News - 31.12.2015

Imagine all the people

Imagine all the people

Cette année, nous sommes passés par une longue et humiliante période de pessimisme qui était étalée sur tous les média nationaux et internationaux. Pour une grande part de la population, l’année 2015 a été mauvaise pour la Tunisie et pour le monde. Elle a commencé dès le mois de janvier avec les attentats de Charlie Hebdo et du Musée du Bardo et s’est achevée avec les attentats de Paris et de Tunis en novembre. C’était un sentiment diffus, mais qui peut désormais être quantifié puisque partagé par l’immense majorité (les 4/5) des Tunisiens, l'année 2015 a été mauvaise pour la Tunisie. Les tragédies ont marqué les esprits et même en dehors des attentats, l’actualité marquante nous ramène à Daesh et à la Syrie. Le monde a inauguré un contexte nouveau de guerre. Il ne s’agit pas seulement de rapports de force entre des Etats qui chercheraient par le terrorisme à pratiquer une sorte de diplomatie extrême, suicidaire, mais d’une organisation criminelle qui a décidé de faire la guerre à l’Occident et à ses satellites. Effectivement lorsque l’on examine le défilement systématique des actes de terrorisme qui se sont produits cette année, ils démontrent une planification sur le long terme et une méthodologie sur la durée. La Tunisie est une cible particulière pour l’organisation de l’Etat islamique car ce n’est pas un pays quelconque. C’est un pays musulman d’abord et qui vit sur un passé colonial où il y a des crises identitaires.

C’est là-dessus que joue l’organisation de l’Etat islamique et la raison pour laquelle ils frappent la Tunisie et la France. La Tunisie est en lutte avec des moyens policiers, judiciaires et de renseignement pour déjouer ces attentats. C’est très difficile sur le plan politique lorsque l’on commence à réviser nos lois. Bien sûr il faut les adapter à cette lutte contre le terrorisme, mais qui aurait imaginé que nous en arriverions à mener une guerre avec des moyens militaires sur notre propre sol. Cette année nous avons découvert un terrorisme de l’intérieur. La plupart des exécutants de ces attentats sont de nationalité tunisienne et par conséquent cela nous interroge sur la façon dont nous devons répondre à toutes ces actions. L’Etat doit-il faire des excuses pour avoir laissé des nationaux adopter ce type de comportement ou partir dans ce genre de dérives. Est-ce de la faute de la société et de la politique nationale de l’Etat ? La réponse est évidemment nuancée mais est en partie non ! Certes il y a un phénomène de ghettoïsation, un problème réel d’intégration, d’exclusion et de chômage des jeunes. Mais on ne peut pas dire que ce sont la société et l’Etat qui ont donné les armes à ces activistes. Ils ont opté pour ces actes eux-mêmes. Mais la difficulté est de savoir si nous devons adopter une position mais aussi une politique pour faire en sorte de répondre à des interrogations virtuelles, à des questions latentes. Cela signifie que sur le plan économique et social, de la même façon que l’on doit prévenir la criminalité, il va falloir envisager des moyens de prévenir des formes de dérive identitaire par des outils qui sont à la fois culturels, intellectuels, économiques et sociaux. En revanche, il faut une réflexion à long terme sur la radicalisation. Celle-ci prendra du temps car il va falloir essayer de décortiquer les raisons qui font que des gens qui sont supposés partager un sentiment national se retournent contre leur propre société. Il faut que tout le monde prenne un peu de recul, que l’on fasse un pas en arrière pour déterminer ce qui nous arrive réellement au-delà de l’émotion. C’est une situation globale qui se produit qui s’est ramifiée pour s’étendre sur tous les continents. Tout cela amène au constat que nous ne sommes pas dans une guerre immédiate, mais plutôt dans un conflit de long terme, aux facettes multiples et qui a commencé il y a très longtemps. C’est un phénomène qui s’est déjà manifesté dans les années 1970 (1979, attentat à La Mecque) et qui est donc relativement ancien mais qui a changé de nature.

La conférence des Nations-Unies sur le climat nous a montré que parfois il ne faut pas désespérer à la fois de la diplomatie mais aussi de ce que sont les Nations-Unies car si les résultats sont décevants par rapport aux attentes, ce sont quand même 197 Etats qui ont conclu un accord. Personne ne pourra dire que ce n’est pas un progrès qui doit en annoncer d’autres. C’est un ‘’working progress’’ qu’il faut poursuivre. Un traité a été conclu, mais qui manque d’ambition car les obligations normatives sont remplacées par de simples incitations. De plus aucune sanction n’est prévue pour les cas de violation du texte. La contrainte n’est que politique dans l’espoir que ce compromis crée une dynamique déontologique et comportementale.

Vous avez dit croissance, quelle croissance ?

Mais ce sont surtout les difficultés économiques qui constituent la toile de fond de ce tableau noir.

D’un autre côté, on nous parle, comme le faisait par exemple le ministre des finances lors des débats sur le budget 2016 à l’ARP de croissance et de politique d’austérité. On avance des chiffres qui sont incompréhensibles pour les profanes, mais qui semblent satisfaire les multinationales de l’endettement ; une croissance de 5% à 7%, dont on se demande où elle se trouve ? Et si elle existe, à qui elle profite, puisque nous ne voyons pas beaucoup de changement positif dans nos vies, sinon un appauvrissement réel ? Notre marché ne semble pas assez mûr pour en tirer les conséquences positives et nous continuons à payer des prestations à un coût excessif, très nettement prohibitif par rapport au coût de la même prestation dans un marché occidental ou asiatique. Economiquement parlant, il pourrait y avoir de la croissance mais c’est une croissance brute. Ceux qui en bénéficient ce sont d’abord et toujours les investisseurs étrangers, les grandes firmes internationales et les créanciers du pays ainsi qu’une classe ploutocrate minoritaire locale. Dans le détail, la croissance structurée par la démographie révèle un bilan plus mitigé. La démographie tunisienne semble s’être stabilisée et semble avoir atteint un palier. Lorsque l’on examine la croissance de la production par habitant on doit constater qu’elle est relativement faible. Ceci est d’ailleurs vrai pour toute l’’Afrique puisqu’elle est le seul continent où le revenu national net par habitant, ce que les gens gagnent, est négatif. Pour ce qui concerne notre pays, le revenu national par habitant est plus faible que ce qu’ils produisent. Donc cela signifie qu’une partie du potentiel de production et par là de la croissance est captée par un autre circuit. L’explication réside dans le fait que, dans le secteur de la grande consommation, si nous voulions profiter d’une partie de la richesse générée dans notre pays, il faudrait que ce soit notre capital qui contribue à sa création, pas celui de l’étranger ou des bailleurs de fonds.

La croissance de la Tunisie a trois caractéristiques. C’est une croissance dynamique, mal partagée, et qui ne crée pas assez d’emploi, aussi devient-elle contre-productive. La croissance est concentrée dans les mains d’un petit nombre de personnes qui tirent les prix de l’immobilier ainsi que de certains biens de grande consommation vers la hausse. Cela a pour effet d’accélérer et d’accentuer la fracture sociale et le sentiment de frustration des citoyens. Ainsi paradoxalement une partie de la population n’en profite pas et s’en trouve victime, devant subir de plein fouet les coûts excessifs d’une survie sociale toujours plus difficile. Par ailleurs cette croissance ne crée pas assez d’emploi. La croissance est portée par les secteurs des investissements étrangers, des secteurs stratégiques où il y a peu de transformation locale, il y a peu ou pas d’emplois créés. Les capitaux viennent d’ailleurs et donc une bonne partie des richesses générées repartent. Il y a aussi le fait que notre économie n’est pas compétitive au niveau international et la Tunisie est l’un des pays où l’on trouve les prix les plus élevés et le taux de pauvreté à un niveau jamais atteint jusque-là. Les personnes les plus pauvres payent les prix les plus chers. Pour inverser le processus il faudrait plus de compétitivité et plus de participation des acteurs économiques tunisiens pour animer notre économie. Alors seulement on pourra avoir création d’une bourgeoisie, une catégorie qui bénéficie réellement des retombées de notre croissance. L’essentiel des investissements aujourd’hui est issu de capitaux étrangers dont les dividendes sont automatiquement rapatriés.

De toutes les manières, un pays qui n’est pas stable politiquement, juridiquement et sur le plan sécuritaire et de l’investissement, n’aura pas de croissance effective. Cette donnée est vérifiée que ce soit du point de vue des investisseurs directs étrangers ou des investisseurs nationaux. La paix est un préalable à tout développement. Travailler sur la compétitivité est un véritable défi que doivent relever les dirigeants et les investisseurs. Il faut nous réapproprier notre économie et ne plus laisser des pans entiers entre les mains de personnes extérieures à notre pays ou qui ne partagent pas réellement le sentiment d’appartenance nationale, comme tous les parvenus et les opportunistes qui sont entrés au lendemain du 14 janvier 2011 pour récupérer et se partager les acquis d’une transition qui a été baptisée révolution. Il faudrait aussi responsabiliser le secteur bancaire pour les inciter à financer des projets à long terme. La Tunisie doit faire un effort important pour la création de PME locales, d’entreprises artisanales et par la suite de grandes entreprises nationales. Ces entreprises doivent augmenter de manière exponentielle en revenus, en nombres et en performances et s’orienter vers l’exportation.

Ce serait vraiment tomber dans les communs sordides de la banalité que de se dire espérer que cela s’améliore au cours de l’année 2016 avec un tel background.
2015 a donc été une année horrible sur fond de terrorisme, d’austérité, de sacrifices et d’insécurité. John LENNON chantait : «Imagine there’s no countries It isn’t hard to do Nothing to kill or die for And no religion too.» ; (pour vivre en paix, il ne faut pas de religion au nom de laquelle on est prêt à tuer ou prêt à mourir).

Jeudi 31 décembre 2015
Monji ben Raies
Universitaire
Enseignant et chercheur en droit public
Université de Tunis-El-Manar
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis

 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Touhami Bennnour - 01-01-2016 00:29

Les dernières nouvelles venant de l´Irak, des Etats Unis et aussi de l´Europe parlent d´une fin trés prochaine de Deach en Irak et Syrie, Il reste á savoir ce qui va se passer avec les Russes et les rebelles syriens contre Assad. Il ne faudrait pas dans ce cas permettre á Deach de trouver refuge sûr en Libye.

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