Aux Etats Unis, une improbable victoire… et ses dessous
Donald Trump l’a emporté, ridiculisant les sondeurs et infligeant une claque retentissante au couple Obama qui s’est tant mobilisé pour Hillary Clinton, vieux cheval de retour de la politique et représentant de la finance et de Wall Street. Les électeurs ont bien noté que les deux mandats du président sortant ont accentué et aggravé les inégalités tant économiques que sociales du peuple américain, contrairement à ses promesses. De même, les assassinats d’Afro-Américains par la police n’ont guère ralenti durant les deux mandats d’Obama et, comme d’habitude, les policiers tueurs ne sont guère sanctionnés.
En fait, l’improbable succès de Donald Trump n’est pas unique: des Philippines à l’Autriche, de la Hongrie à la France des trois Le Pen en passant par l’Israël de l’extrémiste Benyamin Netanyahou, c’est à une lame de fond de droite que nous assistons. Marine Le Pen - qui vise l’Elysée en 2017- va même jusqu’à confier au New York Times (13 novembre 2016) que «l’impossible semble maintenant possible» et compte s’inspirer de «la dynamique Trump». Des peuples désemparés et humiliés par la mondialisation, écrasés par les politiques impitoyables de l’austérité, du rendement dans l’intérêt exclusif des actionnaires, de grignotages honteux sur les pensions de retraite et de démantèlement des services publiques (santé, éducation, infrastructures…) ont donné tête baissée dans la droitisation du monde. «Mis en concurrence, les peuples se voient présenter l’addition des délocalisations, des dérèglementations, des précarités généralisées, d’écarts de richesse qui se creusent, monstrueux, au profit d’une minorité infime qui saute d’un marché financier à l’autre. Les milieux dirigeants et les médias dominants prêchent sans trêve que cette jungle économique est le seul monde possible et orientent les exaspérations vers le voisin, le concurrent malgré lui, le plus pauvre qui touche les aides, l’immigré…» écrit un éditorialiste. Le milliardaire américain devenu président du 2ème émetteur mondial de gaz à effet de serre ose même s’affirmer climato- sceptique, détaché qu’il est des réalités du monde réel, affichant une ignorance crasse des faits scientifiques et oublieux des inondations de la Nouvelle Orléans ainsi que de la répétition des phénomènes climatiques extrêmes vécus cette année par son propre pays. Auditionné par l’Assemblée Nationale française, le grand climatologue américain James Hansen, directeur du Goddard Space Institute de la NASA, a appelé, dès 2010, à un sursaut des politiques en faveur du climat car a-t-il affirmé «il y a des vérités qui dérangent et des mensonges qui rassurent.»
Est ainsi élu un homme qui a une indéfectible foi dans la mondialisation libérale qui laisse tant d’Américains sur le bord du chemin, survivant au moyen des «food stamps» (bons d’achat alimentaires fournis par l’Etat aux nécessiteux) et ne bénéficiant d’aucune assurance santé. Un homme qui qualifie de frein à la prospérité les droits sociaux et fait la chasse aux syndicalistes va occuper la Maison Blanche pour quatre ans! Un homme qui prône une «reségrégation» des Afro-Américains et a reçu le soutien de David Duke, ancien leader du Ku Klux Klan (Le Monde 13-14 novembre 2016, p.5). Wole Soyinka, Prix Nobel nigérian de littérature (en 1986) a déclaré à la BBC que, dans le cas d’une victoire de Donald Trump, il «déchirerait sa carte verte américaine». Le malaise profond qui baigne la société américaine, les tensions entre générations, genres, régions, croyances et classes ont conduit à ce résultat: un milliardaire – qui a un réel mépris pour les petites gens, «ces losers» (des perdants)- né avec une cuiller d’argent dans la bouche soit un million de dollars de Papa pour accéder au monde des affaires- accède à la Maison Blanche, porté par le sentiment de colère, de pessimisme et d’isolationnisme des Américains….et les millions de dollars de spots publicitaires à la télévision; télévision à laquelle Trump doit beaucoup, lui qui, dans son émission The Apprentice (sur NBC), appliquait les règles sélectives impitoyables du capital financier aux demandeurs d’emploi.
Ce propriétaire de gratte-ciel n’en a pas moins recueilli le vote des ouvriers blancs, peu éduqués et sans diplômes du Sud et notamment de la Rust Belt (ceinture de rouille) des friches industrielles et des usines à l’abandon comme il a aussi obtenu le vote des ruraux de la Sun Belt (ceinture du soleil) en jouant sur les peurs et les angoisses: Mexicains violeurs, Musulmans terroristes, Afro-Américains violents….La dérive néo-libérale du Parti démocrate et son choix du libre-échange contre vents et marées lui ont coûté la Maison Blanche. Et cerise sur le gâteau, Sénat et Chambre des Représentants monocolores: Républicains. Ainsi est balayé le parti qui a écarté le «socialiste» Bernie Sanders trop proche du peuple, des étudiants et des sans-voix au profit d’une affairiste et d’une responsable aux casseroles multiples (Lybie, mails…)
Trump… de l’islamophobie au soutien a israel
L’élection de donald Trump a libéré la parole infâme du racisme et du sexisme: on peut dire n’importe quoi sur les femmes – même les choses les plus scabreuses- les minorités et les handicapés. Stephen Bannon, le prochain Secrétaire Général de la Maison Blanche- donc le bras droit du Président Trump- affirme que «le viol fait intégralement partie de la culture de l’Islam» et a essayé d’éviter à ses enfants «une éducation avec des Juifs» (Site JVP Jewish Voice for Peace consulté le 15 novembre 2016).
Sans risque électoral aucun, Donald Trump a copieusement stigmatisé les musulmans au cours de sa campagne car ils ne représentent que 0,9% du corps électoral. Son islamophobie, attisée par une seule attaque perpétrée par un couple de musulmans, fait l’impasse sur les 350 autres fusillades qui ont ensanglanté le pays- commises par des non-musulmans en 2015. Il est vrai que, soutenu par la NRA (les fabricants d’armes américains), Trump -le roi des casinos- est un adversaire acharné de toute limitation sur le port d’arme, autorisé dans certains Etats dès 14 ans! Un journaliste relève: «Le candidat est conscient que son islamophobie ne correspond à rien mais, dans ses meetings, les gens applaudissent en chœur». Populisme donc? Déjà, Harry Truman, 33ème président (1945-1953), disait à propos de la Palestine: «Je suis désolé, messieurs, mais je dois répondre aux centaines de milliers de gens qui espèrent le succès du sionisme. Je n’ai pas des centaines de milliers d’Arabes parmi mes électeurs» (Lire «Palestine: le jeu des puissants» sous la direction de Dominique Vidal, Sindbad Actes Sud, 2014, p.19). Du reste, dans un tweet, le grand journaliste Charles Enderlin, relève à propos des élections de 2016: «70%des électeurs juifs américains ont voté Clinton. La droite, l’extrême droite et les ultra-orthodoxes ont voté Trump». Est-il besoin de rappeler ici que le premier ministre Benjamin Netanyahou a immédiatement exprimé sa satisfaction à l’annonce de l’élection de Trump qu’il a très vite félicité? Son challenger au gouvernement israélien, Naftali Bennett, le ministre de l’éducation d’extrême droite, n’a pas été en reste et a exprimé bruyamment la joie des colons occupant illégalement les terres palestiniennes et prenant ses désirs pour des réalités éructe: «Le temps d’un Etat palestinien est terminé.» Il est vrai que Trump- roi de l’immobilier- a promis de reconnaître Jérusalem comme capitale unifiée du «peuple juif» mais ajoute Taoufiq Tahani, président de l’AFPS (Association France Palestine Solidarité), «Annie Hidalgo, maire [socialiste] de Paris, lors du Conseil Municipal du 9 novembre 2016 a appuyé le vœu des conseillers [de droite] –Nathalie Kosciusko-Morizet et Claude Goasguen- pour condamner les résolutions de l’UNESCO concernant la ville sainte épousant ainsi les thèses de l’extrême droite israélienne».
Pourtant, la campagne de Trump n’a pas été sans relents d’antisémitisme. Peu importe pour Netanyahou et Bennett. L’essentiel, c’est le vivier de voix des colons illégaux extrémistes, racistes et haineux. Denis Lacorne note que «ses attaques, en particulier le dernier spot publicitaire du Parti républicain, avaient d’évidents relents d’antisémitisme. Dans ce spot, Trump lui-même s’en prenait au «pouvoir globalisé» qui, disait-il «dépossédait notre classe ouvrière» de sa richesse pour la déposer «dans les poches d’une poignée de grandes entreprises et de leurs entités politiques». Et le spot montrait les visages inquiétants de trois grandes figures de la finance: le financier Georges Soros, le patron de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, et la présidente de la Réserve fédérale, Janet Yellen.» (Le Monde, 11 novembre 2016, p.23). Quant au monde arabe, étant donné le terrible et sanglant chaos où il est plongé, rien ne saurait panser à l’heure actuelle ses plaies béantes pour l’intellectuel palestinien Azmi Béchara.
Le vainqueur: l’abstention!
Depuis des lustres, les Etats Unis essaient de vendre la démocratie aux pays en voie de développement avec «le succès» qu’a connu notre pays sous la férule de la clique Ben Ali-Trabelsi. Trump a triomphé alors que son adversaire avait 206 021 voix de plus que lui (Le Monde, 11 novembre 2016, p.4) et le décompte n’est achevé. Mais, il avait engrangé plus de «grands électeurs», cet héritage d’une époque révolue remontant à 1830, avant l’avènement de la démocratie. Le scénario Bush- Al Gore est réédité.
Aux Etats Unis, la participation est habituellement basse. Parmi les pays de l’OCDE, ils viennent à la 31ème position sur 35. En 2016, 231 millions d’Américains ont l’âge requis pour participer aux élections. On ne compte cependant que 200 millions d’inscrits. De très nombreux Afro-Américains sont exclus du fait de leur casier judiciaire et d’autres se voient opposer des difficultés pour s’inscrire dans de nombreux Etats. Au final, 100 millions d’Américains inscrits n’ont pas voté en 2016 soit 50%! La victoire de Trump a été acquise du fait de ces abstentionnistes, revenus de Mme Clinton et abhorrant Trump. Eric Fassin (Médiapart, 12 novembre 2016) relève que les électeurs âgés, riches et diplômés sont surreprésentés ainsi que ceux ayant une pratique religieuse. Les femmes ont moins voté qu’en 2012, malgré la candidature de Hillary Clinton….qui a engrangé moins de voix féminines que son mari en 1992! Donald Trump a été élu grâce au vote religieux soit 58% de Protestants contre seulement 19% à son adversaire: la vidéo dans laquelle Trump étale crûment son machisme et son sexisme n’a pas détourné «la majorité morale» de voter pour cet homme. Comme «démocratie», il y a mieux!
Pour l’écrivain et journaliste Adam Shatz, les électeurs ayant voté Trump veulent «restaurer une représentation blanche après que la Maison Blanche ait été confisquée par une famille noire et ont voulu éviter l’arrivée d’une femme à la tête de l’Etat le plus puissant du monde».
Pour ce qui concerne notre pays, face à cet évènement, il nous faut être lucide sur les questions d’austérité, de libéralisme et du rôle de l’Etat. La talentueuse Marocaine Leïla Slimani, Prix Goncourt 2016, s’interroge avec raison: «Et si nous regardions en face, sans moue de dégoût, les ravages du déclassement, du chômage de masse, de la faillite de l’éducation?»
Mohamed Larbi Bouguerra
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