excellence économique, industrielle et technologique. Ce qu’on peut espérer est que la même «transmutation» puisse se réaliser dans notre pays faisant passer l’action déterminante du patriotisme du recouvrement de l’indépendance vers la réalisation d’un projet et, pourquoi ne pas le dire, vers une ambition nationale enivrante et mobilisatrice.

H.T.

 

Tags : bourguiba   Tunisie  
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1 Commentaire
Les Commentaires
T.B. - 06-08-2014 00:03

Paradoxalement c´est ce que vous dites á la fin de votre article qui convient mieux pour definir le patriotisme moderne, pour la Tunisie de demain mais que ce pa patriotisme est aussi le patriotisme appliqué aujourd´hui en Occident, c´est donc "une ambition nationale énivrante et mobilisatrice". Seulement tel qu´il est en Europe, ce patriotisme est devenu une identité nationale mais qui explique l´appartenance á "un ordre hégémonique mondial", l´Occident, ce vocable est tellement employé qu´on nomme la plupart du temps les étrangers de non "occidentaux", en réalité on vise les gens d´origine arabo-musulmane. Ce patriotisme devient en quelque sorte "racial" et toutes les discussion avec l´étranger tourne autour de ce thème.Cela dit vous avez raison qu´il est necessaire d´ajouter un projet patriotique, "sobre" non haineux, au projet démocratique. Il est necessaire parce qu´il unifie les citoyens étant donné que la vie économique et socaile est trés conflictuelle(salaire, condition de travail etc..) et de ce fait il faut avoir ce patriotisme auquel tout le monde hadère d´ailleurs. Je pense qu´il est aussi necessaire pour l´Occident ce patriotisme, seulement je lui reproche ce "nationalisme-racime étriqué". Il me parait que votre analyse du "patriotisme" s´arrête tout de suite á l´aprés guerre. En tout cas le patriotisme tel qu´on l´a défini est necessaire et il faut y penser dès maintenant parce que la démocratie n´est pas suffisante pour reussir par elle meme; il faut un certain (nationalisme-patriotisme)´mais qui ne crée pas d´ennemis sans raison comme c´est le cas en Occident. Pour eux il s´agit de "l´homo Occidentatus".

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