Tous Présidents!

«Elections are just a beauty contest for ugly people» (les élections ne sont qu’un concours de beauté pour des gens laids). Michael Hardt

Comme elle est belle notre Tunisie ! Tellement belle que trois présidents lui font une cour assidue depuis bientôt trois ans. Mais ni celui de la République, ni celui de l’Assemblée, ni celui du Gouvernement ne sont suffisants. Notre si beau pays mérite plus…de présidents. N’est-il pas peuplé de nous. Et nous, ne sommes-nous pas les plus beaux et les plus intelligents…Il n’y a qu’à compter tous ceux parmi nous qui sont récompensés, primés, fêtés de par le monde. Depuis janvier 2011, le nombre de Tunisiennes et de Tunisiens reconnus et distingués par l’attribution d’un prix, d’une récompense ou d’une décoration est impressionnant. Sans prétendre à l’exhaustivité, rappelons…pour mémoire :

• M. Ghannouchi a  été consacré comme l’un des «100 penseurs les plus influents de l'année 2011» par la revue américaine « Foreign Policy », fondée par Samuel Huntington, le père de la théorie du choc des civilisations.
• En  2012, Ghannouchi et Marzouki ont été les lauréats du prix  du think tank britannique Chatham House connu officiellement sous le nom de l’Institut Royal des Affaires Internationales.  «Pour les compromis qu'ils ont obtenus au cours de la transition démocratique en Tunisie. Représentant les deux faces d'une même médaille, ils ont ensemble assuré que la Tunisie demeure à la fine pointe de la nouvelle vague démocratique au Moyen-Orient et Afrique du Nord», explique l'organisation britannique. (Avez-vous bien entendu  «Les deux faces d’une même médaille»)
• En 2014, un groupe de Tunisiennes sélectionnées pour prendre part à une formation organisée par le programme des bourses de l’Institut George W. Bush. L’Institut Bush est un département du Centre présidentiel G.W. Bush, basé au campus de la Southern Methodist University (l’Université méthodiste du sud) de Dallas, au Texas, où les participantes au stage recevront en très grande partie cette formation en leadership. Ce programme, baptisé Bourse de l’initiative des femmes, a été mis en place en 2012 et s’est fixé l’objectif de permettre à des femmes invitées du Moyen Orient et d’Afrique du Nord d’améliorer leur savoir-faire en matière de leadership. (Les femmes irakiennes apprécieront)
• L’association tunisienne Aswat Nissa a reçu lundi 19 mai, à Washington D.C., le prix «Madeleine K.Albright Award 2014» du National Democratic Institute (NDI). L’organisme a été sacré pour son projet «l’Académie politique des femmes» qui vise à accompagner les candidates tunisiennes en vue des futures élections municipales. A noter que les détracteurs de Madame Albright l'accusent de crimes de guerre en raison de son soutien aux sanctions internationales contre l'Irak.
• En juin 2014, le Centre d'étude de l'islam et de la démocratie à Washington (CSID) a décerné le prix du Musulman démocrate au bloc d'Ennahdha à l'ANC. Cette récompense  présentée comme un prix international a été attribuée au parti islamiste tunisien par le CISD, un centre dirigé par Radhwan Masmoudi, un lobbyiste d’origine tunisienne qui ne cache pas ses penchants Nahdhaouis…
• La liste pourrait s’allonger avec les noms des personnes cette fois-ci réellement méritantes comme Lina Ben Mhenni, Souhayr Belhassen, Pr. Abdeléjil Temimi, Nadia Khiari  et bien d’autres… «N’en jetez plus !lance La Petite Voix et de demander, excédée: pourquoi tant d’honneur ? Pourquoi cette avalanche de trophées ? Jamais on n’a tressé autant de lauriers à des ressortissants d’une révolution.»
• La Révolution, cet événement exceptionnel a levé la chape de plomb qui étouffait les citoyens et a  révélé des êtres exceptionnels, répondent Les Bienheureux. A moins que ce ne soit une subtile manière de récupérer cette révolution, répliquent les Insatisfaits. Quant aux Nostalgiques, ces «Azlem», ils vous expliqueront, que ce sont là les résultats de l’ancien régime, nous ne faisons que  cueillir les fruits de la politique éducative de Bourguiba et de Ben Ali. Et enfin les Cyniques, peut-être les plus lucides, se contenteront de paroles proverbiales : «Il est des éloges qui blâment», diront-ils avant d’ajouter : «Dieu, protège-nous de nos amis ; nos ennemis, nous nous en chargeons».

De plus en plus enthousiastes, les Bienheureux reviennent à la charge : qu’importe le motif, qu’importe le prix pourvu qu’on ait la reconnaissance et nous sommes reconnus. Partout. N’avons-nous pas été, un certain 14 janvier, à l’origine de la révolution la plus célèbre du XXIème siècle ? N’avons-nous pas donné l’exemple aux autres pays arabes ?

La Petite Voix se fait pressante: assez de mégalomanie, trêve de narcissisme et de fatuité et dites-nous la raison de cette inflation : 110 partis politiques,  une quarantaine de  candidats aux élections présidentielles, et plus de mille  listes aux législatives?

Pendant un demi-siècle, nous avons vécu sous le règne du Parti unique et  n’avons connu que deux présidents. Avec l’avènement de la démocratie, il nous est légitime de vouloir nous rattraper. Désormais, nous sommes probablement les citoyens le plus représentés et nous avons toutes les chances de battre prochainement le record du monde du nombre de candidats à des élections présidentielles.

Vous avez reconnu  là les propos des Bienheureux auxquels les Insatisfaits se sont empressés de répondre en ces termes: le règne de Bourguiba et la dictature de Ben Ali ont réduit les citoyens à des sujets fantomatiques, ils les ont éloignés les uns des autres, ils les ont écartés de la vie de la Cité et ont discrédité à leurs yeux la politique, le bien  commun… Le lendemain du 14 janvier, du point de vue démocratique, le pays s’est trouvé avec un peuple et une élite analphabètes… et devant le spectacle affligeant des autodidactes médiocres et incompétents, chacun s’est dit pourquoi pas moi.

Nous sommes un peuple génial. Chacun de nous est digne de diriger nous tous. Présidents. Nous sommes dix millions de présidents potentiels, renchérissent les Cyniques et ils concluent en plagiant Andy Warhol : Chacun de nous aura son quart d’heure présidentiel.

Slaheddine Dchicha