Abdelaziz Kacem: le droit et le bon sens
Par Abdelaziz Kacem - Femmes, la fête est finie. Vous pouvez ranger vos banderoles justicialistes. L’égalité successorale n’est pas pour demain. J’ai dans mon bagage universitaire, en islamologie,notamment, de quoi dire un mot, en toute compétence, dans le débat. Mais j’évite d’entrer dans une joute scolastique où l’excommunicateur l’emporte toujours. La vaste et ignoble campagne de dénigrements et d’anathèmes menée, tous azimuts, par une racaille nombreuse contre les éminents membres de la COLIBE, en est la preuve. Il y a trois ans, en constituant cette Commission, BCE voulait perpétuer son nom. De ce 13 août 2020, on peut dater sa deuxième mort.
Ainsi, s’enfoncent les sociétés musulmanes dans l’immobilisme et se montrent de plus en plus incapables d’arracher le coutelas des mains de ses takfiristes.
Certes, le texte est clair : « Quant à vos enfants : Dieu vous recommande d’attribuer au garçon une part égale à celle de deux filles… » (IV, 11) et je suis tenté de pasticher George Orwell : Tous les humains sont égaux, mais il y a des humains plus égaux que d’autres.
Loin de moi toute idée de sarcasme. Revenons plutôt aux « Maqasid al-Charī‘a », les buts, l’argumentaire, l’exposé des motifs de la jurisprudence. Ces inégalités successorales sont, aux yeux des ulémas, largement compensées, puisque l’homme est le seul à avoir obligation de subvenir aux besoins de la femme qu’elle soit sœur, mère ou épouse. L’argument était sans doute valable à l’époque. Mais les temps ont changé. Aujourd’hui bien des femmes subviennent aux besoins de leurs parents et de leur fratrie et bien des époux dotés de tous les attributs de la virilité émargent à la carte de crédit de leur épouse.
La fermeture du « bab al-ijtihad », il y a plus de mille ans, a littéralement verrouillé l’islam. Les Daéchiens en détiennent la clé. Or nombreux sont les penseurs qui ont établi que seuls les fondementsde la foi révélés à la Mecque sont intangibles ; le côté transactionnel et pénal, énoncé à Médine, fait partie de ce que Mahmoud Mohamed Taha appelait le Deuxième message (Al-Risala al-thania),donc sujet à réajustement. C’est léser la femme que de lui donner moins que ce « Smig ». Est-ce un blasphème de lui donner une part entière ?
Et puis, à la fin des fins, pourquoi sommes-nous braqués sur un seul édit divin ? Les sociétés musulmanes, dans la partie encore utile de l’arabité, ont aboli les châtiments corporels pourtant clairement édictés par le Coran.
C’est strictement une affaire de sous qui a inhibé Bourguiba à instaurer l’égalité pleine et entière en la matière. On l’avait prévenu qu’il toucherait là, dangereusement, aux intérêts ancestraux des clans. Une femme a vocation, par son mariage, de transférer son pactole d’héritage à un tiers étranger à la smala. En divisant par deux son droit successoral, on ne faisait que limiter les dégâts.
Pour Bourguiba, ce n’était que partie remise. Il comptait bien revenir à la charge, dès que les mentalités archaïques se seront libérées de leurs superstitions et de leurs égoïsmes.
En attendant, seules les filles continuent de prendre soin de leurs parents pour le meilleur et pour le pire. Quand les outrages de l’âge ou simplement les longues maladies atteignent les géniteurs, c’est à leur progéniture féminine, à moitié déshéritée, qu’incombe exclusivement la lourde corvée de leur nursing.
De tout temps et en tous lieux, le poète, féministe de la première heure,n’arrête pas de soutenir et de glorifier la résilience et l’abnégation de la femme :
Soumise à tous les jougs toi que l’on dit fragile
Le chicotin que tu as bu
À la santé de la tribu
Laisse aux lèvres qui t’ont aimée un goût de bile
Et l’on se dit cartésien. « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ». Ainsi commence Le Discours de la Méthode. Il s’agit de « la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison », dit encore Descartes trois lignes, plus loin. L’islam traditionnel, qui a tué ses moutazilites et ses Hallaj ; qui a maudit ses grands philosophes, Avicenne, Abu Bakr al-Razi (le Razès des latins) et autres Averroès, n’a que faire de la RAISON, ce privilège accordé à l’homme par son Créateur afin de le distinguer de l’animal et pour lui confier le vicariat sur terre.
Un collègue m’a rapporté les propos de l’un de ses amis qui, de son vivant, a partagé équitablement ses biens entre ses enfants des deux sexes. « Je ne vois pas pourquoi, dit-il, ma belle-fille vivrait plus confortablement que ma fille ». C’est cela le bon sens !
A.K
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"Aujourd’hui bien des femmes subviennent aux besoins de leurs parents et de leur fratrie et bien des époux dotés de tous les attributs de la virilité émargent à la carte de crédit de leur épouse." dites-vous. Est-ce que ceci est incarné dans la loi tunisienne en forme d'obligation? En fait, une souveraine devrait demander les deux en parallel les obligations et les avantages dont l'égalité de l'héritage, mais avant tout elle doit se positionner dans les posts clés. En plus, les mamans peuvent appliquer le mode "Hiba" en faveur de leurs filles pour exprimer une solidarité féminine. Dans la pratique ou est-ce qu'elle est la solidarité féminine en Tunisie?
Ce n'est pas coutumier qu'un homme prenne la plume pour soutenir le droit à l'égalité successorale qui devrait être la norme à notre époque. Je ne vous apprendrais rien en rappelant que dans des pays dits "avancés" en matière successorale le droit d'aînesse était encore la norme il y a moins de 100 ans. Sans compter que de nos jours, c'est devenu courant que les femmes font "bouillir la marmite". Votre conclusion est imparable, merci