Radhi Meddeb: L’inclusion, clé pour une sortie de crise
La Tunisie vient de rentrer dans une zone de fortes turbulences. Les évènements des dix derniers jours dans les régions intérieures, déclenchés d’abord par l’exigence d’emplois et de meilleures conditions de vie, ont sonné la fin de la récréation. La patience du pays profond est à son terme. Depuis longtemps, deux facteurs devaient nous rappeler à la réalité de nos errements: le chômage et la situation extérieure des finances publiques devenaient littéralement insoutenables. C’est finalement la situation sociale qui prend le dessus sur la situation financière et nous explose en pleine figure.
Pendant ce temps-là, la classe politique continue à se chamailler et à s’étriper. Les ego explosent. Chacun se voit vizir à la place du vizir. Peu importe qu’il ait une vision ou non, qu’il porte un projet ou non. La dichotomie entre le pays réel et la classe dite politique est abyssale. La scène est pathétique.
Rien n’a changé depuis au moins cinq ans. Les inégalités régionales sont toujours aussi béantes, les discriminations aussi criantes et la marginalisation aussi intolérable, et c’est là le problème.
Cinq fausses bonnes idées sont communément partagées. Elles ne résistent pas pour autant à l’analyse objective:
1. L’économie, après la politique : pendant cinq ans, les professionnels de la politique, les vendeurs d’émotion et de démagogie ont chanté au peuple les valeurs de la démocratie et du débat. Ils ont toujours affirmé haut et fort que l’économie était une question technique, que son temps viendrait et qu’il était illusoire de s’en occuper si les fondations politiques n’étaient pas en place. Or, la réalité n’est pas faite de tranches de vie, politique d’abord, sociale ensuite, économique enfin. Elle se déroule à court, moyen et long termes, chacun de ces termes étant un savant dosage entre le politique, le social, l’économique et le sécuritaire. Nos gouvernants ont oublié l’économie, mais l’économie ne nous a pas oubliés. Nous avons tous en mémoire la formule choc qui avait fait gagner Bill Clinton à l’élection présidentielle de 1992 face au président sortant H.W. Bush: «C’est l’économie, imbécile !».
2. Tout doit se régler par le consensus : cela a été vrai pour la rédaction de la constitution et plus généralement pour le traitement des questions politiques. Pourtant, le consensus ne permet pas d’aller au fond des débats, de trancher la question. Il se fonde souvent sur des ambiguïtés qui diffèrent la confrontation pour plus tard. Cela ne pourra malheureusement pas être le cas pour les questions économiques. Nous en avons eu la preuve sur des sujets somme toute mineurs comme l’augmentation des salaires dans le secteur privé. Qu’en sera-t-il quand il s’agira de la lutte contre la contrebande, contre la fraude fiscale, contre la corruption ? Les enjeux sont considérables. Les contrebandiers ne se laisseront pas faire.
3. Le retour de l’Etat providence : aujourd’hui, les défis posés par le chômage, l’atonie de la croissance, l’urgence et la violence des exigences sèment le désarroi chez tous ceux qui traitent de la chose publique. Face à une équation impossible, les propositions les plus hétéroclites fusent, de la nécessaire intervention de l’Etat pour pallier la déficience du secteur privé en passant par le pacte de responsabilité qui devrait être imposé aux grandes entreprises jusqu’au saupoudrage de l’activité sur les 24 gouvernorats, aucune piste n’est laissée inexplorée. Et pourtant, de telles médications ne pourraient en aucun cas soigner le malade.
4. Une politique de grands travaux : si le ventre mou de la Tunisie est dans son sous-développement, c’est parce qu’il a manqué d’infrastructures, de routes, d’autoroutes, de chemins de fer… Encore une fois, l’idée est fausse. Les grands travaux d’infrastructures créent très peu d’emplois et encore moins au-delà de leur période de construction. Plus grave encore, les expériences internationales montrent qu’une infrastructure de transport (autoroute, chemin de fer) reliant une région pauvre à une région riche accélère l’exode rural, vide la région pauvre au profit de celle plus riche et creuse encore plus les inégalités.
5. L’inéluctable relance de l’investissement public et privé : une dernière fausse bonne idée unanimement partagée est que seul l’investissement crée de la croissance, elle-même, préalable à la création d’emplois. Or, l’investissement est en panne. Le secteur privé rechigne à prendre des risques et le secteur public a perdu sa capacité d’absorption. Cette vision dichotomique entre secteur public et secteur privé est éculée à plus d’un titre. Elle ignore le tiers secteur, celui de l’économie sociale et solidaire, capable de venir épauler les deux autres secteurs, de pallier en partie leurs appréhensions et leurs limites. Elle rejette, sur des bases idéologiques, toute forme de partenariat public-privé.
Nous avons suffisamment perdu de temps depuis 2011 et bien avant. Nos réformes ont été cosmétiques du temps de l’ancien régime. Elles le sont encore faute de vision, de conviction et de courage politique.
Il est urgent de passer à l’action, avec abnégation, clairvoyance, courage et ambition.
N’inventons pas la brouette. Soyons pragmatiques. La sortie de crise passera par une approche simultanée entre court et moyen termes : engager les réformes et susciter l’espoir.
Les réformes doivent être portées par une seule préoccupation : l’inclusion. Tout l’enjeu sera comment formaliser l’informel, bancariser la population, étendre la couverture sociale, donner sa chance à chacun, projeter le pays dans la modernité, favoriser l’éclosion des vocations, donner la voix aux jeunes, associer la diaspora, promouvoir l’excellence, l’innovation et l’esprit d’entreprise, adhérer spontanément aux standards internationaux et aux meilleures pratiques, bannir toute forme de ségrégation entre genres, réhabiliter les métiers manuels, l’artisanat et les produits du terroir.
Les solutions administratives qui prétendent orienter l’investissement privé sont vaines. Elles ont fait faillite ailleurs. N’importons ni les rebuts de la pensée économique ni les échecs des expériences administratives. Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie, était en Tunisie, la semaine dernière, pour nous partager l’expérience française en matière de planification et de prospective. Il a eu une phrase passée largement inaperçue, car politiquement incorrecte : «Les politiques de répartition de l’activité, c’est mort !» Soyons lucides. Profitons de l’expérience des autres et ne tombons pas dans les pièges de la démagogie.
Les finances publiques sont au plus mal. Elles ont été lourdement plombées par une gestion calamiteuse pendant de longues années. La masse salariale dans le secteur public, rapportée au produit intérieur brut, bat de tristes records. L’endettement du pays s’emballe. L’Etat n’a aucune marge de manœuvre pour prendre le relais du secteur privé et pallier ses éventuelles déficiences. Et cela sans compter les piètres performances des entreprises publiques. Les ressources sont rares. Faisons-en le meilleur usage possible.
La solution passera par l’école de la deuxième chance qui pourra donner les compléments qui améliorent l’employabilité de nos centaines de milliers de chômeurs et favorisent leur mobilité et leur éventuelle reconversion. Elle passera par une meilleure réponse et un encadrement plus adéquat à tous les porteurs d’idées ou de projets. Elle passera par la levée de toutes les entraves administratives, toutes les autorisations superflues, génératrices de blocages, de corruption et de malversations. Elle passera par le démantèlement de toutes les rentes économiques et sociales. Elle passera également par la mise en place d’un cadre incitatif pour le développement de l’économie sociale et solidaire. Elle passera enfin par la mise en place d’infrastructures qui interconnectent le pays à son environnement proche, qui favorisent son insertion dans des espaces économiques plus vastes et améliorent sa compétitivité. Le partenariat public-privé pourra y contribuer, à condition que l’Etat se fasse accompagner des meilleures compétences nationales et internationales.
Radhi Meddeb
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Bien sûr il faut poser des questions, les philosophes nous dissent que poser une question c´est dejà la resoudre. Il est connu que le people tunisien a fait une revolution, connue par le monde entier, surtout par son aspect dramatique dans le cas de la Syrie. Ca c´est fait et il n´est pas question de faire marche arrière, mais pour avancer il faut passer á l´economie et le social, les étapes sont impliquées les une dans les autres, c´est comme un mille feuille en quelque sorte. Mais le probleme encore est de commencer, et pour commencer il faudrait peut-être demander aux gens ce qu´ils veulent, faire ún plan économique á partir des besoins des regions et des citoyens. Ce serait un bon commencement solide il me semble basé sur les besoins des gens; bien sûr íl ya des domaines qui reviennent á l´Etat comme vous le dites, l´enseignment, la santé etc.. Mais la main sur le Coeur est-ce ce probleme qui preoccupe l´élite le plus, est-ce que peut être l´esprit de mendicité pour survivre qui preoccupe l´elite politique, au lieu de penser au lendemain pour soi et pour ses enfants. Je cois qu´il est temps de clarifier l´apriori de l´action politique, car si c´est on a affaire á un esprit de mendiant( á l´étranger il ya cette impression du tunisien).
Y a-t-il un mécanisme d'inclusion plus efficace que le travail, dans une société qui ne procède ,au fond et en dernier ressort, que de la nature productive des individus qui la composent?
Monsieur Radhi je vous recommande de jetter un œil du côté de L'UPR et voir le projet économique de ce dernier pour ma part je trouve que c'est notre unique issue
Une vision très clairvoyante des problèmes du pays et des ébauches de solutions qui pourraient les résoudre. Bravo Si Radhi. J'ajouterai à tous les chantiers que vous aviez évoqué celui de la décentralisation, car si on perd ce challenge les choses se compliqueront davantage. Des villes inclusives, se prenant en charge et impliquant toutes les forces vives, commençant par les femmes et les jeunes et appliquant les bonnes règles de la démocratie participative et de la bonne gouvernance forment autant de défis qu'il faudra absolument relever pour s'en sortir. Nos politiques en sont-ils conscients ?? J'espère qu'ils trouveront au moins le temps pour y réfléchir.
En théorie c'est très bien... Est ce que vous avez un angle d'attaque pour réaliser ces objectifs concrètement... Être visionnaire c'est savoir surtout COMMENT réussir..