Centenaire Mokhtar Hachicha: La voix, le verbe et la verve
Par Taoufik Habaieb- Il aurait fêté ses cent ans le 10 août 2020. Mokhtar Hachicha, celui qui ouvrait et clôturait l’antenne de Radio Tunis, amusait, intriguait et instruisait les auditeurs pendant plus de 27 ans, est mort trop tôt. Il n’avait en effet que 63 ans, lorsqu’il est décédé le 16 septembre 1983. La phonothèque de la Radio et la vidéothèque de la Télévision ne recensent pas moins de 300 chansons célèbres dont il avait écrit la parole, des milliers de feuilletons, comédies, pièces radiophonique et émissions portant son sceau indélébile.
Avec Mustapha Kheraief et Ahmed Laghmani, mais aussi Ismail Hattab dans Gafla Tsir, il était le producteur inventif et le réalisateur talentueux qui mettait tout sur antenne, collant les auditeurs à leurs postes radio. Les grandes affaires en justice, où avec force persuasion et impressionnants effets de manches, il plaidait, devant les caméras et face aux juges, les cas les plus désespérés et obtenait justice. Le cinéma tunisien alors naissant lui doit, aussi, un rôle pionnier. Scénariste, dialoguiste, il participera à quasiment tous les longs métrages d’Omar Khelifi, Ali Mansour et autres réalisateurs. En hommage à un parcours aussi riche que marquant, les Archives nationales célèbrent le mardi 11 août 2020 le centenaire de Mokhtar Hachicha. La famille du défunt avait remis à cette institution ses archives. Il n’en fallait pas plus à Hédi Jalleb, directeur général des Archives, historien de renom, qui sait apprécier la valeur des figures tunisiennes et mesurer l’importance de leurs œuvres, pour organiser cette commémoration. Il rend ainsi justice, au-delà de Mokhtar Hachicha, à tant d’illustres hommes et femmes de la radio, de la télévision et du spectacle, ainsi que des arts et des lettres, tombés dans l’oubli.
Un talent-né
Silhouette fine, regard perçant, fines moustaches, front large et cheveux légèrement à l’arrière, Mokhtar Hachicha n’avait pratiquement pas de montre au poignet. Sa passion insatiable pour le théâtre, d’abord, la radio et la télévision, ensuite, lui fera enchaîner jour et nuit scène, studios et antenne. Alors que ces deux médias massifs, nés à l’indépendance, allaient constituer «l’université du peuple», comme le voulait Bourguiba, il lui fallait y contribuer en offrant aux Tunisiens et Tunisiennes leur dose quotidienne indispensable de connaissances, de divertissement et d’émerveillement. Surfant sur tous les codes, du rural avec les chants d’Ismail Hattab et la poésie populaire aux belles-lettres, avec Ahmed Laghmani et Abdelaziz Kacem, il mixait les styles, variant ses rendez-vous entre feuilletons, grandes affaires criminelles énigmatiques, débats de société et concours d’intelligence. Le tout gratifié de chansons dont il était le parolier.
Tout avait commencé à Sfax au début des années 1930. Enfant de la Médina, Mokhtar Hachicha aimait arpenter ses ruelles. « La ville arabe » grouillait d’activités culturelles et artistiques dans de modestes locaux et vieilles maisons. Mouvement scout, Ittihad Thakafi, Ellakhmiya, Nadi El Asri, Al Ittihad Al Masrahi, et des dizaines d’autres associations captaient les jeunes et les moins jeunes, en plus des clubs sportifs et des cellules du Néo-Destour. Au-delà des remparts, dans le quartier européen, les communautés française, italienne, grecque et maltaise avaient elles aussi leurs associations. C’est dans ce milieu culturel très riche qu’éclora le talent précoce de Mokhtar Hachicha. Sa prime préférence ira au théâtre, le spectacle suprême, tant pour les comédies satiriques que les chefs d’œuvre arabes et occidentaux. Le peu de temps qui lui restait, il le consacrait aux études pour rafler un brevet l’autorisant à embrasser dès 1952, à 22 ans, une carrière d’instituteur. La salle de classe se transformera alors en théâtre, et les cours en concours littéraires et artistiques. L’écosystème, comme on dit aujourd’hui, était à Sfax un terreau des plus fertiles en créativité. Le patriotisme était aussi culturel.
L’effervescence de l’indépendance
Le dernier quart d’heure pour l’indépendance s’accélérait dans l’effervescence. Mokhtar Hachicha, très actif à Sfax, voulait se donner des perspectives très larges, brûlant d’envie de monter à Tunis. L’autonomie interne en 1957 et la tunisification de la radio lui offrit rapidement une chance inespérée qu’il doit à un ami d’enfance, Tijani Zalila. Au détour d’une discussion, il lui fera part de tout ce dont il rêve pour animer « une radio captivante ». Zalila était avec Mustapha Fersi, tous deux rentrés de Paris, appelés par Hamed Zeghal à investir la radio de l’indépendance. Détectant le talent de Mokhtar Hachicha, il l’invitera à rejoindre « la bande ». Le bail sera jusqu’à la fin. De son appartement, avenue de Paris, il n’aura qu’un chemin direct en prolongement, jusqu’au siège de la Radio, confondant nuit et jour. Son grand auditeur, attentif et attentionné, n’était autre que Bourguiba. Débarquant au 71 avenue de la Liberté, il y retrouvera de vieilles connaissances, Abdelaziz Achiche et Mohamed Damak, et découvrira Mustapha Kheraief, Abdelaziz Laroui, puis Ahmed Laghmani et autres grands esprits et hautes voix. Dans l’euphorie de l’indépendance, tout devenait possible, la création littéraire et artistique, la chanson au premier plan, avec Naama, Oulaya, Ali Riahi et autres stars trouvaient micro ouvert. Il y plongera, sans relâche.
Retour au bercail
Radio Sfax, née en décembre 1961, sous la férule d’Abdelaziz Achiche, cartonnait dans le centre-sud, portant sa voix jusqu’en Libye et même en Égypte. Après le décès de son fondateur, elle était, au début des années 1970, à la recherche d’un second souffle. Chedli Klibi en tant que ministre et Mustapha Masmoudi en tant que directeur de l’information s’en souciaient. On lui dépêchera alors Mokhtar Hachicha ( mais aussi Taoufik Hachicha, puis Mohamed Kacem Mseddi comme directeurs) pour prêter main-forte à Mohamed Chaabouni, Cheikh Sellami, Cheikh Boudaya, Mohamed Aloulou, Mohamed Mahfoudh, Amar et Mohsen Habaieb, Ahmed Elleuch, Rachid Ayadi, Mohamed Fourati, Boubaker Abdelkéfi, Mohamed Hentati, Saida El Gaied, Mokhtar Louati, Ahmed Salem Belghith, Najiba Derbel, Mohamed Habib Sellami, Ali El Mekki, Ameur Ettounsi, Amor Kaddour, Ayed Souissi, Hédi Mezghanni, Mohamed Abdelkéfi, et autres Mahmoud Ben Jemaa. Ravi de retrouver sa ville natale et les siens, il y excellera.
C’est ce parcours pluriel, haut en couleur et fécond que les Archives nationales célèbrent en ce centenaire. En hommage et en source d’inspiration.
T.H.
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