Opinions - 06.11.2014

Elections 2, et déjà les sanctions tombent

La Tunisie a vécu ses deuxièmes élections pluralistes et déjà le vote sanction s’est exprimé. La spécificité du résultat issu des urnes est qu’il y a plus de perdants que de gagnants.

On nous avait prédit des actes terroristes à l’approche des élections, ce sont finalement les électeurs qui ont commis une série d’attentats démocratiques, et les cadavres politiques jonchent aujourd’hui les rues de la deuxième République. Mais avant tout, il faut d’abord rendre hommage aux hommes politiques tombés sur le champ d’honneur, dont la mort, j’aimerais le croire, aura servi à réveiller les consciences, à un moment où la Tunisie semblait inéluctablement glisser vers l’affrontement identitaire. Ils ne sont pas morts pour rien, mais ils nous auront manqués. De là où ils sont, j’espère qu’ils auront trouvé la paix en observant le déroulement de ces élections.

Il faut aussi rendre hommage au gouvernement de technocrates pour avoir su réagir suffisamment tôt pour garantir leur droit de vote aux Tunisiens. Le terrorisme menaçait, mais il a été désamorcé. Le risque planait sur ces élections, et le gouvernement a su se défaire de toutes les pressions pour se concentrer sur l’essentiel, garantir un climat de sécurité minimal. Ce gouvernement pourra bientôt passer la main, avec le sentiment du devoir accompli. Certes, on pourra toujours trouver à redire à son action, mettre en avant des couacs et des atermoiements, mais peu importe, surtout si l’on considère que la mission était prioritairement d’assainir le climat de tension, en vue de ces élections. Ceux qui espéraient plus devront se rendre à l’évidence, le gouvernement aura fait plus que limiter les dégâts.

On a longtemps craint la bipolarisation du paysage politique, et le risque qu’il pourrait engendrer pour la démocratie naissante, mais les résultats ne confirment cela que de manière relative, tant Ennahdha se voit renvoyé à son vrai poids dans la société tunisienne. L’islamisme politique n’a pas la faveur des Tunisiens. Ennahdha a accumulé les erreurs stratégiques depuis octobre 2011, et les erreurs se payent. En apparence, Ennahdha se maintient, mais il n’aura échappé à personne qu’elle enregistre la perte de près de 50% des votants et 25% des sièges par rapport à 2011.

En même temps, ce qu’Ennahdha perd dans le Grand Tunis et sur le littoral, elle le récupère en partie dans le sud du pays où son implantation reste forte et conséquente. La Tunisie est plurielle, il faudra une fois pour toutes entériner cette problématique, et l’intégrer dans le modèle social et économique à mettre en place.

La sanction est tombée et elle a emporté la Troïka. Les trois partis ont subi le mécontentement des électeurs. Ils pourront toujours chercher à se prévaloir de conditions de gestion difficiles, ils devront accepter la sanction des électeurs. Certes Ennahdha arrive à se maintenir comme seconde force politique, mais elle aura entraîné dans sa chute ses alliés d’hier, dont le ralliement n’aura jamais été compris.

La claque subie par le CPR et Ettakatol est magistrale, elle signifie un rejet incontestable de leur positionnement illisible, et leur incapacité au cours des trois dernières années de se muer en force de gouvernement. Ils étaient les alliés d’Ennahdha, mais jamais celui-ci n’a fait de concessions sous la pression de ses alliés, mais toujours exclusivement sous celle de la société civile accompagnée par l’opposition. C’est cet échec qui leur vaut aujourd’hui d’être défenestrés, hors du paysage politique.

On ne peut pas éluder la question de l’abstention. Seul le tiers des Tunisiens en âge de voter s’est exprimé, et la proportion est encore moindre si l’on considère les jeunes ou les femmes. C’est là le résultat d’un discours politique inaudible, exacerbé par des querelles inutiles et un manque criant de transparence et de responsabilité. Cette situation est un échec que toute la classe politique doit assumer globalement et individuellement.

Car comment accepter que dans une démocratie naissante, le peuple refuse de s’exprimer ? Comment expliquer qu’après une révolution supposée permettre au Tunisien de reconquérir sa citoyenneté, celui-ci la rejette en si peu de temps? Une partie de la réponse se trouve dans le spectacle affligeant donné par l’ANC au cours de ces trois dernières années. En brut, nous avons perdu en route plus d’un million d’électeurs par rapport à 2011, ce qui pourrait vouloir dire, en comptabilisant les nouveaux inscrits, que la moitié des votants de 2011 n’a pas jugé utile de se déplacer en 2014.

Ce constat est terrible, même s’il faudra attendre des résultats plus complets pour en tirer plus d’enseignements. A ceux-là, je voudrais dire que la démocratie fonctionne, l’alternance au pouvoir est possible, et le citoyen-électeur a entre ses mains le pouvoir de sanctionner l’échec. Ce n’est déjà pas si mal. La démocratie c’est aussi cela, rendre des comptes devant les électeurs.

Ce résultat plus que tout autre va avoir des conséquences sur la carte politique du pays. La première est la disparition inéluctable de quelques dinosaures. Je leur avais prédit, ici même, qu’ils iraient, bientôt, peupler le cimetière des éléphants, nous y sommes. Par respect pour eux-mêmes, certains devraient tirer des conclusions radicales, et s’éviter une humiliation supplémentaire à venir lors de la prochaine élection présidentielle. Il y a souvent de la grandeur à savoir se retirer pour sauvegarder ce qui reste de dignité lorsqu’on a perdu tout le reste. Mieux vaut tard que jamais. Deux surprises de taille méritent d’être signalées.

La première, l’UPL qui vient se placer en troisième position, même si, loin derrière les deux premiers, un peu à l’image d’El Aridha en 2011, d’aucuns mettraient en avant le pouvoir de l’argent, peut-être bien, mais il faudra aller plus loin dans l’analyse de ce succès. La seconde, c’est l’UPT-El Massar qui disparaît purement et simplement de la carte, victime expiatoire de la débandade, comme quoi il ne sert à rien d’avoir raison contre tous. Le vote utile aura eu raison de leur farouche volonté de solidarité. Pourquoi donc voter pour la copie lorsqu’on peut avoir l’original ? C’est ainsi que les électeurs ont reçu le Nidaa, et les électeurs ont toujours raison, y compris lorsqu’on pourrait être tenté de leur donner tort.

Nidaa, parlons-en, aura réussi son pari d’être le premier parti de Tunisie. Une leçon à tirer pour tous les partis progressistes qui se sont vus trop beaux, et dont les querelles intestines auront ouvert un boulevard à un parti «nouveau», sans légitimité révolutionnaire ni passé militant avéré, mais qui a su être pragmatique et profiter de la cacophonie ambiante pour s’imposer comme la seule alternative possible. Mais il lui reste la deuxième étape, celle de  l’élection présidentielle qui devient maintenant d’une importance capitale, d’abord pour asseoir la domination que le parti recherche et pour lui donner plus de pouvoir de négociation vis-à-vis de ses concurrents-partenaires. Car à ce stade, l’écart est sensible sans être conséquent, il sera psychologiquement renforcé en cas d’élection de BCE à la présidence de la République, d’où l’enjeu.

D’autant que ces résultats pourraient obliger Ennahdha à sortir du bois, et désigner son poulain. Il va maintenant s’agir de savoir quoi faire de ces résultats, et cela va donner des maux de tête à plus d’un. Même s’il me semble aujourd’hui que la seule issue est le gouvernement d’union nationale, rassemblant au moins quatre partis sur les cinq premiers, un moyen pour Nidaa de saper toute velléité d’opposition. Car voilà le hic de ce schéma, en face d’une telle coalition, d’opposition il n’y aura point. Or, la démocratie ne peut s’épanouir sans opposition.

Si Nidaa arrive à cumuler avec la présidence de la République, ce qui est fort probable, elle sera en mesure d’exiger de ses partenaires de laisser leurs différences au vestiaire, et de rejoindre l’union pour appliquer purement et simplement son programme. Mon petit doigt me dit qu’il n’y aura personne pour trouver à y redire. Les sanctions sont tombées, mais la démocratie n’est pas encore définitivement installée. Les coups de boutoir vont continuer, des tentatives diverses vont se multiplier pour ouvrir des brèches, laisser s’instiller le virus de la rechute. Gageons que la société civile ne se laissera pas endormir, et qu’elle continuera à mener le combat. Elle reste le principal acquis, peut-être l’unique.

W.B.H.A.

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3 Commentaires
Les Commentaires
T.B. - 06-11-2014 22:37

la démocratie naissante vous dites, eh ben pour conforter tout le monde, il ya un ciyoyen d´un pays traditionnellement démocratique a eu dernièremnt une idée dans un blog auquel je participle que le système démocratique est nouveau il est meme encore au stade de bébé, essayons de le developer. Il faut savoir tout de meme que ce système a 160 ans ici; et il n´a pas tort ce monsieur, c´est trés difficile de changer les gens. Mais si on arrive á faire habituer les gens de dire adieu á la violence mais de lutter par tous le autres moyens ce serait déjâ un grand succes.

Farouk Boughedir - 07-11-2014 09:20

Analyse trés claire et convaincante.Espérons que les partis progressistes défaits en tirent les bonnes conclusions.

sadokdriss - 07-11-2014 17:28

Winston Churchill,éminent Homme d'Etat Britannique et Lauréat du Prix Nobel en Littérature,en 1953,disait:"La démocratie est un mauvais système,moins mauvais que les autres systèmes,"et ajoutait-il"l'homme poltique s'intéresse à la prochaine élection,alors que l'homme d'Etat s'intéresse à la prochaine génération."Faut-il se rappeler la définition simple et élégante du terme"démocratie" attribuée au 16ème Président des Etats Unis,Ibraham Lincoln(Période de Présidence:1860-1865,période de Guerre Civile aux Etats Unis,"Le gouvernement du Peuple,par le Peuple,pour le Peuple.",en anglais"Government of teh people,by the people,for the people.Ce terme est d'origine grecque"demos=peuple,Kratos=pouvaoir,ou autorité."

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