Khadija Moalla: Carte postale de Washington

«L’art de bien lire est intimement lié à l’art de bien penser, de façon claire, critique et libre».

Il y’a quelque temps, j’ai eu le privilège d’avoir été invitée à passer une journée entière à l’université de Saint John’s  qui se trouve à 50 kilomètres de Washington DC, et j’ai voulu découvrir par moi-même en quoi ce système était-il unique? En effet, le system prôné dans cette université n’existe ni aux USA, en Europe, ni dans le reste du monde!

Dans le cadre de la réflexion sur la réforme de l’enseignement supérieur, je suis toujours en quête du meilleur modèle que nous devrions adopter dans notre pays, si tant est qu’il soit adaptable.
Je vais essayer de résumer les points saillants du modèle adopté dans cette université qui a été créée en 1967 sur le campus de Santa Fe:

1. La philosophie est basée sur l’éducation libérale qui cherche à développer, en chaque étudiant, les arts de la compréhension, de l’appréciation de l’héritage intellectuel commun ainsi qu’une prise de conscience des obligations sociales et morales avec un engagement d’adopter un esprit critique vis à vis des questions humaines fondamentales.
2. Le programme est basé sur la conviction qu'une véritable éducation exige l'étude des «Grands livres» parce qu'ils expriment de la manière la plusoriginale et la plus profonde les idées qui ont façonné notre civilisation. «Ces livres sont nos maîtres les plus importants» carils sont à la fois intemporels et opportuns, éclairant les questions persistantes de l'existence humaine qui portent directement sur les problèmes auxquels nous sommes confrontés de nos jours. Leurs auteurs nous parlent aussi fraîchement que quand ils les ont écrit pour la première fois, car ce qu'ils nous disent n'est pas simplement d'ordre académique, ni éloigné de nos véritables intérêts,vu que les livres changent notre manière de penser, nos cœurs et touchent notre esprit.
3. Dans cette université, le processus d’apprentissage n’est pas passif et réceptif mais actif et coopératif.Toutes les classes sont organisées sous forme de discussions où la responsabilité de clarifier les lectures, de suivre les réflexions et de tester les conclusions incombe aux étudiants et à leurs tuteurs. Les exigences de l'individu et celles du groupe sont en interaction continue, amenant les discussions versune plus grande liberté. Les étudiants apportent à la discussion les hypothèses issues de leurs expériences dans le monde contemporain. Cependant, grâce à la discussion, ils acquièrent de nouvelles perspectives, leur permettant de reconnaître à la fois, la similitude d'un problème récurrent et ses manifestations diverses.
4. Le séminaire est au cœur du programme de Saint John's dont la tâche est la discussion d'un texte commun. Un tuteur commence le séminaire avec une question sur la lecture assignée; ensuite,il guide la conversation et écoute plus qu’il ne parle. Le rôle du tuteur n'est pas de donner de l'information ni de produire l'opinion ou l'interprétation «juste». Son rôle consiste à guider la discussion, définir les problèmes, soulever des objections et aider les étudiants à comprendre les enjeux, les auteurs et eux-mêmes. Dans l'ensemble, les objectifs du séminaire sont de développer les facultés de raisonnement et de communication des étudiantsafin de les aider à acquérir des opinions rationnelles et à cultiver des compétences analytiques.
5. Bien que le programme de l'Institut des études supérieures offre un gain professionnel considérable pour certains, en particulier,devenir des professeurs potentiels, les étudiants sont généralement motivés par les récompenses intrinsèques consistant en l’opportunité de lire de grands livres et de discuter avec d'autres personnes qui se soucient profondément des questions que ces derniers soulèvent.

Cette philosophie sur laquelle est basée cette université m’a appris qu’il nous est permis de rêver de créer n’importe quel modèle même s’il peut paraitre surprenant au départ. En Tunisie, nous sommes à la croisée des chemins s’agissant du choix de notre system éducatif. Ou bien nous continuonsà produire une qualité des plus médiocres que l’enseignement n’ait jamais connu et qui ne permet même pas à ceux qui l’ont reçu de travailler dignement dans leur pays. Ou bien nous avons le courage d’explorer les meilleures idées qui ont réussi ailleurs et de les adapter à notre contexte. L’important c’est d’arrêter ce bourrage de crane des élèves et des étudiants qui les empêchent d’apprendre et de réfléchir par eux-mêmes ainsi que de développer un esprit critique et une grande capacité d’analyse pour faire face aux défis du développement.

L’ironie du sort a fait que j’ai aussi eu la chance, durant ma semaine à Washington, de voir un film qui parle aussi d’éducation. «What to invadenext ?» est un film que je conseille à tout le monde de voir, non seulement, parce qu’il a choisi parmi les 10 pays dont il parle, l’exemple de la Tunisie, mais parce qu’il propose aussi beaucoup d’idéesgéniales qui ont marché ailleurs et dont on pourrait s’inspirer en Tunisie. Nous n’avons pas à faire subir à notre peuple une traversée du désert, pleine d’échecs. Redonnons l’espoir à notre jeunesse car nous sommes capables du meilleur et nous devons, collectivement, nous engager à le leur offrir.

Je ne pourrai finir mon périple aux Etats Unis,sans rendre hommage au grand professionnalisme de notre Ambassadeur, SE Mr. Khaled Khiari, de la Mission Permanente auprès des Nations Unies à New York,et à son équipe, qui a réellement à cœur l’intérêt et l’image de la Tunisie et qui prouve, une fois encore, que nous avons des compétences d’une rare qualité que pourraient nous envier toutes les diplomaties du monde.

Khadija T. Moalla, PhD