Sommet de Davos et mutations économiques mondiales

La réunion annuelle du Forum économique mondial (WEF) se tiendra du 20 au 23 janvier 2016 à Davos .Ce sommet qui regroupera  notamment de hauts dirigeants politiques et de multinationales  , se déroulera un mois après la conférence de Paris sur le climat .Il a pour thème central «  la maitrise de la 4ème révolution industrielle ».

Certains analystes considèrent que l’objectif principal du WEF est de préserver "le Business as usual"à travers des aménagementset des adaptationsde l’économie de marché en atténuant les impacts des mutations sociales et environnementales mondiales. Nonobstant les considérations idéologiques le Forum de Davos a étendu  progressivement son influence en intégrant dans ses activitéslaréflexionsur l’environnement politique, économique , technologique et social de l’entreprise . 250 sessions sont programmées pour la réunion 2016 portant, entre autres, sur la question des réfugiés, la stabilité au Levant et en Afrique du Nord, la réforme économique dans le monde arabe et les perspectiveséconomiques en Inde ,en Afrique et en Chine .

1- La Nouvelle frontière de l’économie mondiale : La 4ème révolution industrielle

Cette mutation intervient après celle de la machine à vapeur, du développement de l’électrification et la production de masse puis celle de l’électronique et de la numérisation de la production. La nouvelle révolutionindustrielleest favorisée par la robotisation, la nanotechnologie, le développementde l’intelligence artificielle et l’apparition des imprimantes 3D .Les logiciels de modélisation et l’internet  industriel accentuent l’adaptabilité à la demande du marché.

Outre les Etats-Unis , le Royaume Uni, la France , la Corée du sud , le Japon et la Chine, l’Allemagne développe" l’industrie 4.0 "notamment à travers l’initiative"  smart-factory " lancée par le centre  allemand de recherche développement de l’intelligence artificielle .Cette évolution est facilitée par le système de formation alternée avec l’entreprise , la qualité des machines-outils, l’esprit de sacrifice et de coopération des travailleurs germaniques (baisse uniforme de 10% des salaires en 2008 pour consolider la compétitivité et la pérennité des entreprises).

La plateforme  qui a initié en 2011" l’industrie 4.0" regroupe des politiciens, des économistes, des chefs d’entreprises ainsi que des représentants de syndicats, d’associations et d’universités .L’industrie intégrée ou digitale est basée sur la numérisation et l’interconnexion entre machines et systèmesde conception d’approvisionnement, de production  et de maintenance au sein de l’entreprise et entre celle-ci et son environnement (fournisseurs , clients , partenaires..) .Ce qui améliore l’allocation des ressources et favorise l’adaptation immédiate à la demande en combinant production de masse et production de biens et services personnalisés .
Le délai entre la conception des produits et leur mise sur le marché peut être réduit de moitié et celui de livraison ramené à 24 h  pour un produit pratiquement zéro défaut.Atravers des logiciels appropriés le concept de services intelligents s’étend à différentes activités (banques,assurances,tourisme,transport..).

La baisse des coûts de production des robots facilite la compression du nombre des postes d’emplois et la relocalisation d’activités industrielles vers les pays développés.

Ce qui risquerait d’aggraver ainsi les disparités de développement dans le monde en raison du caractère capitalistique et la sophistication des équipements servant à la 4ème révolution industrielle alors que des centaines de millions de personnes ne bénéficient pas encore de l’électricité, y compris dans des pays émergents comme l’Inde.

2. Mutations géopolitiques

Selon une étude du centre de veille de la CIA de 2013 portant sur des projections à l’horizon 2030  fondées sur un indice composite synthétique qui prend en compte la production intérieure , internet , la recherche et développement , les ressources humaines , les IDE, les ressources énergétiques et les capacités militaires,les Etats-Unis conserveraient- à cette date- leur leadership mondial à hauteur de 20%, suivis de la Chine (15%), l’Inde (12%),le Japon (5%), le Royaume Uni (4%). La France, l’Allemagne et la Russie avec chacune 3%.

Par ailleurs dans une une analyse prospective,élaborée fin 2015, conjointement avec les structures de l’Union européenne,le centre de stratégie européenne et d'analyse politique a dressé les tendances mondiales à l'horizon 2030 portant notamment sur:

• Le déplacement progressif du poids économique et du pouvoir politique vers l'Asie.
• Les retombées socialesdes nouvelles technologies sur l'emploi ,les inégalités sociales et l'appauvrissement des classes moyennes.
• L'amplification des incertitudes géopolitiques, aggravées par l'impact du changement climatique.

Cettedernièreprojection constitue en fait le prolongement  desmutations en cours:une Europe décontenancée par lesmenaces terroristes et l'ampleur desmigrations économiques, politiques et climatiques,le reflux de Daechvers l'Afrique du Nord avec les risques de jonction avec les mouvements terroristes du Sahel et de l'Afrique Occidentale, les dangers de démembrement dans l'aire arabo-musulmane- notamment avec la reprise de "la grande discorde"entre sunnites et chiites-,les risques de conflitsdans la région Asie-Pacifique-particulièrement en merméridionale de Chine- et Même au delà en mer Méridionale...

3. La Tunisie, le WEF et le positionnement futur de notre économie

Disputant longtemps le 1er rang à l’Ile Maurice , en termes de compétitivité   économique en Afrique, la Tunisie a été rétrogradée au 9ème rang en 2015 selon l’indice publiéen la matière par le WEF (92ème place sur le plan mondial).
La Tunisie a été l’invitée d’honneur, à certaines occasions,des réunions annuelles de Davos.Elle sera représentée cette année par le Président du Gouvernement.Un hommage à la société civile seraégalementrendu à notre pays à travers le choix de Amira Yahyaoui,fondatrice d’El Bawsala, qui officiera  comme co-Présidente en sa qualité de WEF global shaper de jeune à fort potentiel.

Auréolée des avancées, bien que chaotiques, du processus de démocratisation en cours et l’attribution du Prix Nobel de la Paix la Tunisie pourrait cependant mettre à profit cette méga- réunion de réseautage et de lobbying pour promouvoir  la prochaine conférence internationale de présentation,à Tunis , du plan de développement 2016-2020.

L’accélération, d’ici là, du processus de réformes s’avère nécessaire pour l’attraction des IDE.C’est à ce prix que l’Egyptea pu réussir l’organisation d’une manifestation similaire à Sharm El Sheikh.

A long terme la Tunisie est appelée à se positionner à travers une vision et une stratégie de redéploiement tant sectoriel que géographique.

La 4è révolution industrielle impacte les principaux facteurs de compétitivité de la Tunisie : proximité géographique et culturelle de l’Europe,fabrication des petites séries dans les industries manufacturières,  rapport entre salaires et productivité, activités en flux tendus, développement de l’économie numérique et de l’économie verte….
Il convient de rappeler à cet égard le benchmarking de la Tunisie dans les secteurs industriels et de services qui a débouché sur des recommandations relatives au positionnement sectoriel de notre pays dans l’espace Euromed : Tunisia Euro-valley.

L’union Européenne demeurera le principal partenaire économique de la Tunisie moyennant la diversification de nos marchés, de la provenance des IDE et des modalités de formation et de gestion .A cet  égard l’implantation  d’un établissement universitaire allemand en Tunisie constituerait un nouvel atout en cette direction.

Parallèlement notre pays est appelé à se départir de sa frilosité pour s’ouvrir à d’autres horizons et à d’autres relais dynamiques de croissance notamment en Afrique et en Asie qui constituent les nouvelles frontières de l’économie mondiale et les sources de création de richesses.

Ce qui conduirait à axer la réforme d’éducation et de formation sur l’acquisition des nouvelles connaissances mais aussi sur les aptitudes des métiers de demain :souplesse, adaptabilité, rigueur, esprit d’ouverture, d’innovation et d’équipe. Fruit de l’Histoire et de la géographie et de son héritage civilisationnel la Tunisie dispose d’un potentiel de ressources immatérielles en plusieurs de ces aptitudes à réhabiliter et à développer ...

Mongi Lahbib