Boubaker Ben kraiem: Jamais de démocratie et libertés, sans croissance économique!
Par Boubaker Ben kraiem - La démocratie et les libertés ne peuvent s’épanouir que dans les limites du développement économique réalisé dans le pays. Au fait, l’émancipation démocratique et les libertés vont de pair avec la prospérité économique et progressent au même rythme. D’ailleurs, un net déficit de l’un des deux secteurs par rapport au deuxième mène inéluctablement à la déflagration. En Tunisie, depuis 2011, des progrès indéniables, avec des excès même, ont été réalisés en matière de démocratie et libertés ; en revanche,la situation économique n’a pas progressé. Bien au contraire,elle a nettement régressé. Bien plus, elle est au bord de la catastrophe après la révolution. Comme un malheur n'arrive jamais seul, le pays doit faire face à une crise sanitaire d'une ampleur inédite.
N’ayant pas les moyens de contrer les effets de la pandémie du coronavirus avec toutes ses conséquences négatives, surtout, avec la deuxième vague survenue après le confinement général de mars–avril derniers, elle peine à la juguler. En effet, n’ayant pas de richesses minérales importantes, la Tunisie fait face à plusieurs défis :
a. D’abord, ses moyens financiers étant limités, elle ne pouvait, pour plusieurs raisons, satisfaire les attentes et les besoins de nos concitoyens,
b. Ensuite, sa population active étant peu nombreuse, ne lui permet pas de diversifier ses activités économiques,
c. Et puis, n’étant pas sûre de concurrencer les pays industrialisés, elle n’ose pas s’aventurer en s’engageant, ouvertement, dans le secteur industriel, ce secteur difficile, périlleux et nécessitant d’importants investissements,
d. Enfin, l’inexistence d'un contact direct avec les foules des foules entre le Pouvoir exécutif et le peuple n’arrange pas les choses : comme nous avons, grandement, besoin de certaines orientations, prises de positions,
L’année 2011 marqua le début d’un certain espoir d’améliorations au niveau de l’économie et de la vie sociale des tunisiens. Mais la situation économique est loin de répondre aux attentes avec le constat d’une transition démocratique qui est censée faire face au ralentissement de la croissance, à la baisse des investissements, à l’augmentation des inégalités entre les régions et du taux des chômeurs diplômés ainsi que la dévaluation du dinar… Les indicateurs économiques révèlent aussi que pour renouer avec la croissance, notre pays doit encore fournir de nombreux efforts et surtout travailler davantage.
Soulignons d’abord que les investisseurs sont plus réticents à s’engager dans le pays depuis la révolution à cause de l’instabilité politique, de l’insécurité et de la lourdeur de l’administration. Si les investissements dépassaient 23 % du PIB en 2011, ce taux redescendait à 21,7 % en 2016. Les séries d’attentats terroristes de 2015 se répercutent aussi sur la réduction des recettes du tourisme qui impacte à son tour sur la croissance économique. D’un autre côté, on enregistre également une baisse de valeur ajoutée des secteurs des hydrocarbures et de l’extraction des mines renforcée par la pandémie du Covid 19.
Mais la question des finances publiques reste particulièrement sensible car en 2010 le déficit budgétaire était de 1 % du PIB et l’endettement du secteur public estimé à 40,7 % du PIB alors qu’en 2016, le déficit budgétaire atteint 5,7 % du PIB contre 61,8 % du PIB pour la dette publique. Le déficit budgétaire se creuse à cause de la baisse des recettes fiscales due à la baisse des investissements et au financement des salaires des fonctionnaires du secteur public et des biens d’équipement. La dette publique généralement en devises devient lourd à gérer pour le pays surtout avec le contexte de la dégradation du dinar qui fait exploser le coût de la dette. Remarquons au passage que l’épargne nationale est actuellement à 9,6 milliards de dinars contre 13,3 milliards de dinars l’année avant la révolution.
Concernant le commerce international, les exportations de biens et de services dans le PIB ont connu une régression ces dernières années. En valeurs constantes, les échanges commerciaux de la Tunisie, avec l’extérieur, au cours des dix premiers mois de l’année 2019, ont atteint 36,728 milliards de dinars en exportations et 53, 235 milliards en importations. Cette situation est causée par la croissance des marchés de l’huile d’olive et des exportations manufacturières. Côté importation, les chiffres révèlent aussi une sérieuse augmentation des importations des biens de consommation et des biens alimentaires, un signe indicateur de l’état fragile de l’économie tunisienne.
Mais le taux de chômage reste aussi un élément faible de l’économie du pays. S’il était de plus de 15% en 2010, il s’est développé les années suivantes. Les diplômés de l’enseignement supérieur sont des plus affectés par ce fléau qui, aujourd’hui, touche 30 % de ces jeunes sortants universitaires.
Tout cela se déroule dans un contexte où la valeur du dinar ne cesse de se dégrader par rapport à l’euro, ce qui entraîne à son tour la hausse de l’inflation et la forte augmentation du coût de la vie. Sans oublier la menace terroriste qui……. pèse sur la société.
Face à l’urgence de la mise en place d’actions efficaces pour assurer la transition économique, l’Etat a décidé d’élaborer le plan quinquennal 2016-2020 dans le but de relancer la croissance. Parmi les mesures prises pour attirer les capitaux étrangers, l’Etat a prévu des avantages fiscaux et la possibilité de rapatrier facilement les bénéfices pour les investisseurs étrangers dans le secteur privé. C’est une mesure efficace, mais absolument pas suffisante, car l’un des facteurs principaux qui altèrent l’investissement est la lourdeur administrative. Le gouvernement Youssef Chahed a adopté aussi un plan de restructuration et d’assainissement de l’administration publique avec la possibilité de départ anticipé et de départ volontaire ainsi que la lutte contre la corruption administrative. Il mise également sur l’amélioration des services de douanes, la réforme fiscale, la restructuration des structures publiques, la réforme du système de financement de l’économie… Mais ces plans, malgré la modestie de leurs objectifs, n’ont pas abouti aux résultats escomptés.
Les difficultés financières de notre pays proviennent, en grande partie, du recrutement, au lendemain de la révolution, dans la fonction publique qui était, déjà, en sureffectifs, de plusieurs dizaines de milliers d’amnistiés alourdissant, pour plusieurs décennies, le budget de l’Etat et réduisant, drastiquement, les finances réservées au développement des régions de l’intérieur dont le besoin ne fait aucun doute.
Les complications économiques affectent non seulement le secteur public mais aussi le secteur privé qui peine à maintenir sa capacité d’embauche, donc loin de pouvoir créer de nouveaux emplois. Les problématiques du chômage restent toujours un défi à relever pour le gouvernement avec le taux de chômage dépassant les 15 %, voire plus dans certains gouvernorats. Pour apaiser les chômeurs diplômés de l’enseignement supérieur, l’Etat a décidé d’octroyer une aide financière, un minimum de revenu pour ces jeunes au nombre de quelques dizaines de milliers de diplômés. Le gouvernement a aussi engagé des fonds de financement pour encourager ces jeunes à monter leur propre entreprise. Un projet de réforme de la formation professionnelle, formation existant, sous une forme ou une autre, depuis près d’un demi-siècle, a été mis en place mais la suppression du ministère chargé de cette très importante fonction, dans le Gouvernement Mechichi, a été une surprise désagréable et décourageante pour nos concitoyens. Ainsi, le problème du chômage est loin d’être résolu. En effet, il touche près de 33,4 % des jeunes dans le milieu rural et un jeune tunisien sur cinq dans le milieu urbain. Très peu de ces jeunes ont terminé l’enseignement secondaire et ont abandonné l’école avant la fin de ce cycle. Ce manque de formation les handicape dans la recherche des opportunités d’emploi. Notre gouvernement doit encore faire face aux défis de l’accès de ces jeunes aux opportunités de travail dans toutes les régions du pays.
L’inflation impacte sur le pouvoir d’achat des tunisiens car pour l’année 2018, il a chuté de 3 % par rapport à l’année précédente selon le rapport d’un groupe du travail de la CNS, alors qu’entre 2002 à 2011, le pouvoir d’achat affiche une amélioration de 20 %. Bien que ces statistiques attendent encore la validation de l’INS, tout le monde peut constater la dépréciation du dinar et l’inflation galopante qui a frôlé 7,4 % en 2018. L’Institut National de la Consommation a indiqué que le fonds de subventions des ménages à leurs besoins affiche une hausse de 117 % entre 2010 et 2018. Le responsable de l’ITES a, quant à lui, déclaré que le nombre des Tunisiens pauvres atteignent plus d’un million et demi et près de 60 % des familles tunisiennes souffrent de surendettement et d’emprunts bancaires. De plus, les prix des produits de consommation utiles au quotidien comme les légumes, les fournitures scolaires, etc.… affichent une augmentation très importante. Selon l’ITES, le meilleur moyen de maîtriser la hausse de l’inflation consiste à œuvrer pour la promotion de l’investissement. Pour sa part, le directeur de l’INC a déclaré la nécessité de la mise en place de politique d’amélioration de la qualité des services de la santé, du transport et de l’éducation ainsi que le contrôle des circuits de distribution au niveau des marchés de gros. Nos concitoyens constatent que quelques secteurs vitaux tels que la santé, les transports, l’enseignement, le couffin de la ménagère, la propreté de l’environnement qui ont connu, depuis 2011, une dégradation très sérieuse et qui ne font pas honneur aux Tunisiens, doivent bénéficier d’une urgence certaine et d’une priorité absolue. Quant au couffin de la ménagère, des commissions spéciales composées, outre le personnel des services du contrôle des prix, d’agents des forces de sécurité intérieure, des douanes et de l’organisation de défense des consommateurs, peuvent être postées dans les marchés de gros des grandes villes pour veiller à la régularité des opérations marchandes. Elles doivent être relevées tous les quinze jours pour les raisons qui ne sont pas difficiles à deviner. Pour améliorer le pouvoir d’achat des Tunisiens, il faut aussi établir une politique de lutte contre le secteur informel et la contrebande et intensifier la concurrence pour faire baisser le prix des biens à la consommation. Ceci ne peut se réaliser qu’avec une volonté politique très forte et inébranlable.
Notre pays est à son neuvième gouvernement depuis 2011, en tenant compte de celui de Mr Mohamed Ghannouchi, un record mondial non valorisant en fait, c à d au rythme de presqu’un gouvernement chaque année. Pourquoi ? Cette question doit être posée à toute la classe politique. Notre pays, jadis l’exemple et le modèle, doit, pour sauver les meubles, retrouver, d’ici peu de temps, la place qui était la sienne dans le concert des Nations en 2010. Si on n’y arrive pas d’ici 2023, la classe politique actuelle ferait mieux de présenter ses excuses au peuple tunisien et passer la main.
Cependant, le projet de nomination, ces derniers jours, de deux experts dans le domaine économique, connus et reconnus à l’échelle internationale, comme Conseillers auprès du Chef du Gouvernement, aurait pu être une excellente nouvelle à plus d’un titre : elle aurait boosté ce secteur qui peine à se relever d’une part et d’autre part, c’est un message clair à nos partenaires que, chez nous, la sagesse prévaut toujours et la raison l’emporte. Cette excellente initiative a été critiquée en haut lieu alors qu’elle aurait dû être encouragée car notre pays qui a besoin de tous ses enfants, à tout intérêt à exploiter toutes les compétences dans le but principal est, essentiellement, d’améliorer les conditions de vie de nos concitoyens et surtout de créer de la richesse. Chercher à stigmatiser certains choix ne peut que renforcer le doute et l’incertitude qui nous ont fait perdre, déjà, presqu’une décennie.
D’ailleurs, pareille initiative relative au rappel de personnalités dotées de l’expérience, du savoir-faire et de carnet d’adresses bien garni, qualités que ne possèdent pas les novices dont on ne doute pas de leur patriotisme et de leur bonne foi qui ont été désignés, à chaque fois, à la tête des rouages de l’Etat parce qu’ils n’ont presque jamais été associés, ni de près ni de loin, aux affaires de l’Etat ni à celles de l’administration. Et c’est ce qui est la cause profonde de ce marasme que nous vivons à tous les niveaux. Personne ne peut me démentir parce que le changement intervenu en 2011 n’a pas, en une décennie, amélioré d’un iota les conditions de vie de nos concitoyens et cette situation que nous vivons est perceptible à l’œil nu et nous n’avons même pas besoin de comparer les conditions de vie sociales et économiques de 2020 à celles de 2010 pour s’en rendre compte sans faire de recherche approfondie ou fournir d’effort particulier. Il n’y aura que les revanchards, les non patriotes et les mal intentionnés qui vous diront le contraire. Il suffit de voir l’état de malpropreté du pays du Jasmin, pays touristique par excellence, qui était renommé comme étant parmi les plus propres du monde, pour se rendre à l’évidence.
Cette mutation inattendue de notre pays survenue en 2011, après, seulement, quatre semaines de manifestations et de protestations, aurait pu avoir des conséquences tragiques dont très probablement une guerre civile, si notre pays ne disposait de Grands et brillants commis de l’Etat dont on a vite oublié les mérites, ces……….. Surnommés….. «Ezlems» qui ont, durant des mois, tenu le gouvernail du navire Tunisie pour l’amener à bon port et maintenir en marche tous les services du pays : faut-il rappeler, que grâce à eux, et durant toute la première année du Changement, le pays continua à vivre normalement ou presque : les magasins ont été approvisionnés régulièrement, les écoles, les facultés, les établissements hospitaliers fonctionnaient comme si de rien n’était et le citoyen ne manqua de rien. Ceci est dû au fait que nous avions une excellente Administration qui, grâce au patriotisme de ses personnels, à leurs compétences, au sens du devoir qui les animait, à leur sérieux, à leur honnêteté et à leur remarquable esprit d’initiative, n’ont pas abandonné leurs postes et se sont acquittés, honorablement, de leurs tâches jusqu’au dernier jour. Inutile de rappeler comment ils ont été * traités et récompensés !!!*. Sans eux, notre pays aurait connu des situations, pour le moins qu’on puisse dire, catastrophiques. Imaginez-vous, un seul instant, ce qui serait arrivé si tous les Directeurs Généraux des ministères et les PDG des entreprises nationales, n’avaient pas continué à assurer leurs fonctions au lendemain du 14 janvier 2011!
Cependant, un problème d’une gravité extrême qui semble ne retenir l’attention de personne alors qu’il concerne tout le peuple tunisien doit être solutionné en priorité absolue. De lui dépendent notre présent et l’avenir des générations futures et il implique les composantes de notre société (partis politiques, organisations nationales et associations de la société civile). C’est celui de la criminalité qui se développe, jour après jour, et qui, surtout, se banalise et qui concerne, tout particulièrement, les jeunes de 18 à 30 ans, les responsable et les chefs de demain. Sa résolution nécessite la mobilisation de tout le monde avant que ce fléau ne devienne ingérable.
Aussi, est-il instamment demandé au Pouvoir exécutif d’annoncer, de la manière la plus claire, la plus solennelle et la plus autoritaire, que la récréation est bel et bien terminée, que les sit-in devant les sites économiques doivent être levés immédiatement et sans délai et qu’ils sont, définitivement, interdits. Ce sera la seule possibilité qui permettra à l’Etat de reprendre son Autorité légale, et à nos concitoyens de faire confiance en leur pays et à travailler davantage. Si dans les 48 Heures, rien n’était fait, alors l’Etat ne doit pas se dégonfler et devra prendre ses responsabilités.
Que Dieu protège la Tunisie Eternelle, l’héritière de Kairouan et de Carthage.
Boubaker Ben kraiem
Ancien Gouverneur,
Ancien PDG.
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Excellente analyse de la situation du pays . Le salut réside dans la volonté et le courage de l'Etat de faire respecter la Loi et de remettre en marche la machine économique . Le temps presse !