Chokri 7ay, Chokri dima 7ay
Le 6 février 2013 est une date qui restera gravée à jamais dans ma mémoire comme une journée noire où tout a basculé d'un seul coup, où plus rien n'est plus comme avant, où tout s'effondre : dans une Tunisie qui aspirait à plus de libertés, plus de dignité, on vient d'assassiner un démocrate, un leader politique pour ses idées ! Non, plus rien n'est plus comme avant !
Je repense encore à ce jour là, les images se bousculent dans ma tête et la même atrocité accompagnée de désespoir et de colère remonte en moi et me gagnent.. Le matin de ce jour maudit, une collègue entre dans mon bureau affolée, la voix saccadée, entrecoupée de sanglots qui résonne encore dans mes oreilles :" قتلوه شكري قتلوه "
Figée par l'atrocité de la nouvelle mais en même temps incrédule, dans un total déni, je me disais : non ce n'est pas possible, hier soir, Chokri était l'invité du plateau de Nessma TV et j'ai suivi le débat jusqu'à une heure tardive en admirant la clarté de ses propos, la profondeur de son analyse, la limpidité de sa visibilité politique.. Il dénonçait "la stratégie méthodique d'explosion de violence de la part d'un parti politique".
L'homme dégageait beaucoup de sincérité et forçait l'admiration. Mon admiration était mélangée à un sentiment de fierté, de confiance et d'apaisement pour notre avenir pensant que tant que la Tunisie compte parmi ses enfants, des personnes de cette trempe, l'espoir pour un avenir meilleur était permis. Chokri faisait presque partie de moi car il exprimait haut et fort ce que je ressentais, il le disait si bien ! Le perdre signifie perdre une part de soi exactement comme si je perdais quelqu'un de proche ! c'était inadmissible mais la triste nouvelle se confirmait de plus en plus. Ma colère et mon déni ont laissé placé à un flot de larmes.. .J'ai erré dans les rues de l'hôpital en dévisageant les personnes qui me croisaient en criant au fond de moi "mais mon Dieu, qu'est ce qui se passe dans mon pays ? comment de telles violences peuvent-elles avoir lieu ?" Je tournais en rond, je ne savais plus quoi faire! J'ai fini par sauter dans un taxi avec deux de mes amies-collègues pour aller crier ma colère sur l'avenue, devant le siège du ministère de l'intérieur. Il était à peine 10 heures du matin mais la foule était déjà dense, les gens incrédules et les yeux en larmes. J'ai retrouvé dans la foule mon époux qui était également sous le choc et a fini par arrêter ses consultations et fermer son cabinet car bien incapable de se concentrer; nous étions inconsolables.
Les images de ses funérailles sont absolument uniques et inoubliables. C'était le 8 février 2013. Nous avons pris la décision en famille d'accompagner notre martyr depuis son domicile parental à Jebel Jelloud. De bon matin, munis de nos drapeaux, nous avons pris le chemin d'abord en voiture puis à pieds de Montfleury jusqu'à Jebel Jelloud où la foule devenait de plus en plus dense; les visages tristes mais les regards intenses et déterminés, les slogans de toute sorte fusaient de partout mais tous dénonçaient le crime odieux. Le passage devant nos yeux du cortège funèbre où nous pouvions apercevoir sans difficulté Besma l'épouse, et Neyrouz la fille, était absolument fort d'émotion. Les environs du Jellaz étaient noirs de monde, une marée humaine du jamais vu même pas le 14 janvier 2011 sur l'avenue, je suis témoin. Malheureusement, nous avons dû quitter rapidement les lieux devant l'intensité des nuages lacrymogènes et des fumées épaisses qui se dégageaient des voitures incendiées aux environs du cimetière.
Trois ans après, je n'ai toujours pas fait mon deuil comme la plupart des tunisiens car nous n'avons toujours pas de réponse à la question posée depuis cette sinistre journée : قتلو ؟ شكون شكري
Zahra Marrakchi
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