Nouveau gouvernement en Israel : le premier ministre capitule face aux racistes de tout poil
« Apartheid, que cela reste le nom désormais, l’unique appellation au monde pour le dernier des racismes. Qu’il le demeure, mais vienne un jour où ce sera seulement pour mémoire d’homme. Une mémoire d’avance. A la fois urgente et intempestive réduite à l’état de vocable hors d’usage ». (Jacques Derrida, natif d’El Biar (Algérie)).
L’apartheid n’est pas mort, hélas, ce n’est pas encore un « vocable hors d’usage », M. Derrida. Il vit et même prospère en Israël avec ce nouveau gouvernement d’ultra-orthodoxes et d’enragés, comme le prouve l’oukase du 18 mai 2015 de Moshé Ya’alon, le ministre de la Défense - partisan du « Grand Israël » et responsable, entre autres, de la boucherie de Gaza de 2014 - d’interdire aux Palestiniens de prendre les mêmes bus que les Israéliens. Piteusement, Netanyahou et Ya’alon ont dû « suspendre », et seulement « suspendre », ce honteux édit face à l’indignation internationale. Il est vrai que Netanyahou avait préparé le terrain pour cette indigne démarche : n’a-t-il pas qualifié de cinquième colonne et de « hordes » les électeurs palestiniens à la veille du scrutin du 17 mars dernier ? Tout comme l’adjoint de Ya’alon, Eli Ben-Dahan, responsable de l’administration civile (qui règne sur les Palestiniens) qui a déclaré : « Les Palestiniens sont des animaux. Ils ne sont pas humains, ils ne sont pas autorisés à vivre ». (Gidéon Lévy, Haaretz, 10 mai 2015). Comme on le voit, Netanyahou possède au plus haut point l’art de placer les hommes… là où ils ne devraient pas être !
Ce dernier - dont le parti, le Likoud, a fait un misérable score aux élections - s’est acoquiné avec ce qu’il y a de plus réactionnaire, orthodoxe, fasciste et colonisateur en Israël pour former un gouvernement qui ne dispose que de deux rachitiques voix de majorité au Parlement (Knesset). Seul manque à ce ramassis d’ultras le sinistre Avigdor Libermann, l’inénarrable ministre des Affaires Etrangères qui appelle à l’expulsion de tous les Palestiniens, lui qui est né à Chisinau en Moldavie.
Quoi qu’il en soit, pour le quotidien Yediot Aharonot, les élections anticipées ne sont pas loin. (Courrier International, n° 1280, 13-20 mai 2015, p. 9).
Les ultra-orthodoxes occupent une place de choix dans ce nouveau cabinet et ils annoncent bien des difficultés pour le vivre ensemble dans le pays* : respect strict du shabbat notamment pour les voitures et les transports en commun, exemption du service militaire pour les étudiants de la Torah qui ne travaillant pas (loi Tal) et vivent aux crochets de la société, pas de vols pour la compagnie aérienne nationale El Al le shabbat (exclusivité mondiale pour une compagnie aérienne), code vestimentaire féminin strict, séparation des sexes dans les transports en commun, interdiction des photos de femmes dans les publicités… les journaux orthodoxes ont, du reste, gommé les ministres femmes sur la photographie officielle du quatrième gouvernement Netanyahou ! Après deux ans d’absence, le parti séfarade Shass (7 sièges sur 120) a conclu un accord de gouvernement avec Netanyahou. Rappelons que le fondateur du Shass n’est autre que le grand rabbin raciste Ovadia Yossef - né à Bagdad et mort en 2013 -qui condamnait le retrait de Gaza ordonné par Ariel Sharon et souhaitait la mort de tous les Palestiniens, affirmant que, d’après la Gemara (une partie du Talmud), « Dieu a regretté d’avoir créé les Arabes » et il Lui demandait en conséquence de « pourrir leur semence, de les exterminer et de les faire disparaître de ce monde ». Pour faire bonne mesure et respecter les divisions et les clivages de la société israélienne, Netanyahou a recruté aussi le parti ashkénaze Yahadut Hatora (Judaïsme unifié de la Torah) (6 députés sur 120). L’éditorial du Monde (17-18 mai 2015, p. 30) qualifie « d’inouïes » les concessions faites par Netanyahou aux ultraorthodoxes.
Netanyahou joue à l’homme fort
Cet homme fort est en réalité bien faible… ce qui se ressent même dans sa propre formation. Pour arracher la confiance de la Knesset, jeudi 14 mai, il a dû passer sous les fourches caudines de plus extrémiste que lui : Naftali Bennett du Foyer National Juif, viscéralement opposé à la création d’un Etat palestinien. Alors que cet ancien officier - qui ne voit pas où est le mal à tuer des Arabes - dit ouvertement son opposition à cet Etat, Netanyahou, sur ce point, est une girouette. Le 21 mai 2015, il a déclaré à Federica Mogherini, responsable de la politique étrangère de l’Union Européenne et à Borge Brende, ministre des Affaires Etrangères norvégien : « Je ne soutiens pas la solution d’un seul Etat. Je ne crois pas du tout à cette solution. Je suis en faveur de la vision de deux Etats pour deux peuples - une Palestine démilitarisée qui reconnaisse un Etat juif ». Mais qui peut encore ajouter foi à ce que dit le chef du gouvernement sioniste ? A la veille des élections, il renonçait au principe des deux Etats pour deux peuples. Pas plus tard que le 20 mai 2015, il annonçait que Jérusalem est la capitale du seul peuple juif et le voilà « soudainement, sous la pression, proclament son soutien à la solution des deux Etats » (Editorial, Haaretz, 22 mai 2015). En fait, Netanyahou, toute honte bue, a un langage pour ses alliés israéliens et un autre pour atténuer les critiques de la communauté des nations.
Bennett offre une majorité à Netanyahou contre l’Education pour lui - « On imagine, écrit Pierre Barbancey (L’Humanité, 15, 16 et 17 mai 2015, p.26), la force idéologique d’un tel poste dans un pays qui pratique une politique coloniale »** - et, pour un de ses proches, l’Agriculture - soit le tiroir-caisse de la distribution de fonds aux colonies illégales en territoire palestinien.
The two right women in the right place!
Là où Bennett s’est surpassé, c’est en arrachant le portefeuille de la Justice pour Ayelet Shaked, ennemie jurée de Netanyahou, connue pour ses propos racistes et haineux : pour elle, « un bon Palestinien est un Palestinien mort ». Peut-on imaginer meilleur détenteur pour ce ministère sensible ? Cette avocate est derrière la loi très controversée de « l’Etat-nation juif» qui fait passer le caractère juif de l’Etat avant la démocratie. Par ailleurs, alors que la tension montait le 30 juin 2014 avant l’attaque de la population de Gaza, sur sa page Facebook, elle citait un certain Uri Elizur, leader décédé des colons : « Derrière chaque terroriste, il y a des dizaines d’hommes et de femmes sans lesquels aucun acte terroriste ne peut se faire. Les acteurs de la guerre sont ceux qui incitent dans les mosquées, ceux qui rédigent les programmes meurtriers des écoles, ceux qui abritent et logent, ceux qui fournissent les véhicules, tous ceux qui honorent et ceux qui soutiennent moralement. Ce sont tous des ennemis combattants : leur sang ne doit pas être sur votre conscience***. Bon, cela englobe aussi les mères des martyrs qui les ont envoyés en enfer avec des fleurs et des baisers. Elles devraient suivre leurs fils, rien ne serait plus juste. Elles devraient partir comme devraient disparaître physiquement les maisons où ont été élevés ces serpents. Autrement, on élèvera encore plus de serpents ». Ce post a eu un écho planétaire et Recep Tayyip Erdogan a qualifié Shaked d’ « Hitler ». Judy Maltz remarque dans Haaretz (11 mai 2015) que ce post a paru juste un jour avant que le jeune Palestinien Mohammed Abou Khdeir, de Jérusalem, ne soit battu puis immolé par le feu par des juifs pour venger le kidnapping et le meurtre de trois jeunes colons juifs de Cisjordanie. Comme son mari est pilote dans l’armée, lors d’une apparition à la télévision Channel 2, en janvier 2012, on demanda à Shaked si elle était heureuse de savoir que son époux écrasait des Arabes sous des bombes, dans un éclat de rire, cette mère de deux enfants répondit par l’affirmative !
Qui peut penser que cette ministre de la justice rendra leurs droits aux habitants du village d’al Araquib au Néguev dont les terres sont convoitées par Israël, leur liberté aux députés palestiniens emprisonnés et aux enfants dans les geôles sionistes ? Les maisons d’al Araquib ont été détruites 83 fois par les autorités qui exigent des villageois 500 000 dollars pour frais de démolition !
Autre membre controversé du gouvernement Netanyahou : Tzipi Hotovely du Likoud, supporter inconditionnelle de la colonisation et vice-ministre des Affaires Etrangères. Le 21 mai 2015, face à tous les diplomates de son ministère, elle donna des instructions pour rendre son lustre à la diplomatie israélienne malmenée par Libermann : « Il est important de dire que cette terre est nôtre. Toute cette terre est nôtre. Nous ne sommes pas venus ici pour nous excuser. » et de faire, à des diplomates médusés et choqués, un commentaire de la Torah d’après Rashi, un érudit du Moyen Age. « C’est la première fois qu’on nous demande d’utiliser un commentaire de la Torah dans un but diplomatique dans le monde entier ! » s’étrangle un haut fonctionnaire de ce département.
Autre « vedette » ultra de ce gouvernement, Silvan Shalom du Likoud, toujours en compétition avec Netanyahou en sa qualité de séfarade. Ce natif de Gabès accapare non seulement le ministère de l’Intérieur mais aussi la vice-présidence du cabinet et… les négociations avec les Palestiniens.
Mais qui peut oublier que ce fieffé sioniste a appelé, le 12 décembre 2011 nos concitoyens juifs à gagner Israël « le plus rapidement possible »?
Pour la plupart des observateurs, ce gouvernement met en danger Israël même et ne propose aucune solution pacifique aux cinq millions de Palestiniens. « Longtemps, l’idée de pressions ouvertes, voire de sanctions contre Israël, était taboue, écrit l’éditorialiste de Monde (17-18 mai 2015, p. 30)… Mais aujourd’hui, un vent inédit souffle contre Israël, illustré par la multiplication des reconnaissances de la Palestine… Le débat est lancé en Europe et la question des sanctions est sur la table ». Quant aux Etats Unis, ils viennent de livrer à Israël, pour la bagatelle de 1,8 milliard de dollars, 8000 bombes intelligentes, 14500 bombes smart avec système de guidage, 50 bombes pour détruire les bunkers, 4100 petites bombes (110 kg d’explosif quand même) et 3000 missiles Hellfires pour armer les hélicoptères Apache. Sans préjudice d’un autre accord portant sur 3000 kits de guidage de bombes et sur l’élargissement de la flotte de bombardiers furtifs F-35 (Lire « My big fat Israeli arsenal » d’Un Misgav, Haaretz, 22 mai 2015). Or, le surarmement n’a jamais conduit à la sécurité. Il conduit principalement à la guerre.
En dépit du pronostic optimiste de Jacques Derrida, l’apartheid a de beaux jours devant lui … en Israël. Ce n’est pas encore « un vocable hors d’usage ». Et il a amplement de quoi se défendre ! Thanks to President Obama !
Mohamed Larbi Bouguerra
*Mariage, divorce, enterrement, conversion sont du ressort du Rabbinat en Israël.
**Lire l’ouvrage de Nurit Peled-Elhanan, « Palestine in Israeli school books. Ideology and propaganda in education », I.B. Taurus, 2012, London.
***Incitation claire à tuer!
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