L'enjeu majeur
«Tout le monde en prend peu à peu conscience, le ‘problème de l’eau’ est en train de devenir un enjeu majeur dans les questions urgentes que devront régler dans les quelques années qui viennent, les sept milliards d’habitants que compte aujourd’hui notre planète, ou les neuf milliards et demi qui seront présents en 2050.»
Ce cri d’alarme est lancé par Ghislain de Marsily, professeur à l’Université Paris VI, membre de l’académie des sciences dans sa préface à l’ouvrage Sécurité Hydrique de la Tunisie, Gérer l’eau en conditions de pénurie, publié récemment chez L’Harmattan par trois Tunisiens, spécialistes de l’eau, Mustapha Besbes, Jamel Chahed et Abdelkader Hamdane. Le premier, membre associé à l’Académie des sciences, est un hydrologue, mondialement reconnu. Le second, Jamel Chahed est ingénieur hydraulicien, docteur en science, professeur à l’ENIT de Tunis et l’I NSA de Toulouse, enfin le troisième, Abdelkader Hamdane, ingénieur agronome, issu de l’Ecole Nationale du Génie Rural, des Eaux et Forêts, est un ancien Directeur Général du Génie rural et de l’Exploitation des Eaux au Ministère de l’agriculture.C’est dire qu’ils savent de quoi ils parlent. Leur ouvrage est un chef-d’œuvre qui fait honneur à notre pays.
En conclusion à sa lumineuse préface, le professeur Ghislain de Marsily ne tarit pas d’éloges:
«Cet ouvrage, écrit dans un langage très pédagogique et d’une remarquable clarté, fourmille de données et d’informations réfléchies, scientifiques et pertinentes, qui éclairent d’un jour nouveau le lancinant problème de l’eau. Tous ceux qui s’intéressent à l’eau y trouveront une source d’idées originales, pour aborder la question des choix pour l’avenir, en Tunisie comme ailleurs, car l’exemple tunisien n’est qu’un support pour donner au lecteur une information à caractère universel. Je félicite les auteurs pour ce travail remarquable et exhaustif, et en recommande très chaudement la lecture pour tout public intéressé par l’eau». (p.9)
C’est précisément ce‘caractère universel’ qui rend cet ouvrage si précieux. Les problèmes qu’il soulève concernent non seulement la Tunisie mais également tous les pays du monde.En effet, les menaces sont réelles ; la croissance démographique, le développement industriel,la pollution, le recours aux pesticides, l’effet de serre et le changement climatique de plus en plus prononcé, sont là pour le prouver.
Le mérite de cet ouvrage est qu’il offre des solutions pour contrer ces menaces:
«L’eau risque … de devenir un facteur potentiellement limitant du développement socio économique du pays et ce constat doit se traduire par une révision en profondeur des principes de sa gestion…
La question de la sécurité hydrique recouvre certes d’abord la sécurité de l’approvisionnement en eau potable, mais c’est aussi et surtout une question de sécurité alimentaire, indissociable de la politique agricole et des bilans de la balance agroalimentaire. Plus de 70% des ressources en eau mobilisées dans le monde, près de 80% en Tunisie, sont en effet allouées à l’irrigation… Avec cette relation dialectique entre sécurité hydrique et sécurité alimentaire, l’approche des problèmes de l’eau passe nécessairement par une vision holistique qui tient compte des multiples facteurs de stress susceptibles de menacer l’approvisionnement en eau.» (Introd. pp13-14)
L’ouvrage qui s’articule autour de six thématiques, commence d’ailleurs, par celle ayant trait aux problèmes de l’eau dans le monde.La prise de conscience et la coopération internationale en ce domaine remontent à 1967, à la suite de la conférence internationale sur l’Eau pour la paix, «Water for Peace», tenu à Washington maisle problème de l’écologie et ses incidences sur l’eau ne fut abordé que cinqans plus tard, en 1972, à Stockholm, à la conférence des Nations Unies sur l’Environnement Humain.
Les cinq autres thématiques soulevées,chacune dans un chapitre distinct, ont trait à la Tunisie. Ainsi, le 2e chapitre, abondamment illustré de tableaux et de diagrammes, est consacré à la politique de l’eau. Y sont soulignés l’histoire de l’hydraulique, la naissance de l’hydrologie et les aménagements hydro agricoles réalisés de 1960 à 2010. Dans le 3e chapitre, les auteurs se sont penchés sur le bilan hydrique national, un calcul savant partant du contexte hydrologique et visant l’état et la mobilisation des ressources en eau, le bilan hydraulique national, le bilan hydrique intégral (eau bleue, eau verte et eau virtuelle). Si l’aspect technique prime dans ce chapitre, qui compte une introduction et cinq parties, l’intérêt pour le profane n’en est pas moindre dans la mesure où il apprendra, entre autres, que:
«La quantification de l’équivalent-eau des différentes contributions aux besoins alimentaires permet de préciser la relation entre les politiques agricoles et les politiques de l’eau, fournissant de précieux éléments d’aide à la décision ».(p.177). Quant au 4e chapitre, il comprend, lui aussi, cinq parties judicieusement illustrées, portant sur la sécurité hydrique et les évaluations de l’équivalent –eau de l’ensemble de la production agricole du pays. La gestion des besoins en eau ainsi que les ressources non-conventionnelles se trouvent détaillées dans le chapitre cinq. Dans le 6e et dernier chapitre, les auteurs reviennent sur la sécurité hydrique et les questions qui font aujourd’hui débat, notamment la gestion et la sécurisation de l’approvisionnement en eau, à court et à long terme.
Et comme toute œuvre scientifique, cet ouvrage contient une riche bibliographie ainsi qu’une liste des figures, tableaux et acronymes fort utiles pour les chercheurs.
Mustapha Besbes, Jamel Chahed, Abdelkader Hamdane, Sécurité Hydrique de la Tunisie,
Gérer l’eau en conditions de pénurie, L’Harmattan, coll. Histoire et Perspectives Méditerranéennes, 358 pages.
Rafik Darragi
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