La dérive conservatrice de la société tunisienne
Aucune conclusion sérieuse ne peut être tirée des évènements qui se déroulent en Tunisie depuis le 14 janvier 2011 si ces évènements ne sont pas lus à la lumière du conservatisme de la société tunisienne. Certes, tout un chacun appelle à réformer avec véhémence, mais dès qu’une réforme quelconque est mise sur la table, la contre-réaction s’organise aussitôt pour la bloquer ou la dévoyer. Ceux qui crient le plus fort au loup sont ceux-là mêmes qui lui ont ouvert les portes de la cité. Aucune réforme socioéconomique essentielle n’a été mise en chantier ou discutée sérieusement au cours des quatre dernières années. La faute incombe à un régime politique paralysant, un pouvoir faible et indécis et une caste politique sans épaisseur, mais elle incombe plus encore au conservatisme de la société tunisienne elle-même.
Depuis quelques générations, la société tunisienne est devenue «progressivement» égoïste, frileuse, passéiste et corporatiste, c’est-à-dire conservatrice. Laissés à eux-mêmes, sans leadership digne de ce nom et sans ambition commune, individus et groupes sociaux se sont laissés à camper sur des positions acquises et à les défendre avec âpreté et bonne conscience. Les régions riches sont devenues comme frappées de surdité et refusent obstinément d’écouter la complainte qui monte des régions pauvres. Les régions pauvres sont devenues comme frappées de cécité et refusent tout aussi obstinément de voir qu’il y a derrière la réussite des régions riches autre chose que le coup de pouce donné par le régionalisme politique, l’héritage colonial ou la configuration du terrain. Les rapports de travail et les relations sociales sont devenus exécrables, étouffants et destructeurs. Du coup, tout un chacun s’est laissé gangrener par le repli sur soi, l’amertume ou le désespoir. La mèche de solidarité et d’élan fraternel allumée par la révolution n’a été en fin de compte qu’un feu de paille.
Beaucoup espéraient un changement par la loi, c’est-à-dire par les élections, mais à chaque fois, les Tunisiens ont voté contre le changement en donnant une majorité aux personnalités et aux partis politiques conformistes ou traditionalistes. L’ossature de toutes les coalitions gouvernementales formées après le 14 janvier 2011 a reposé essentiellement sur des partis politiques ou des courants idéologiques ne reniant en rien la politique socioéconomique conduite auparavant. Peu importe si ces «bienheureux» du vote populaire ont adopté cette posture au nom du réalisme politique, de l’arithmétique électorale ou de toute autre considération, honorable ou non, le résultat est le même: aucune coalition n’a avancé d’un pouce sur le chemin de la véritable réforme. Ce qui est tout à la fois significatif, pathétique et cruel est que ces coalitions ont été concoctées avec l’assentiment, voire la participation, de personnalités et de partis se proclamant «progressistes», mais qui ont montré à cette occasion plus d’aveuglement et de cynisme que de clairvoyance et de désintéressement.
Si rien n’est fait pour inverser les tendances, si aucune œuvre de redressement national n’est accomplie, l’autisme politique croisé auquel nous assistons aujourd’hui ira en s’amplifiant dans le futur. Le vieillissement prématuré de la population tunisienne pèsera de plus en plus lourd, tant au niveau du taux de participation des «vieux» aux élections —un taux bien plus élevé que celui des «jeunes»— qu’au niveau de certaines valeurs véhiculées spécifiquement par le troisième et le quatrième âges. De son côté, la situation économique et ses perspectives peu encourageantes à moyen terme conduiront à moins de solidarité et à moins d’écoute vis-à-vis de ceux qui souffrent le plus, les jeunes en particulier. Quant à l’incapacité des courants de pensée et des partis politiques «progressistes» à s’unir et à présenter un programme politique crédible et mobilisateur, elle risque de laisser le conservatisme de la société tunisienne sans rival sur le terrain idéologique et politique. De ce point de vue, ce conservatisme peut être lu comme la conséquence naturelle de la faillite intellectuelle, morale et politique de la gauche tunisienne et des forces de progrès en général.
Le conservatisme conduit à la peur du changement, et c’est précisément cette peur qu’il faut vaincre à tout prix sinon la bataille contre le chômage, la pauvreté et le terrorisme risque d’être perdue sur le terrain sinon dans les cœurs. Face aux dangers immenses et conjugués de la crise économique et du terrorisme, le conservatisme n’apportera aucune solution durable, aucune alternative viable, aucun progrès réel. L’histoire nous apprend, en effet, que le salut des nations placées dans de circonstances similaires n’a jamais été dans l’immobilisme et la réaction, mais bien dans le mouvement et l’action.
Habib Touhami
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Je partage cette analyse qui mérite d'être approfondie en prenant en compte nos citoyens à l'étranger,la situation chez nos voisins et dans le monde arabe et l'environnement international .
C'est bien pensé et conforme à la réalité. Rien n'a changé au fond et rien n'a été renié du passé sauf peut être la dictature politique. Selon mon humble avis cela est du au fait qu'il ne s'agît pas d'une révolution mais d'un simple soulèvement.
Ce que la Tunisie a besoin, c'est une "réforme de la structure" de la société tunisien.Ce sont toujours les structures comme dans les vieux temps. Mais on a besoin d'un changement.Ce n'est pas une question de la religion, que les pays de l'ouest on un niveau plus haut dans l'économie.Ils ont reconnûs depuis 150 ans la necessité de séparation de religion et de l'état, d'une culture vaste et l'entrée libre pour tous les institutions de la culture et à l'université. Mais ca ne peut pas fonctionner quand les jeunes doient toujours travailler pour leur familles. On a besoin des systemes sociale qui fonctionnes! On doit accepter que tout le monde a le droit de vivre sa propre vie, sans la famille ou les imames ont le droit de lui empêcher. Ca réprime l'initiative personnelle et quand la corruption a pris place dans la société elle ne peut avancer. Mais il faut le temps que la Tunisie comprend que la vieille modèle de la société où seulement les hommes décident ce qui se passe, et par peur de perdre leurs prérogatives empêchent le changement. Il faut le temps que la société tunisien apprend que la reconnaissance on doit se mériter soi-même. La richesse acquérit par les pères et grand-pères ne reste pas, si on n'en travaille pas! Il faut comprendre qu'il y a des contraintes économique pour avancer. La plus mauvaises vrase c'est : "Ca était ainsi toujours". Mais maintenant les temps et le monde se sont changés! La sagesse de la vieillesse c'est qu'on a appris qu#on a besoin de la phantasie et l'énergie des jeunes. Ils ont la même droit de former leur monde, comme nous avons eu à former la notre. Les vieux hommes conservatives - vous doient réveiller si la Tunisie doit vraiment avancer !
Que pensez vous qu´on fasse pour mettre sur les rails un pays delabré, quel mode de developpement faut-il mettre au service du pays. Moi je pense qu´il faudrait faire appel au cooperatives et au rôle économique de l´Etat pour reconstruire le pays. On dit que le pays a vote "utile" pour éviter le sort de l´Egypte, dans ce cas le choix qu´a fait le peuple est intelligent, il s´agit d´une étape pleine de risques mortels pour la revolution, et il faut la depasser. Aprés cette mise au point, vous avez raison que l´élite actuelle manque d´audace et compte sur l´etranger pour realiser ses rêves. On entend parler de l´adhesion de la Tunisie á l´OTAN,( au risque de creer des conflits avec nos voisins limitrophes, et ils ne faudrait pas compter sur les USA pour nous aider) et faut-il devenir le 51eme Etat des USA? c´est la confusion et meme l arrêt de tout mouvement. Il parait qu´on rate de faire quelque chose pour l´agriculture, c´est le secteur, au moins, qui pourrait assurer la nourriture des Tunisiens. Le Maroc a demandé l´adhesion á L´UE et nous nous demandons la fusion avec les USA. Que ce passe-t-il en ce moment, c´est étrange vraiment. Serions nous encore tunisiens l´année prochaine? qui sait? Nous sommes sur un bateau ivre.