Liberté d’expression vs blasphème : le grand malentendu
La sortie de l’hebdomadaire Charlie Hebdo après la tuerie du 7 janvier 2015 a avec en première page une caricature du prophète Mahomet a suscité une vague de protestation avec des manifestations violentes dans plusieurs pays du monde. Au Niger on déplore une dizaine de morts ainsi que l’incendie d’églises, du centre culturel français, alors que des manifestations ont été enregistrées au Pakistan, au Yémen et en Somalie.
Ainsi, la solidarité mondiale avec les journalistes de l’hebdomadaire satirique assassinés sur leur lieu de travail à Paris par deux terroristes déterminés commence à se lézarder. Dès la sortie du dernier numéro de l’hebdomadaire satirique, beaucoup de personnes ne se reconnaissent plus comme étant des « Charlie » comme elles le criaient quelques jours auparavant. Pour elles, et pas seulement des musulmans, la liberté d’expression n’a pas de limite, mais elles se demandent pourquoi faudrait-il l’opposer au droit au blasphème. Car c’est comme cela qu’elles s’expliquent l’entêtement à continuer à provoquer les fidèles musulmans en caricaturant leur prophète, une figure sacrée de leur religion.
Sur ce plan, il y a entre l’Occident judéo-chrétien et les musulmans un grave et grand malentendu.
Pour le premier le droit au blasphème a été conquis de haute lutte contre le clergé qui jouissait de beaucoup de privilèges, des honneurs et de l’argent. L’anticléricalisme qui a ponctué l’histoire de la relation entre l’Etat et l’Eglise a généré non seulement la laïcité qui consacre la liberté de culte, mais également le droit à l’irrévérence y compris par le blasphème. La conquête des libertés et en premier lieu de la liberté d’expression, de presse et d’information a donné une autre tonalité au blasphème qui peut être exercé par la caricature, le ridicule ou les chansonniers.
Pour les musulmans par contre, l’inexistence de clergé dans l’Islam sunnite largement majoritaire n’a pas donné lieu aux mêmes réactions contre la religion. De plus la relation particulière entre l’Etat et le fait religieux, du fait que le premier est le gardien des lieux de culte ne permet pas des écarts possibles contre la religion en tant que telle. Etant la dernière religion monothéiste révélée, l’Islam intègre tous les messagers et prophètes dans la foi des musulmans les rendant hors d’atteinte.
Si on ajoute à cela l’interdiction dans les faits, même si aucun texte ne vient la corroborer, de la représentation du prophète de l’Islam de quelque manière que ce soit, on ressent dans le monde musulman la publication de caricatures du prophète comme une véritable provocation.
On se rappelle que lorsqu’en septembre 2005, le journal danois Jyllands-Posten avait publié des caricatures sous le titre « les visages de Mahomet », cette publication a suscité un émoi considérable dans le monde arabe et musulman. A la suite de cette publication, se sont succédées les indignations et les manifestations violentes dans plusieurs pays du monde allant du Nigéria en Afrique à l’Indonésie en extrême Orient. On a déploré des dizaines de morts dans ces manifestations. Il a fallu une réunion en Mars 2006 du secrétaire général de l’ONU Koffi Annan, du secrétaire général de l’Organisation de la conférence islamique(OCI) Ihsanoglu et du haut représentant européen de la sécurité et des relations extérieures Javier Solana pour apaiser les esprits échauffés. Depuis l’OCI agit au Conseil des droits de l’Homme et à l’Assemblée générale de l’ONU pour obtenir une résolution contre la diffamation des religions.
Mais sans succès car on continue à lui opposer la liberté d’expression sacro-sainte dans le monde occidental.
Ce grand malentendu risque d’envenimer les relations entre les peuples et de nourrir le choc des civilisations ou le conflit des religions que les prophètes du malheur ne cessent de pronostiquer pour ce 21ème siècle.
R.B.R.
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Je suis d'accord. Le malentendu est évident, mais il n'est pas nouveau hélas. Ce qu'il y a de positif, malgré tout, c'est que désormais il peut être mis en évidence. On ne peut plus raisonner comme si le monde n'était pas devenu global. Il faut écouter les autres pour être entendu et donc sortir de l'ambiguité de mots qui ne sont pas toujours entendus de la même manière y compris au sein des pays européens et parfois sur un même territoire urbain : laïcité, libertés, libéralisme, etc… Comprendre que le malentendu est à l'origine de bien des conflits serait déjà un pas en avant. Pour cela il faut favoriser les échanges et non les limiter en limitant les déplacements ou en bâtissant des murs.. y compris en matière de formation et d'information. J'habite Montreuil près de Paris et la lecture quotidienne de LEADERS est précieuse.