Les Tunisiens n'ont pas de «culture» démocratique, prétend le philosophe du chaos
Après le bide de son film «Le serment de Tobrouk», après le four essuyé par sa pièce de théâtre «Hôtel Europe» à Paris – malgré le renfort du fourrier du Front National Nicolas Sarkozy, venu la voir accompagné de sa douce moitié -, voilà Bernard-Henry Lévy «dégagé» de notre pays.
Il est clair que la baraka l’a quitté! Si l’on peut dire!
Epanchant sa bile dans un entretien au Point (2 novembre 2014), il se permet de juger que nous n’avons pas encore assimilé «la culture» de la démocratie car celle-ci ne saurait se réduire aux seules élections, prétend ce lecteur assidu du philosophe Jean-Baptiste Botul… qui n’a jamais existé!
Dans cet entretien, l’artisan de la destruction de la Libye récuse, au moyen de guillemets, le qualificatif de sioniste. Pourtant, sur le site de l’IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques de Paris), le chercheur-associé Béligh Nabli relève que lors de la première Convention nationale organisée par le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions juives de France) en novembre 2011, Lévy déclarait qu’il avait «participé à l’aventure politique en Libye», pays où il «a porté en étendard [s]a fidélité à [s]on nom et [s]a fidélité au sionisme et à Israël». Béligh Nabli explique ainsi le camouflet reçu par Lévy en Tunisie: «Sur le fond, si la personne de BHL a fait l’objet d’un tel rejet, c’est parce qu’elle symbolise le chaos libyen et le soutien inconditionnel à Israël».
Et, de fait, comment les Tunisiens, eux qui ont essuyé le bombardement de Hammam Chott le premier octobre 1985, pourraient-ils oublier qu’en 2009, ce journaliste juché (« embedded ») sur les tourelles d’un tank des assaillants sionistes, rendait compte des « exploits » de l’armée israélienne à Gaza: «aucun crime, aucune violation du droit international, justifiant une opération qui a fait plus de 1400 morts du côté palestinien (en majorité des civils)»*** ? Et Nabli d’ajouter : «Ses turpitudes [de BHL] et autres (im)postures sur le conflit israélo-palestinien n’échappent à personne, sinon à ceux qui se complaisent dans la courtisanerie. Ses postures universalistes contrastent avec des prises de position communautaristes qui sont un soutien inconditionnel aux gouvernements israéliens successifs».
C’est la raison pour laquelle Lévy ne saurait être considéré comme un voyageur lambda ou un touriste ordinaire dans notre pays.
Soutien sans faille au gouvernement israélien
A l’heure où Gaza panse encore ses plaies, à l’heure où Israël est confronté à la révolte des Palestiniens de Jérusalem-Est en réaction à l’assaut de bandes fanatiques de colons protégés par la police, le ministre israélien de la Défense, Moshé Ya’alon, propose de «traiter le cancer palestinien par la chimiothérapie» et le ministre de la Sécurité Publique Yitzhak Aharonovitch, sensé appliquer la loi, appelle à «exécuter» sur place les Palestiniens coupables d’actes de résistance – comme des cafards ou des sauterelles (djoukim)- alors que la peine de mort n’existe pas dans son pays, M. Lévy n’avait rien à faire chez nous, lui qui, jamais, au grand jamais, n’a émis la moindre critique sur les politiques expansionnistes, iniques et racistes des gouvernants israéliens.
Au moment même où le ministre de l’Economie Naftali Bennett – milliardaire d’extrême droite du parti sioniste religieux Habayit Hayehudi- appelle à «une offensive militaire à Jérusalem». Au moment même où le ministre de la Défense israélien «se prosterne devant les colons» (Editorial de Haaretz du 27 octobre 2014) et décrète que la poignée de Palestiniens de Cisjordanie travaillant en Israël doivent se rendre à leur travail à bord de bus séparés de ceux transportant les colons mettant ainsi en œuvre une mesure qui a été l’ignoble et le plus éclatant symbole de l’apartheid en Afrique du Sud. Et l’éditorialiste de conclure: «C’est au dépens de l’image internationale de l’Etat d’Israël qu’agit Ya’alon et au dépens de ce qui lui reste d’une morale en lambeaux». Et aussi au moment même où le quotidien israélien Haaretz publie (3 novembre 2014) la lettre signée par 106 généraux à la retraite et d’anciens responsables de l’espionnage israéliens adressée au Premier Ministre d’Israël, lettre dans laquelle ils le pressent de revenir à la table des négociations avec les Palestiniens et d’accepter l’initiative saoudienne de paix de 2002 (qui a eu l’accord de la Ligue Arabe et de l’Organisation de la Conférence Islamique). Ces experts affirment qu’«Israël a la force et les moyens de parvenir à la solution de deux Etats sans que cela ne présente de risque pour la sécurité» et ajoutent: «…Nous sommes bien placés pour savoir ce que les guerres entraînent comme lourdes souffrances et le terrible tribut qu’elles lèvent. Nous avons bravement combattu pour le pays avec l’espoir que nos enfants vivraient ici en paix et voilà que nous les voyons revêtir l’uniforme pour aller au combat dans le cadre de l’Opération Bordure Protectrice [à Gaza]… Nous attendons de vous une initiative courageuse. Allez de l’avant, nous vous soutenons». Mais, outre Gaza, pour le politologue palestinien Khalil Shikaki, à Jérusalem, aujourd’hui, le terrain est prêt pour une explosion (The New York Times du 7 novembre 2014).
Non, M. Lévy n’a rien à faire chez nous alors que le gouvernement d’extrémistes de Netanyahou, autiste, protégé par les Etats Unis, a présenté au Conseil des Ministres, un projet de loi pour inculper et mettre en prison pour 10 ans tout jeune de 10 à 20 ans (oui, dix ans, vous avez bien lu ) qui lance des pierres sur un véhicule, même si le procureur ne peut pas prouver une intention d’infliger des dégâts matériels à ce véhicule ou de provoquer des blessures à ses passagers, écrivent Barak Ravid et Jonathan Lis dans le quotidien israélien Haaretz (2 novembre 2014). Il est clair que ce sont les jeunes de Jérusalem-Est qui luttent actuellement contre la judaïsation de leur ville, pour leur territoire, leur toit, leur mosquée, que vise ce texte scélérat.
Non, M. Lévy, ce n’est pas en tant que juif que vous n’êtes pas le bienvenu chez nous, comme vous le prétendez, mais en tant que sioniste patenté (et sans guillemets). La Tunisie est la patrie des regrettés Georges et Serge Adda, elle vibre à la voix de Habiba Messika, de Cheïkh al Afrit et de Raoul Journo, comme elle s’enorgueillit de sa Ghriba jerbienne et du pèlerinage du rabbin Fradji Chaouat à Testour. S’applique plutôt à vous cette note d’Esther Benbassa qui veut que «son judaïsme reste une vision du monde empreinte d’humanité» : «L’ «autisme» politique des Juifs de France n’est pas sans évoquer celui auquel Israël lui-même semble avoir progressivement cédé, clamant sans relâche que le monde entier conspire à sa destruction et qu’il ne peut compter que sur ses propres forces…. Artistes, écrivains, intellectuels, penseurs, scientifiques juifs s’engagèrent dans les grandes causes, œuvrèrent pour donner un sens à ce monde, luttant contre les maux qui rongeaient les sociétés de leur temps. Les opprimés étaient leurs alliés ; ils se battaient à leurs côtés, qu’ils soient pauvres, ouvriers, colonisés, Noirs, femmes… Où sont-ils aujourd’hui, ces Juifs-là ? La création d’Israël nous a-t-elle à ce point détournés des Autres, nous enfermant dans une bulle, faisant de nous des nationalistes, citoyens d’une seule cause : la défense d’Israël?» (in «Etre juif après Gaza», CNRS Editions, Paris, 2009, pp. 47 et 65).
Il est vrai qu’être Maxime Rodinson, Abraham Sarfati ou Stéphane Hessel n’est pas donné à tout le monde !
Revenez en Tunisie avec un langage de vérité M. Lévy, inspirez-vous de ces hommes intègres et nous vous recevrons sans problème, comme nous recevons tous nos hôtes car, contrairement à vos élucubrations, nous ne sommes pas…sans « culture » démocratique. Notre première Constitution date de 1861, M. Lévy.
Mohamed Larbi Bouguerra
*** Lire le blog d’Alain Gresh «Libérer les Palestiniens des mensonges de Bernard-Henri Lévy» (Le Monde Diplomatique)
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Merci, Si Larbi pour cet érudit et salutaire rappel
Bravo Si Mohamed! J'adhère entierement à votre article! Merci!!!
J'ai connu les écrits scientifiques de M.Bouguerra sur les thèmes ayant trait à la chimie sa spécialité, ou même de la pollution environnementale...peut-être un ou 2 articles de culture générale. Je ne m'attendais pas à le retrouver chroniqueur, et même polémiste. Il est vrai que cette venue de BHL, donne un sang d'encre à tout épris de justice, tant ce BHL véhicule d'hypocrisie sous couvert de pensée humaniste, soutenant les projets d'implantation de la démocratie. Et M.Bouguerra déballe cet article, le contenu en idées n'est pas original, on les retrouve ces idées chez d'autres, mais M.Bouguerra a collecté une impressionnante documentation, des noms, des propos ...... digne d'une plaidoirie qui lève ambiguïté sur le rejet de nombreux tunisiens qui ont appris que BHL, personnage à la réputation sulfureuse, a foulé le sol de la Tunisie, pour tenir une réunion en catimini. Merci M.Bougerra d'avoir situé ce personnage dans la mouvance sioniste.
Les Tunisiens ont connu la démocratie depuis la dynastie des Aghlabites dirigée par le calife abbassy Haroun ar-Rachid nommé Ibrahim ibn al-Aghlab; La Grande Mosquée de Kairouan et la Zitouna de Tunis étaient des centres d'enseignement fort réputés par la valeur des enseignants qui y professent le droit. Donc posez cette question à vous même.