Dr Sofiane Zribi - Covid-19: Entre Deux Vagues, dans le creux de l’insouciance !
Par Dr Sofiane Zribi - Habitué à être bercé par les vagues de la douce méditerranée, le Tunisien, comme le reste de la population mondiale est dans l’expectative de la deuxième vague de Covid-19 qui s’annonce. L’économie est à plat et les moyens médicaux pour y faire face, autres que préventifs sont dérisoires. Un changement profond des attitudes et des comportements est réclamé, mais tout porte à croire que le citoyen ne changera pas de sitôt ses habitudes. Voici pourquoi :
A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire!
La Tunisie, s’autofélicite d’avoir résistée à la pandémie Covid-19, elle en fait même un argument de vente pour récolter les quelques téméraires touristes qui osent cet été quitter leurs pays, alors que totalement insouciants, les tunisiens reprennent leurs habitudes de sorties et de contacts sociaux rapprochés.
Le tunisien ne semble prêter que peu ou pas d’attention au contexte politique instable, marqué par la démission pour soupçons de conflits d’intérêts du chef du gouvernement et au climat économique morose, annonçant des jours à venir difficiles.
Les rues et les marchés sont pleins de monde, les cafés et salons de thé ne désemplissent pas alors que la ruée vers les plages redevient le sport favori des familles.
Les voyages entre les gouvernerats ont repris, et lors de l’Aïd El Kébir grands et petits se sont retrouvés face au même méchoui, échangeant accolades et embrassades.
L’épidémie ne semble plus être qu’un vieil souvenir. « Nous y avons échappé ! » scande le citoyen, « nous l’avons combattu ! » répète tout haut avec une fausse fierté le chef du gouvernement démissionnaire. Pourtant à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire !
La Tunisie a opté pour une politique d’économie des tests PCR, contrairement aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé ! Elle ne teste que les cas « suspects » ou l’entourage des cas confirmés. Autant dire qu’elle ne voit de l’épidémie que ce qu’elle veut voir !
Dans ce contexte, les seuls chiffres relativement indicateurs de l’état de l’épidémie dans notre pays, sont les chiffres des décès rapportés au nombre la population. Pour en avoir une idée, empruntons à l’excellent site politologue.com l’un de ses tableaux relatifs au « nombre de morts Covid-19 par pays pour chaque 100000 habitants » actualisé à la date du 9/8/2020 :
On y découvre, sans surprise que loin de faire partie du peloton de tête, la Tunisie est certes moyennement bien classée, mais il n’y avait pas de quoi gonfler le torse quand des pays comme le Bénin, le Soudan du sud ou la Jamaïque ont fait aussi bien que nous sinon mieux. En réalité, le nombre de cas positifs qu’on retrouve est en fait corrélé au nombre de tests réalisés. Plus on teste et plus on trouvera des cas.
Ceci donne à penser que des tunisiens ont été contaminés par le virus de la Corona, en sont tombés malades et en sont guéris tout en échappant à l’œil scrutateur et à l’oreille attentive des autorités sanitaires.
Tout porte à croire qu’aujourd’hui encore, la même situation persiste, mais on préfère ne rien dire et ne rien voir.
En définitive, la seule action positive sur la transmission du virus que l’on peut mettre au crédit du gouvernement Fakhfakh est sa gestion du confinement et sa décision salutaire de fermer pour un temps les frontières.
Le véritable risque actuel est la résurgence d’un deuxième vague!
Comme précisé plus haut, Il est illusoire de croire que le virus a cessé de circuler dans notre pays. Pire, avec la reprise des voyages, le retour des travailleurs immigrés, l’arrivée des touristes et surtout l’absence totale de distanciation sociale, du port du masque et des mesures barrières ; le virus est certainement entrain de circuler intensément.
Pour des raisons probablement liées à notre démographie et d’autres qu’on ignore encore, le nombre de morts ou d’admis dans les services de réanimation reste minimal. Ceci ne devrait nous rassurer qu’à moitié car rien ne nous assure que de nouveau, avec l’arrivée de l’automne les contaminations ne vont pas reprendre de plus belle sur un mode exponentiel.
Il est vrai et rassurant de savoir que les médecins réanimateurs connaissent mieux aujourd’hui la façon la meilleure de soigner les cas graves en insuffisance respiratoire. De même qu’il est soulageant de savoir que les apprentis sorciers préconisant des remèdes miracle comme la chloroquine se font moins loquaces.
Mais face à une épidémie d’une certaine ampleur il est de règle que les services de santé se retrouvent débordés et ceci qui implique une qualité des soins de plus en plus médiocre, que dire alors quand l’hôpital est lui-même déjà en souffrance ?
La peur n’est pas le meilleur moyen pour faire changer un comportement
Le risque de la deuxième vague est d’autant plus grand, que le citoyen sorti déboussolé et abasourdi du confinement et qui retrouve à peine sa vie avant le virus, éprouve le plus grand mal à remettre de nouveau le masque en public ou à observer les gestes barrières.
Les lois du conditionnement comportemental, nous apprennent qu’à moins d’être un parfait obsessionnel, les comportements appris sous l’influence de la peur et de la contrainte (Apprentissage Pavlovien), s’éteignent vite et ne résistent pas à l’épreuve du temps.
A l’inverse, les comportements appris sur le modèle de l’exemple (apprentissage social) ou sur le modèle de la récompense (Apprentissage Skinnérien) on plus de chance à perdurer.
En réalité, nous avons des peurs inscrites dans notre génome qui sont les peurs naturelles (Peurs sociale, peurs des animaux sauvages, peurs des serpents, peurs des hauteurs, de l’enfermement...) qui sont des peurs toujours présentes en nous et sont facilement réveillées à la moindre sollicitation.
A l’inverse les peurs acquises dans les situations modernes (voiture, vitesse, microbes, électricité, pollution…) nécessitent une connaissance, un apprentissage et un étayage qu’il convient de savoir mettre en place pour obtenir un résultat. Elles sont, en l’absence de stimuli renforçateurs, vite oubliées. Un exemple nous est donné par les accidents de voitures où malgré le nombre des morts et des pertes, les chauffards continuent à rouler à tombeaux ouverts ou encore des maladies contagieuses, alors que les personnes connaissent très bien les conséquences du manque d’hygiène, elles continuent à vivre dans une saleté alarmante.
Lors de la première vague de l’épidémie du Covid-19, le gouvernement a décidé seul, vite et a imposé une véritable psychose de la Corona à la population sans avoir pris la peine de recourir suffisamment aux spécialistes de la communication sociale et sans établir un véritable dialogue sociétal préalable sur le sujet.
Nous avons été plusieurs à le critiquer sur cette façon de faire. Le déconfinement annoncé, la population s’est vite faite de se débarrasser de ce fardeau comportemental lié aux gestes barrières et la distanciation sociale, qui a été imposé et pas du tout compris et intériorisé.
Alors que ni l’économie, ni les finances ne permettent un deuxième confinement, si par malheur, dans les semaines à venir, une deuxième vague se dessine à l’horizon, le gouvernement aura tout le mal du monde à imposer une seconde modification comportementale pour contrer la contagion et devra recourir, forcé et obligé aux mesures coercitives. Nous savons combien de telles mesures ont peu d’effet sur le Tunisien, habitué à fraterniser avec les forces de l’ordre. Il suffit de voir comment les automobilistes respectent le code de la route !
En Conclusion
La Tunisie démocratique a de quoi être fière d’avoir plus ou moins résisté à la première vague de l’épidémie de la Corona. Il est vrai aussi qu’elle a eu beaucoup de chance au vu de ses difficultés internes.
Malheureusement, ceci ne prédit en rien de ses bonnes aptitudes à faire face avec dextérité à la deuxième vague qui s’annonce.
Sa population nonchalante, chaleureuse, sociale et communicative n’est en réalité simplement pas préparée à renouer avec les sacrifices qu’a imposé la première vague. Les messages de peur font leur effet une fois et sur le court terme. Opérer une profonde mutation dans les comportements et les attitudes d’une population est une autre paire de manches.
Je reproche amèrement à nos décideurs de ne pas avoir suffisamment appelé les spécialistes du comportement à la rescousse pour les aider à établir une véritable stratégie opérante afin de pousser le citoyen à délaisser ses vieilles habitudes.
Mais la bataille contre le Covid-19 ne fait que commencer, il est encore temps de redresser la barre, de modifier la politique de communication dans le cadre de cette pandémie et de s’adresser aux véritables leviers de changement efficaces.
Leviers, sans lesquels, la population risque de ne pas adopter les nouveaux comportements salutaires pour sa survie, de manière responsable, civile, sans coercitions et sans menaces.
Dr Sofiane Zribi
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