News - 09.03.2016

Guy Sitbon : A Ben Guerdane, l’ennemi est là mais l’État est lui aussi bien présent

Guy sitbon

C’est un lieu commun que d’affirmer « au Sud tunisien, comme au Yémen, en Syrie, en Irak, l’État est réduit à néant. » Ni police, ni armée, ni administration. La population serait livrée à elle-même. Ces dernières semaines, je lisais cette lapalissade, je crois bien dans Le Monde, en me grattant la tête. Depuis six, sept mois je n’avais plus remis les pieds à Ben Guerdane, Zarzis, Médenine, j’imaginais mal qu’en si peu de temps, les choses se soient détériorées à ce point. J’y avais vu un Sud tunisien pareil à lui-même : frondeur, largement ouvert  à la clandestinité contrebandière, axé sur l’immigration et le business mais méconnaissable à ceux qui comme moi avaient fréquenté, il y a un demi-siècle, ses gourbis sordides, ses rues caillouteuses, ses enfants en haillons.

Aujourd’hui, les maisons neuves champignonnent à perte de vue, les policiers règlent la circulation,  les pharmaciens vous accueillent avec un français sorbonnard, des jeunes gens bac plus deux vous démontrent par a plus b que Daech n’est pas ce monstre que les médias se complaisent à nous brandir et à Rémada (Rémada !) les feux rouges sont respectés, la caserne s’active tout autant que le Centre culturel (à Rémada !). Ce serait donc cette région qui, subitement, aurait sombré dans le chaos. Bizarre. J’interroge le doyen Habib Kazdaghli de passage à Paris, C’est vrai que dans le Sud, l’autorité de l’État s’est envolée ? Pas du tout, m’affirme-t-il de sa voix aussi délicate qu’énergique. L’ennemi est là mais l’État est lui aussi bien présent. Merci Doyen, c’est exactement ce que viennent de mettre à nu les prévisibles événements de Ben Guerdane.

Ben Guerdane, signe d’abord une cinglante rossée administrée à Daech. Voilà des mois qu’ils mitonnent leur coup, stockent leur arsenal, aguerrissent leurs spadassins à la témérité sans borne. Ils opèrent en pays conquis. Beaucoup sont du cru où parents, amis, complices pullulent. Alors que soldats et gardes nationaux demeurent en garnison. La population, baignée dans le trafic transfrontalier, ne voit pas d’un bon œil les fonctionnaires tatillons ; elle se réjouirait de les voir prendre une déculottée. Pour finir, les jeunes à la frontière du jihadisme n’y sont pas rares. On les a vus, on les connaît. Les commandos terroristes jouaient sur du velours. Ils ont bu la tasse. 

En une, deux heures, leur compte était réglé. Encore moins d’une petite journée pour liquider les récalcitrants et ces pauvres garçons au cerveau délavé perdaient bêtement leur vie offerte aux escrocs qui les manipulent. Qui a déjoué tous leurs plans ? Les États Majors de l’armée, de la garde nationale, de la police. Les autorités sur place. Les officiers, les trouffions. Par dessus tout, le gouvernement, le Président et enfin la population qui n’a pas levé le petit doigt pour leur venir en aide. Le Sud subversif, on ne l’a pas vu. L’ensemble des institutions a fonctionné à peu près correctement. Par les temps qui courent ce n’est pas un mince exploit.
 
Vu la sottise des agresseurs, le lessivage aurait pu se dérouler dans de meilleures conditions : carence du renseignement, de la surveillance nocturne dans la ville, déficit d’alerte alors qu’on savait depuis plus d’un mois que Ben Guerdane était dans leur viseur. L’essentiel n’est pas là. L’essentiel tient en peu de mots : au pire des endroits et des moments, l’appareil d’État s’est dressé pour faire son travail comme n’importe quel État au meilleur de sa forme. En Italie, en Belgique, en France on n’aurait pas fait beaucoup mieux. 
 
Ben Guerdane met le pays en état de guerre. Une guerre, pour l’instant, de basse intensité mais un très réel conflit armé. Daech, le chaos libyens sont là pour rester pas mal de temps. Les Tunisiens se trouvent devant un choix et un seul. Veulent-ils vivre comme à Raka sous l’empire des intégristes ou préfèrent-ils leur situation actuelle ? À chaque citoyen (ne) de prendre position. Dans un camp ou dans l’autre. Pas de moyen terme.
 
Même alternative pour les puissances étrangères : doivent-elles mettre tous leurs moyens dans la balance ou prennent-elles le risque d’une guerre de Syrie à leur porte ? À elles de choisir.  

Guy Sitbon                  
   
 
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