«La Tunisie est dans l’urgence économique»: l’analyse de l’ambassadeur de France, Olivier Poivre d’Arvor (Photos/Vidéo)
C’est un texte qu’il n’a cessé de travailler lui-même et remettre tant de fois sur le métier. L’ambassadeur de France à Tunis, Olivier Poivre d’Arvor, voulait en faire le socle conceptuel de «l’offre globale» de son pays et de son «ambition pour la Tunisie». Un argumentaire bien articulé qu’il déroulera en préambule de sa conférence de presse, lundi, lors de la mise en place d’un «groupe d’impulsion pour le partenariat économique franco-tunisien. Extraits
''Depuis 2011, la situation économique de la Tunisie est difficile. Ebranlée par le changement politique, l’effondrement libyen comme par la menace sécuritaire, cette situation est aujourd’hui critique. Le modèle économique, celui d’une économie administrée, n’a guère évolué depuis les années 60. L’essoufflement date certes d’il y a plus de dix ans mais le secteur productif est désormais frappé de plein fouet, amorçant une désindustrialisation inquiétante. Malgré les efforts de ses gouvernements successifs, malgré la bienveillance de ses amis, malgré le soutien dont la Tunisie démocratique bénéficie depuis la Révolution, cette nouvelle donne politique n’a pas permis, douloureux constat, aux Tunisiens de mieux vivre économiquement. La Tunisie connaît aujourd’hui une situation « d’urgence économique » qui pèse sur la qualité de vie et les opportunités des citoyens tunisiens.
Cette urgence est d’abord celle du quotidien et du pouvoir d’achat. L’urgence insupportable de la cherté de la vie. C’est l’urgence des ménages et des familles les plus modestes pour qui le coût du panier de la ménagère est une violence quotidienne. C’est l’urgence absolue de la jeunesse, notamment diplômée, qui ne parvient pas à sortir d’un chômage de masse et durable. C’est aussi l’urgence des territoires, du développement de ce que l’on appelle les régions de l’intérieur, mais aussi des périphéries des grandes villes. C’est l’urgence d’un Etat affaibli et qui gère désormais dans la douleur, c’est l’urgence d’institutions fragiles, de secteurs sociaux comme l’éducation et la santé où la qualité de service baisse. C’est l’urgence des entreprises publiques, aujourd’hui déficitaires et qui peinent à fournir les services qui permettent aux entreprises comme aux individus de se développer. C’est l’urgence des entreprises privées, d’une pression fiscale très importante et d’un climat d’affaires peu dynamique.
C’est bien entendu une urgence que l’économie parallèle, estimée à 50% du PNB, entretient, une urgence sur lesquels la situation régionale actuelle et le populisme en vigueur partout dans le monde pèsent négativement. C’est, pour résumer, l’urgence d’un mal être social des citoyens, d’un sentiment de déclassement économique, d’une performance très amoindrie et d’investissements en panne
Personne ne conteste la réelle fragilité de la situation économique tunisienne, à commencer par sa faible croissance. Bien au-delà des débats politiques propres à chaque démocratie, 2020, c’est à dire demain, 2020 sera difficile. Qu’il s’agisse de la masse salariale ou du remboursement de la dette, les charges risquent de croître. Une dette publique tunisienne à 80% du PIB, voire plus, est à prévoir dès 2019. Le secteur bancaire est, on le sait, fragile. Le secrétaire général de l’UGTT, Nouredinne Taboubi vient de le rappeler lors du congrès de la Fédération des banques et des établissements financiers en affirmant qu’il faut faire en sorte que l’économie informelle intègre l’économie formelle, pour pallier le manque de liquidité financière et lutter efficacement contre la contrebande. Des réformes «tunisiennes», profondes, s’imposent dès lors que la Tunisie souhaite, à juste titre, ne pas avoir à appliquer durablement celles recommandées par l’extérieur, je pense notamment au FMI.
Ces urgences, j’ai pu également en prendre conscience par le travail réalisé par la société civile tunisienne, je pense au FTDES, à l’IACE mais aussi grâce à des organismes publics comme le Conseil d’analyses économiques, la Caisse des dépôts et consignations, booster de l’investissement. J’ai également pu mesurer ces urgences sur le terrain, lors de ces nombreux déplacements que je tiens à effectuer à la rencontre de la diversité tunisienne (élus, responsables économiques, syndicalistes, universitaires, artistes…) pour comprendre, écouter, et me permettre d’orienter au mieux l’action de l’Ambassade.
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