Dali Jazi: Préface par le Doyen sadok Belaid
Dali Jazi nous a quittés, emporté par une longue maladie, mais non sans avoir engagé contre elle, sa dernière bataille. A l’occasion de l’hommage qui lui est rendu, qu’il nous soit permis de présenter quelques réflexions sur les aspects les plus marquants de la vie et de l’œuvre d’un ami et d’un collègue que nous chérissons tous.
L’Universitaire ‘militant’: Durant toute sa carrière, Dali Jazi a été l’intellectuel et l’universitaire de plusieurs défis, l’homme qui, face à de graves problèmes qui assaillaient déjà le pays de toutes parts, a refusé de s’enfermer dans sa ‘tour d’ivoire’, pour livrer bataille…
De ces défis, le premier, si révélateur, a été le choix que Dali Jazi a fait du thème de sa future thèse de doctorat ‘Les rapports entre l’Etat et le citoyen dans la Tunisie indépendante, le problème des libertés publiques’, thèse dirigée par une sommité du droit moderne que nous vénérons tous, René Chapus, et couronnée par le prestigieux ‘Prix du concours des meilleures thèses’ de l’Université de Pris (1982) mais surtout, thèse qui, loin d’être due au hasard ou à la hâte d’un étudiant pressé d’accomplir quelque formalité académique inévitable, est annonciatrice d’un choix fondamental de son auteur et de son engagement politique déterminé. Car, si les ‘Libertés publiques’ sont pour nombre de juristes, une discipline tout à fait classique et même peu originale, elles étaient pour la Tunisie des années 70-80, une matière tout à fait nouvelle, ‘politiquement’ très sensible et qui peut se révéler dangereuse. Dali Jazi a été le premier universitaire tunisien à enseigner cette matière, et, en toute connaissance de cause, il en a accepté tous les risques, alors qu’à l’époque, il n’était encore qu’à l’échelon de début de sa carrière universitaire. Da fait, les ennuis n’ont pas tardé à venir. Quelque ministre de l’époque, aujourd’hui oublié, a exigé de nous que ce cours lui soit immédiatement retiré faute de quoi, il a menacé de démettre l’impétrant (ainsi que d’autres collègues, d’ailleurs) de ses fonctions ! – Le dit ministre a eu la maladresse de n’avoir pas assez compté avec la solidarité déterminée de tous les enseignants de la Faculté pour leur collègue mais surtout, il a sous-estimé le courage et la ténacité du jeune enseignant face à cette tentative de violation de la liberté de l’enseignant et de mainmise de l’autorité politique sur l’Université : succès total et retentissant…
Avec Dali Jazi, les péripéties du ‘retrait’ de ce cours étaient loin d’être un simple épisode. Pou lui, les ‘Libertés publiques’ étaient plus qu’un cours : plutôt un massage engagé et revendicateur, l’expression par un universitaire et un homme de science, d’une réflexion qui gêne et qui interpelle, et qui rappelle sans cesse le profond écart qui à déjà commencé à s’installer entre l’idéal de justice et de liberté qu’elle véhicule et la souvent triste réalité de la vie politique de notre pays, entraîné qu’il était , déjà à cette époque, dans une mouvance rétrograde qui n’a que trop duré.
Ce qui confirme la puissance alliance entre la fonction enseignante et l’engagement politique est l’importance que Dali Jazi accordait continuellement à la réflexion sur le rôle fondamental des ‘ Libertés publiques’ et des ‘droits de l’homme’ dans le développement d’une jeune nation qui, dans l’esprit du regretté, devait dès le départ, ‘prendre le bon pli’, sous peine de rater pour longtemps l’occasion de faire l’apprentissage de la véritable démocratisation de sa vie politique.
De là, la présence récurrente de cette réflexion aussi bien dans l’enseignement que dans l’action. Dali Jazi a assuré divers enseignements à la Faculté de droit et des sciences économiques et politiques de Tunisie et ensuite, à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunisie, et dans d’autres institutions universitaires tunisiennes ou étrangères. Mais c’est toujours le thème des ‘Libertés publiques et des droits de l’homme’, qui a occupé la place prépondérante dans ses enseignements et dans ses écrits. Que l’on se réfère à son cours à l’Académie internationale de droit constitutionnel sur «Le Citoyen et la Constitution » ou aux nombreux articles publiés dans diverses revues tunisiennes ou étrangères et dont l’ouvrage ‘Les droits de l’homme par les textes’ en a recueilli les principaux axes de réflexion : ici ou là, c’est le militant des droits de l’homme qui parle, qui met en garde, qui dénonce, qui éveille les consciences…
Mais ce n’est pas seulement au niveau de la réflexion et de l’enseignement que la fois et l’énergie de Dali Jazi se sont manifestées. Elles ont été aussi présentes, et avec la même force, dans l’action. D. Jazi a déployé autant d’efforts au service des mêmes idéaux, d’abord dans le cadre de l’un des rares – et même, unique – ilot de liberté dans la Tunisie affligée d’une fin de régime politique peu glorieuse -, la ‘Ligue tunisienne des droits de l’homme’ : au sein de cette Association militante, dont a été l’un des fondateurs et l’un des dirigeants pendant de longues années, il était à la fois l’inspirateur, le militant, le modérateur, et le diplomate attiré. Lorsque par la suite, il a considéré de son devoir de s’engager dans la vie politique d’une manière plus directe, il a résolument choisi de s’affilier au parti politique qui lui apparaissait à l’époque comme le ‘parti des libertés’, pour y porter le flambeau des idéaux pour lesquels il a toujours milité.
Mais encore, lorsque même, il a été appelé à assumer des responsabilités gouvernementales, le leitmotiv des ‘Libertés publiques’ et des ‘droits de l’homme’ sont loin d’avoir disparu. Loin de se plier à une prétendue tradition de ‘réserve’ ou même d’alignement sur la ligne politique officielle, Dali Jazi a continué de militer pour la même cause. Témoin de son attachement à ces idéaux, les nombreuses allocutions et conférences prononcées dans les contextes les plus divers et toujours en temps et heures voulus et dans la plus stricte ponctualité en dépit de ses lourdes responsabilités politiques : une ténacité tout à fait admirable et par laquelle il voulait montrer à tous qu’il continue de se comporter en toute fidélité à ces mêmes idéaux. – C’est précisément cette volonté de rester fidèle à ses idées, que D. Jazi a continué le combat, un autre combat.
L’Universitaire ‘politique’ : Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est parce que Dali Jazi a été déçu de la politique, qu’il s’est engagé dans le combat politique, avec la détermination mais aussi avec tous les sacrifices que cela impliquait. Parce que le parti d’opposition dont pourtant il a été l’un des fondateurs, a déçu, il a eu – et advienne que pourra -, le courage de changer d’orientation dans la seule intention de porter ses idées là où il pouvait, sinon les faire triompher, du moins les faires entendre. A ce titre, il a été, d’abord, un Universitaire ‘politique’. – Qu’est-ce à dire ? – Tout simplement qu’il a fait de la politique non pas une fin en soi, mais un moyen parmi d’autres, pour réaliser un certain idéal. C’est pour cette raison que, bien qu’il lui ait sacrifié près de dix-huit ans de sa brève vie, il n’a jamais été un professionnel de la politique, et on ne l’a jamais classé dans des féaux ni sur celle des simples figurants. Il a été un ‘politique’ militant, un formidable homme d’action et un infatigable meneur d’hommes.
A plusieurs reprises. Nous avons dit à nos étudiants que la lecture du Journal officiel de la République tunisienne leur permettait de percer le ‘secret administratif’ et de mesurer le dynamisme de n’importe quel département ministériel : il suffisait pour cela, d’analyser les rubriques ‘Lois’ et ‘Règlements’ se rapportant à tel ministère qui les intéressait. – Par référence à ce critère objectif d’observation externe, on n’aura aucune peine à classer les ministères dont Dali Jazi a eu la charge, parmi les plus dynamiques et les plus performants de son époque. Son passage au Ministère de la santé publique (1982-1992), puis au Ministère de l’enseignement supérieur (1994-1999) montre amplement l’étendue de son action dans ces deux secteurs-clés de la politique du pays.
Le Ministère de la santé publique a bénéficié au cours de cette période de trois ans, du talent d’initiateur, de réalisateur et d’organisateur que Dali Jazi a déployé dans des secteurs aussi différents que le statut des établissements hospitaliers publics et des établissements de soins privés, les contrôles des activités médicales et connexes dans leur grande diversité, la fabrication et la distribution des médicaments et produits assimilés, le statut des professions médicales et paramédicales, la révision des statuts de toutes les catégories de personnels de la santé, aussi bien les personnels hospitalo-universitaires que les nombreuses catégories de personnels médicaux et paramédicaux, les organismes consultatifs nécessaires à la bonne marche de l’activité de soin, la prise en charge de l’encadrement médical des maladies graves, incurables, transmissibles, handicapantes, chroniques et épidémiques : tous ces secteurs ont reçu un encadrement législatif et réglementaire approprié, modernisé et actualisé.
Le Ministère de l’enseignement supérieur a été un terrain favorable déploiement de l’énergie créatrice de Dali Jazi. Dans ce domaine, qui lui est plus familier, le mérite de Dali Jazi a été la prise en charge de l’héritage du regretté Mohamed Charfi, accompagnée de l’innovation dans les domaines que ce Ministère n’a pas eu le temps de prospecter. Une illustration de cette première ligne d’action a été la préservation et l’extension de l’héritage qu’il a trouvé en place, rompant avec une fâcheuse pratique qui consiste pour le nouveau responsable à effacer les empreintes de son prédécesseur. Dali Jazi, lui, a eu la sagesse de préserver les principes fondamentaux de la politiques éducationnelle alors mise en œuvre et d’en protéger l’esprit et l’inspiration, de maintenir et de renforcer les nouvelles institutions universitaires nouvellement créées et même d’en développer l’action et l’envergure.
Un seul exemple : il a non seulement fait sien le nouveau programme de création des ‘Instituts Supérieurs d’études technologiques’ (ISET) chargés de la formation des cadres moyens dont le pays a considérablement besoin pour mener à bien sa politique de développement, mais il en a encore étendu la réalisation, passant du modeste objectif initial limité à la création de trois nouvelles unités et à la transformation de trois établissements existants pour l’ensemble du pays à celui de la construction d’au moins un ‘ISET’ dans chaque gouvernorat et de l’adaptation des programmes de formations de ces unités d’enseignement et de formation aux spécificités et aux besoins propres à chacune de ces circonscriptions régionales.
Mais Dali Jazi a surtout innové en donnant libre cours à son inspiration. Il a profondément réfléchi aux nombreuses implications du phénomène devenu irréversible de la ‘Mondialisation’ sur la politique éducationnelle de notre pays et, il a orienté son action en vue d’épargner au pays le risque de ‘perdre une autre révolution’.c’est dans ce sens qu’il a œuvré en vue de la modernisation de l’administration universitaire par son informatisation et par l’introduction des méthodes et technologies de numérisation, de la mise à jour à la fois de ses programmes d’enseignement et de recherche scientifique auxquels il a donné la première priorité, de l’encouragement de l’enseignement des langues étrangères en équilibre avec la langue nationale, de la re-situation de l’Université dans son cadre culturel et politique national et dans environnement économique et social, du renforcement de l’ouverture de la politique éducationnelle et de formation du pays sur les sciences et les technologies modernes, de l’actualisation et de l’approfondissement de la réflexion sur ‘’les perspectives d’évolution de l’enseignement supérieur’ et sur les fondements de ‘l’école de demain’…
Dali Jazi (1942-2007) : Une œuvre immense, un héritage précieux mais qui laisse une amère impression d’inachevé…
«Ubi est, mors, victoria tua, »…
Sadok BELAID
- Ecrire un commentaire
- Commenter
Hommage plus complet sur la carrière d'un Tunisien qui a laissé une empreinte inachevee pour permettre "a ses étudiants voire ses collègues de continuer " a faire avancer notre pays vers la modernité et vers la tolérance et la démocratie.