Opinions - 30.10.2016

Edito - Taoufik Habaieb : Ce qui nous sépare, ce qui nous menace, ce qui nous rassemble

Edito - Taoufik Habaieb : Ce qui nous sépare, ce qui nous menace, ce qui nous rassemble

Qu’est-ce qui nous manque pour que la Tunisie retrouve ses fondamentaux sains, solides et porteurs de nos ambitions? Le pays s’est irréversiblement affranchi de la dictature. La parole s’est libérée pour s’exprimer dans sa pluralité. La société civile exerce son magistère, vigilant, au-dessus des partis et de tout pouvoir. La nouvelle constitution et ses institutions se mettent en œuvre. Le Conseil supérieur de la magistrature, pièce maîtresse, vient d’être librement élu, ouvrant ainsi la voie à la composition de la Cour constitutionnelle. 

Tous les bons ingrédients sont réunis et pourtant la Tunisie ne se remet pas au travail, ne se remet pas en service, ne se remet pas dans les radars de l’économie internationale, ne retrouve pas sa grandeur. Au lieu de rassembler les Tunisiens et les fédérer autour d’un grand dessein partagé qui forge l’avenir, le charisme séparateur de ceux qu’on croyait leaders nous renvoie dans le clanisme, le corporatisme et le populisme. L’usurpation des oasis de Jemna et la contestation de l’impôt par les avocats nous en offrent à chaud de fort regrettables illustrations. L’implosion de la plupart des partis politiques ne fait qu’attiser le mal, fractionnant leurs rangs et laminant tout programme et tout débat de fond. L’approche de son congrès électif engage l’Ugtt dans la surenchère. Les clivages s’ancrent. La Tunisie s’atomise.

En fait, qu’est-ce qui nous sépare ? Les grands choix de société ont été tranchés par la constitution. La démocratie et la modernité sont plébiscitées, nonobstant quelques poches réduites de résistance parmi des salafistes partisans de la charia et prônant le jihad. Dans leur immense majorité, les Tunisiens ne pensent qu’à la garantie de leurs revenus, à l’éducation de leurs enfants, à l’acquisition d’un logement, à l’accès aux soins de santé et au bien-être dans la dignité et le bonheur. Ce liant fort n’est malheureusement pas activé pour assurer à la nation des lendemains meilleurs. Sans vision, ni grand leader, sans projet d’ensemble mobilisateur ni vecteurs polarisateurs, sans un grand parti séculier, démocratique et puissant à même de rééquilibrer utilement le paysage politique, la Tunisie continue de naviguer à vue.
Ce qui nous guette est cependant fort menaçant. La guerre contre le terrorisme reste longue et pénible à gagner. La puissance des lobbies de la contrebande, de la corruption et de la malversation, guère facile à éradiquer, gangrène l’économie, l’administration, le pays tout entier. Le désintérêt international détourne l’attention des grandes puissances amies de cette lueur de démocratie dans une région en déliquescence. 
Loin de céder à la tentation de la théorie du complot ou de tout diaboliser, le constat est amer.  Des pays amis, du Nord comme du Golfe, se désengagent, mais leurs ONG, souvent pas toujours neutres, s’infiltrent, s’imposent et arrosent à tour de bras, à coups de plusieurs milliers de dollars et d’euros. L’argent atterrit le plus légalement du monde sur les comptes bancaires, pour s’évaporer rapidement sans laisser la moindre trace dans de nombreux cas. Qui peut en garantir l’origine réelle, l’objectif noble et l’utilité bénéfique ? 
Trop d’influence extérieure, trop peu d’engagement effectif au soutien économique et financier. A quelques exceptions près : l’Allemagne, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne... Dons, crédits et autres facilités consentis ne sont pas pour autant assez conséquents avec les enjeux en Tunisie et dans la région, assez suffisants pour consolider la démocratie et changer la donne dans le pays.
La démocratie n’est bénéfique que si elle transforme le quotidien des Tunisiens, remette le pays en fonctionnement et crée la richesse. Première revendication et précieux acquis, elle a besoin de vision, de chefs avant-gardistes, d’institutions, de partis et d’appui international. Quatre piliers qui font terriblement défaut à la Tunisie, aujourd’hui, plus qu’hier, alors que le parcours le plus difficile a déjà été réussi. 
En tête, vient la vision d’ensemble, sans le moindre risque d’erreur, perspicace, prometteuse et mobilisatrice. Son absence est le plus grave danger. Se tromper d’objectifs, de priorités, de choix sera préjudiciable aujourd’hui et pour les générations futures aussi. 
 
Il n’y a pas pire aveugle que celui qui n’a pas de vision.
 
Taoufik Habaieb
 
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3 Commentaires
Les Commentaires
maalej abderrazek - 30-10-2016 16:44

constat reel ,analyse pertinente d'une situation qui comme l'explique Si Taoufik ,n'est pas désespérée:,en réalité nous avons besoin d'un général de guerre pour le pilotage à bon port du pays

Moncer ROUISSI - 30-10-2016 23:23

Excellent diagnostic. Situation réellement effrayante. Dans un monde en pleine mutation, tout est possible et ça n'arrive pas qu'aux autres. Mais l'espoir reste possible. Beaucoup de voix doivent s"élever pour témoigner et prévenir. Bravo Si Taoufik

Fathi B'Chir - 31-10-2016 11:27

Bravo pour cette franche mise au point. Hélas les Tunisiens ont tous les médicaments à portée de main, mais ne savent point les prescrire correctement et opportunément. La "privilégiature" a d'autres combats à livrer plus que de penser a sortit le pas de l'ornière. Au fond, les Tunisiens n'ont besoin que de caresses. Le rôle des médias devient essentiel pour découvrir l'envers du tableau.

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