Mohamed Larbi Bouguerra: Les oubliées de Thala… et la fille du ministre
« Nous ne sommes rien sur terre si nous ne sommes pas d’abord l’esclave d’une cause, celle des peuples et celle de la justice et de la liberté. » (Franz Fanon)
Par Mohamed Larbi Bouguerra - Ah ! La voiture administrative du ministre ! Quelle aubaine pour les réseaux et pour les médias ! Gorges chaudes à tous les étages ! Même M. le Président de la République a réagi à ce battage et à cette campagne de presse.
Nous n’avons pas une once de clémence pour Son Excellence l’ex-ministre Mohamed Anouar Maarouf ni pour sa fille ni pour son chauffeur ni pour ceux qui trafiqueraient les procès-verbaux ou spolieraient l’argent public mais force est de constater, comme le disait, il y a bien longtemps, un certain Jean de La Fontaine :
« Selon que vous serez puissant ou misérable
Les juges de cour vous rendront blanc ou noir. »
Evoquer longuement l’affaire de la fille de M. Maarouf est bel et bon mais pourquoi oublier Rahma Saïdi et Sourour Hicheri, brûlées vives, à la fleur de l’âge, en février 2018 dans l’internat de Thala - dont la capacité était de 50 élèves et qui en hébergeait 112 sous un plafond passoire et avec des fils électriques nus. Plusieurs élèves ont été asphyxiées par les fumées ou brûlées par les flammes. Les flammes et les fumées de l’incompétence et de la négligence.
M. Hatem Ben Salem présidait alors - pour la deuxième fois dans sa riche carrière - aux destinées de notre éducation nationale et l’autodafé de ces deux innocentes filles n’a pas amené cet ancien ambassadeur de Tunisie (1996-2000) à avoir le courage politique de démissionner comme le voudrait la tradition démocratique voire sa qualité de membre de l’Institut International des Droits de l’Homme de Strasbourg.
Bravo a l’émission «Ma’a ennes»
Il faut rendre hommage à la chaîne 1 de la Télévision Nationale qui a invité les parents de Rahma et Sourour le 22 juin 2020 dans le programme « Ma’a ennès » et administré ainsi au pays une nécessaire piqûre de rappel au sujet de cette terrible tragédie.
Et ce que nous disent ces parents est à faire rougir toute Tunisienne et tout Tunisien croyant en la justice et en l’équité. Ces pauvres gens n’ont reçu qu’une assistance psychologique minime mais ils n’ont apparemment pas reçu la moindre compensation. Pourquoi ? Pour comprendre les explications de leur avocat ou celles du procureur de Kasserine, il faut être au moins agrégé en droit. Le dossier a été mis, semble-t-il, sur de mauvais rails car il n’a pas pris le chemin du Tribunal administratif. Qui est responsable de cette bévue ? On ne le saura pas. On est resté sur notre faim. De son côté, le représentant du ministère de l’Education a été pour le moins sibyllin.
S’agissant de la fille du ministre et de la voiture administrative, l’adjoint au procureur de Tunis, le syndicat des agents du ministère de la Justice, le Conseil Supérieur de la Magistrature et l’Association des magistrats tunisiens - excusez du peu - sont tous montés au créneau. (Lire Le Maghreb 25 juillet 2020, p. 13)
Ah ! Si tout ce joli monde mobilisait son immense science juridique pour rendre justice aux parents de Rahma et de de Sourour !
On a aussi appris au cours de cette émission que l’énorme service des bâtiments du Ministère de l’Education ne savait pas que l’entrée de l’internat ne permettait pas le passage du camion de la Protection Civile, comme on a appris que les enfants des deux familles ne veulent plus fréquenter l’établissement où sont mortes leurs sœurs.
On retiendra de cette poignante émission la tristesse et la dignité de ces modestes parents et leurs propos mesurés, frappés au coin du bon sens.
Tous ceux qui croient en la justice devraient soutenir ces braves parents pour qu’ils soient dédommagés et puissent enfin arrêter de se battre avec l’hydre d’une administration baignant dans une bureaucratie crasse et sans âme.
Quant à M. Maarouf et sa fille, rappelons-leur ce qu’écrivait le génial Abdallah Ibn al Muqaffa (720-756) dans sa fable « La lionne et le chacal » :
« On récolte comme on sème, dit-on. Toute action se paye d’une récompense ou d’un châtiment qui sont en rapport avec elle, tout comme le semeur, au moment de la moisson, récolte proportionnellement à la quantité du grain semé. » (Traduction du Pr André Miquel)
En espérant que le prochain gouvernement – en dépit des défis auxquels il aura à faire face- réponde enfin aux légitimes attentes des parents de Rahma et de Sourour.
Mohamed Larbi Bouguerra
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Le Pr Mohamed Larbi Bouguerra a-t-il opté pour une confrontation Maarouf vs Rahma & Sourour ? Quel sens cela aurait-il ?? Les journalistes ne sauraient-ils pas traiter l'un et l'autre cas sans s'emmêler les pinceaux ? Doit-on forcément choisir une affaire, et oublier l'autre ? L'affaire de Thala est absolument scandaleuse - et celle de l'ex-ministre d'État ne l'est pas moins, même si les conséquences humaines ne sont pas à mettre sur un plan d'égalité. Quant aux conséquences politiques, j'accorderais la primauté à l'affaire du ministre dÉtat Maarouf, parce qu'il a pu orchestrer une falsification de documents judiciaires - et ne s'en est pas privé !