La « révolution » inachevée
La révolution qui a commencé par l’action des forces intellectuelles et politiques, s’est manifestée dans la triste épreuve du bassin minier, puis à Sidi Bouzid, par l’immolation de feu Mohamed Bouazizi. Elle n’a pas eu, malheureusement, de véritables leaders.
Les jeunes démunis de tout, se sont exposés, un peu partout dans le pays, à la mort par balles, pour réclamer, simplement, le droit à la vie, tout comme leurs concitoyens. Ils n’avaient aucune philosophie, ni aucun projet de remplacement de l’existant.
Ceux qui les ont soutenus, une fois qu’ils ont acquis la quasi-certitude que le coup de pousse à apporter ferait triompher l’insurrection, l’ont soutenu et se sont accaparés de l’aubaine pour revendiquer le droit d’en être les auteurs et d’en fixer les objectifs et les moyens, d’où les positions divergentes et donc les situations conflictuelles (création d’une ANC avec perte de temps et d’argent).
Cette «révolution» a apporté des gains inestimables, une Constitution après bien des tergiversations et surtout la liberté d’expression, au point que nous commençons à souffrir de cet excès liée au fait que nous ne sommes pas bien préparer, d’où la nécessité de dompter cette cavale en furie pour que nous puissions aller de l’avant, sans trop de pertes.
Oui, c’est à toutes les parties concernées de faire l’effort sur elles-mêmes pour sauvegarder cette liberté en créant leur propre code de déontologie.
Mais il y a des échecs patents qui donnent à cette « révolution le goût de l’inachevé.
Si l’institution du « Dialogue national » a été également une brillante réussite due au « Quartet », par contre, l’institution du dialogue socio-professionnel a été occulté.
Nous enregistrons ses effets, dans le domaine économique, avec ses graves retombées sociales, portant les germes de rebondissements déstabilisateurs.
Sur ce point essentiel, cette « révolution » piétine, car on ne vit pas que de liberté tant qu’on a des ventres creux et des sans-abris.
D’abord, les « laissés pour compte » ont pris leurs désirs pour des réalités et demandent de cette « révolution » de satisfaire, illico presto, leurs besoins de travail, de santé, de logement et d’alimentation. Personne n’a fait le nécessaire travail d’éducation et d’encadrement pour exposer crûment les choses comme elles sont et ramener les revendications à leurs justes valeurs.
Les pouvoirs publics, quant à eux, n’ont pas été en mesure de maitriser la hausse des prix.
Ici aussi, la liberté des prix ne doit pas être absolue. Elle a aussi ses limites. Pour chaque produit importé ou fabriqué, l’Etat en particulier, doit pouvoir dresser et actualiser son prix de revient TTC et le publier sur son site. C’est à partir de ce coût qu’on peut fixer, en toute transparence, une marge raisonnable sur laquelle les pouvoirs publics peuvent agir si elle s’avère excessive.
Le Commerce parallèle et le contrôle des circuits de distribution se heurtent à des difficultés que nous ignorons. Après le dépôt de viandes avariées découvert, après un contrôle administratif, nous commençons à douter de ce que nous mangeons dans nos assiettes et au prix fort.
Sans investissements nouveaux, il n’y aura pas de création significative d’emplois.
En ce qui concerne l’investissement privé, l’UTICA reste timide dans son action s’appuyant sur l’absence d’infrastructure et l’insécurité qui règne, quoiqu’actuellement elle tende s’estomper, il est vrai, graduellement. Saluons l’investisseur qui a osé créer une unité de traitement du lait à Sidi Bouzid.
Mais où sont les autres investisseurs ? Où est l’esprit d’entreprendre ?
Malgré le marasme dans lequel se dépêtre le pays et son tissu industriel, l’UGTT, quant à elle, poursuit sa course effrénée en avant, pour satisfaire,sous la pression de ses adhérents, les revendications salariales de sa base.
Bien sûr que ses accords, arrachés à l’Etat, en fait sous la pression, donnent le droit virtuel à l’UGTT de reprocher à l’Etat de renier ses engagements qui, il faut le dire, nese justifient aucunement en pure orthodoxie financière.
A-t-on le droit de servir, tenez-vous bien, des primes de rendement à des unités déficitaires (CPG, transports) alors que l’Etat est exsangue ?
Elle considère comme légitimes ses revendications face à la montée des prix dans tous les secteurs nonobstant le fait que la production et la productivité soient en recul. Elle a ses arguments. Elle doute des chiffres du Pouvoir à qui elle reproche aussi son inertie, ou son incapacité, à juguler, notamment, le commerce parallèle et les disfonctionnements dans les circuits de distribution.
Pour faire aboutir ces revendications, rien de plus facile que de recourir à la grève fut-elle sans préavis (avec quatre jours et une perte quotidienne de 140 mille dinars à la Transtu !).
J’ai même entendu, sur une chaine TV, l’un des directeurs adjoints de l’UGTT, remettre en cause le préavis de 10 jours prévu par la loi au motif que c’est une spécificité tunisienne. Heureusement qu’elle existe !
Les derniers développements, particulièrement dans le secteur des transports et des phosphates, montrent l’urgence qu’il y’a à s’entendre sur la démarche à adopter pour maîtriser les revendications sociales qui semblent ne pas connaître de répit et aller crescendo.
Certes, la grève est un droit prévu dans la Constitution et il ne viendrait à l’idée de personne de le remettre en cause, de même que sa contrepartie, à savoir le droit au travail, le recours au lock-out et aux réquisitions.
Le droit au travail revendiqué âprement par une député n’a pas, malheureusement été retenu par l’ANC. Il en résulte un net déséquilibre regrettable.
Pour faire face à ce raté de notre « révolution », il me semble plus que nécessaire et urgent de tout remettre sur le tapis à savoir, la situation financière réelle du pays et sa capacité ou à son incapacité à faire face aux revendications salariales, la situation financière des entreprises particulièrement publiques et celles de notre tissu de PME, la transparence des comptes des entreprises et la contribution fiscale des uns et des autres.
De ces réunions de travail doit se dégager une autre spécificité tunisienne, celle d’un consensus socio-professionnel pour les quelques années à venir.
Il existe une commission présidée par le chef du gouvernement et réunissant l’UGTT et l’UTICA. Il faudrait l’élargir à ceux qui n’en font pas encore partie et l’activer. C’est un cadre idoine pour tracer une feuille de route.
Cette commission se doit, au plus vite, de se pencher sur les arrêts des services et de la production qui se répètent et nuisent au redémarrage de l’économie. Elle doit trouver immédiatement une solution pour la CPG et le Groupe chimique.
Le pays ne peut dépendre de ces actions irresponsables qui nuisent aux entreprises et, en fin de compte, à tous ceux qui revendiquent et, in fine, à l’économie nationale.
Tant qu’on n’aura pas brisé l’idée que par la force on peut arriver à faire plier l’autre, nous vivrons des jours de plus en plus sombres et la société civile n’est pas prête à faire encore des sacrifices en payant plus d’impôts et en s’endettant, pour combler les déficits de nos entreprises.
Le retour au travail et à la productivité est une urgence pour tous.
Il faut, de toute urgence, que les grèves avec arrêt de la production ou des services soient proscrites. Le salarié peut manifester son mécontentement tout en travaillant normalement et sans excès de zèle.
Nous apprenons avec une large satisfaction que « La fédération générale des agents municipaux affiliée à l’UGTT a décidé, samedi 17 janvier 2015, d’arborer le brassard rouge, durant trois jours, à partir du lundi 19 janvier »
Il va sans dire que le patronat public ou privé doit recevoir le message de cette nouvelle forme de revendication et l’examiner avec le sérieux et la diligence nécessaires.
Nous ne sommes pas les seuls à adopter la formule du brassard rouge ! (Japon, Corée du Sud....).
J’irai même plus loin. Le patronat doit prévenir ces actions de revendication en partageant le fruit de la croissance de l’entreprise et qui n’a lieu, faut-il le rappeler, que par la conjonction des forces du travail et du capital.
Sous d’autres cieux, le salarié est associé au capital de son entreprise !
Le large écart entre ce que perçoit le patron et le salarié doit se rétrécir. Dans le secteur bancaire (par exemple) les écarts sont plus que criants !
Sans cette véritable révolution dans l’esprit, des uns et des autres, dans la façon d’aborder et de résoudre nos problèmes sociaux économiques, nous n’arriverons pas à réaliser la nécessaire harmonie dans notre développement socio-économique combien nécessaire à la consolidation d’un processus démocratique fragile et engagé à grand peine.
Mokhtar El Khlifi
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