Mokhtar Fakhfakh : Hédi Nouira, Bourguiba Jr, Azzouz Mathari et Hassen Belkhoja pratiquaient déjà la gouvernance d'entreprises
Slim Zarrouk ne pouvait choisir meilleur témoin et expert pour parler de la gouvernance des entreprises et du pouvoir de leurs dirigeants. Séparation des pouvoirs, organisation des pouvoirs et des contre-pouvoirs, conseils de surveillance et directoires, gestion des collaborateurs et style de management : comment y réussir ? Du haut de sa longue expérience, Mokhtar Fakhfakh, disciple de Hédi Nouira à la Banque Centrale, d’Habib Bourguiba Jr à la BDET et d’autres, ici et là, avant de prendre les destinées de la BIAT et de les transmettre, à son tour, à son disciple Chékib Nouira, est bien placé pour en parler. La rencontre-débat, organisée jeudi après-midi par le centre tunisien de gouvernance d’entreprise (CTGE) à la Maison de l’Entreprise fut un véritable régal.
Persévérant avec conviction dans l’ancrage des bonnes pratiques de gouvernance, le président du centre a su réunir autour de Mokhtar Fakhfakh, deux autres générations de dirigeants : celle incarnée par Chékib Nouira et la plus jeune, illustrée par Ahmed Bouzguenda. Comme à son accoutumée, Mokhtar Fakhfakh a bien préparé son intervention qu’il a lue avec sa force habituelle de douce persuasion. Evoquant le souvenir de Azzouz Mathari et Hassen Belkhoja, surfant sur les pratiques des entreprises tunisiennes, sans trop s’engager, il conclura par recommander la collégialité, la concertation et la sensibilité sociale. Juste en avant-goût avant de finir par se lâcher lors du débat.
On s’y était déjà mis
Le pouvoir ne se partage pas, dira-t-il en substance. Mais, on ne peut pas diriger seul une entreprise. Il se délègue, se répartit et s’organise. Très jeune administrateur à la Banque Centrale, juste au lendemain de l’Indépendance, il était au départ fort intimidé par la personnalité du Gouverneur Hédi Nouira, figure emblématique du mouvement national et homme d’Etat de grande valeur. « Mais, rapidement, confiera-t-il, Sil Hédi nous a fait confiance, laissé prendre des initiative et protégé nos erreurs. Avec lui j’ai compris que le N° 1 s’occupe des grands principes et délègue au N°2 et à ses collaborateurs la mise en place de ses décisions, sans entamer son autorité ni porter ombrage à son aura.» La bonne gouvernance d’entreprise était déjà en pratique.
Cela s’est confirmé davantage, lorsque Mokhtar Fakhfakh sera le second d’Habib Bourguiba Jr à la BDET. Une parfaite symbiose qui a bien fonctionné pendant de longue années, avec des équipes de qualité comprenant notamment Chékib Nouira, Faouzi Bel Kahia, Mohamed Brigui et d’autres. « Il faut dire, se confesse-t-il, j’en profitais beaucoup. N’avais-je Bibi comme patron, je n’aurai guère âprement négocié, face à de très hauts responsables, avec la même aisance et persistance. Quand j’allais négocier avec le ministre des Finances, feu Mohamed Fitouri et je n’obtenais pas ce que je voulais, je lui disais : bon dans ces conditions, je préfère que vous voyez ça directement avec Sil Lahbib. Cela suffisait pour que le ministre rouvre la négociation et montre plus de souplesse. »
Des collaborateurs plus compétents que soi : ils sont fatigants, mais rassurants
Comment s’était-il pris lorsqu’il a dirigé la BIAT ? D’abord en faisant appel à de grosses pointures : Ezeddine Saidaane, Khaled Triki, Mohsen Ghandri, Néjib Moalla… « Là, il n’y a pas d’hésitation possible. Il faut toujours s’entourer des meilleurs. Ceux qui sont meilleurs que soi, parce que plus spécialistes dans leurs domaines. Evidemment, ce n’est pas facile de travailler avec eux, car ils tiennent tête, affichent leur caractère et défendent leurs opinions. Mais, comme nous l’avait enseigné Si Hédi Nouira, ils sont fatigants, mais rassurants. On doit leur faire confiance. »
Evidemment, Mokhatr Fakhfakh ne cessera pas de le répéter, il faut bien mettre en place les instances idoines de surveillance, de contrôle, d’orientation et de concertation, dans un souci de collégialité et de transparence afin de pérenniser la profitabilité. D’ailleurs, à ses yeux, il ne faut jamais s’offusquer du contrôle et de la supervision, bien au contraire, il faudrait les positiver et en tirer avantage. L’essentiel est de promouvoir aujourd’hui ces concepts de collégialité, mais le plus important, c’est de réussir à faire adopter de nouveaux comportements, de nouvelles pratiques.
Le Patriarche, le Général et l’Administratif : et le Tunisiens ?
De la salle, Roger Bismuth, Salem Chaieb, Brahim Riahi, Wahid Hajeri, Ahmed Bouzguenda, Mohamed Frioui, Mohamed Ezzaouia et d’autres participants, enrichissent le débat. Salem Chaieb citant le style des dirigeants, rappellera que le Japonais se conduit en patriarche, l’Américain en Général et le Français en Administratif. Comment serait alors le Tunisien ? « Beaucoup de nos managers, se désole-t-il, ne laissent pas de traces écrites de leur style, alors de grâce, Si Mokhatr, écrivez, écrivez ! »
Brahim Riahi rappelle qu’au sein de l’entreprise, il n’y a pas qu’un seul pouvoir, mais plusieurs et beaucoup de contre-pouvoirs. Alors comment les structurer pour les mettre en synergie ? De bonnes questions que cette excellente rencontre-débat ne parvient pas à étudier en profondeur.
Chékib Nouira : les administrateurs indépendants sont indispensables
Chékib Nouira sera à la fois conceptuel et pragmatique. Il évoque nombre de souvenirs et de cas réels vécus à la BDET, puis à la BIAT, mais se concentre sur les fondamentaux, abondant dans le sens de Mokhtar Fakhfakh : la loi n’a pas précisé le rôle du directoire et des autres instances. D’ailleurs le président du Directoire, précisera-t-il, n’est que le 1er membre de cette instance et ne saurait se l’accaparer. Aussi, le respect des droits des actionnaires ne saurait également prêter au moindre dérapage lors des assemblées générales, risquant de mettre en péril l’entreprise. Le recours aux administrateurs indépendants est plus nécessaire, salutaire. La gouvernance est pour lui, une conviction partagée, un mode indispensable, une éthique pour garantir la réussite. Structures, instances, et règles de fonctionnement, avec surtout des équipes compétentes.
Mokhtar Fakhafakh, toujours fin et subtile, pour souligner la primauté du comportement, rappellera l’histoire de ce grand patron américain. Il avait demandé de faire inscrire sur sa tombe l’épitaphe suivante : « Cet homme a probablement très bien réussi, parce qu’il avait toujours su s’entourer de collaborateurs beaucoup plus compétents que lui.»
Slim Zarrouk a bien tapé dans le mil !
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