Mohamed Kasdallah: A nos braves soldats, innovez... ré-innovez
Etes - vous les dignes descendants du généralissime Hannibal?
Depuis une décennie maintenant, notre pays fait face à des groupes terroristes de types mafieux qui usent efficacement une quasi libre circulation des biens, des personnes et de l’information. C’est un ennemi asymétrique qui n’a rien à perdre et qui, conscient de sa faiblesse, cherche à nous entrainer sur son terrain favorable dans des sanctuaires difficiles d’accès afin de créer la surprise. L’explosion d’une mine piégée tuant quatre militaires à dj.Mghila survenue le mercredi 04 Février en est une parfaite illustration. C’est dire que les tangos qui hantent les monts du pays se rappellent de temps en temps de nous et viennent nous ravir des meilleurs de nos enfants. D’où la question : Pourquoi le déclic tarde à arriver? Dit autrement, on peut difficilement admettre que cette situation s’éternise et accepter le statu quo imposé par l’adversaire.
Innovez… ré – innovez
Est-ce une injonction paradoxale de demander à nos forces armées d’innover en matière de lutte antiterroriste ? Si «seule la victoire compte», pourquoi ne pas utiliser les manières, fussent –t- elles anciennes, si elles apportent la plus-value à la victoire ?
Nous possédons tous les ingrédients pour assurer notre victoire à condition que notre capacité à nous remettre en cause soit permanente.
L’innovation est une invention ou une idée qui réussit. D’aucuns la placent parmi les qualités du leader.
On peut difficilement imaginer prendre l’ascendant sur l’ennemi si l’on n’accepte pas de reconsidérer un certain nombre de nos pratiques actuelles face à un ennemi qui ne cesse de nous mettre sérieusement en difficulté. Ceci passe par des innovations dans le champ doctrinal et implique de revoir l’éventail des modes d’action en y introduisant, à titre d’exemple, l’usage de la ruse dans toutes ses composantes.
La ruse comme mode d’action à privilégier
«Toute guerre est fondée sur la tromperie», cette citation de Sun Tsu (6ème S. Av .JC) conserve aujourd’hui encore toute sa sagacité. Il est crucial de réapproprier ce principe opératif qui devient incontournable dans la lutte contre le terrorisme où la ruse devait figurer parmi les plus illustres.
Définissons tout d’abord la ruse autrement appelée, selon les époques et les pays, déception, tromperie, diversion, dissimulation.
La ruse est le fait de vouloir induire l’adversaire en erreur en le trompant délibérément à commettre une imprudence. C’est ce que fit Hannibal en 217 Av. JC, lorsqu’il simula un mouvement vers Rome en vue d’engager les troupes romaines sur un terrain favorable .Son attaque par le nord de l’Italie demeure à l’échelle de l’Histoire un modèle. Son génie militaire était donc spécifique, il fut l’homme du «coup d’œil», celui qui sait élaborer un dispositif inédit et imprévisible dans l’espace et dans le temps.
Churchill écrivait dans ses «mémoires de guerre»: «En temps de guerre, la vérité est tellement précieuse qu’elle doit être protégée par un rempart de mensonges»
Il faut se rendre à l’évidence. Au cours de ces dernières années, ce sont surtout les opérations terroristes qui ont eu recours le plus activement aux opérations de déception. Le succès opérationnel et médiatique du 11 Septembre 2001 est essentiellement dû à une remarquable maîtrise de l’art de la ruse. Dans le registre de la dissimulation, les membres des équipes qui perpétrèrent les attaques du 11/ 09 s’attachèrent pendant plusieurs mois à se fondre le plus possible au sein de la société américaine en adoptant une tenue vestimentaire occidentale et en évitant les mosquées. Ce procédé de camouflage aussi simple soit-il permit à tous les membres de passer aisément les contrôles dans les aéroports.
Les exemples de victoires dues à l’emploi de la déception qui est une forme active de la ruse sont multiples. Cependant, notre Armée est-elle instruite à ces procédés soit pour mieux lutter contre la déception et se préserver de la surprise ou la mise en œuvre opérative de ces concepts?
Contrairement aux autres armées, israélienne ou américaine par exemple, qui ont érigé la ruse au rang de concept interarmées (voir : Joint Publication 3-134 Military Déception), l’armée nationale ne semble pas avoir pris en compte cette notion dans sa globalité. Certes, certaines règles de camouflage sont rappelées aux élèves lors des phases d’instruction pratique sur le terrain mais ces procédés ne sont en aucun cas développés au niveau de concepts incorporés au cours dispensés dans les centres .
Il semblerait par conséquent opportun de
• Réintroduire dans le corpus des cours donnés dans les écoles et centres de formation des séances d’instruction dédiées à la déception aux niveaux stratégique, opératif et tactique.
• Réinventer les savoir-faire en matière de la déception dans toutes ses composantes
• Prendre davantage en compte la ruse dans la planification et la conception de nos modes d’action
• Dans le même registre mais pour mieux lutter contre la déception, accélérer la mise en service des micro-drones afin de ne plus avoir à exposer des soldats/ véhicules pour aller voir de l’autre côté de la colline
Devant faire face à la menace terroriste dont les contours sont particulièrement mouvants, notre manière de planifier, concevoir et conduire les opérations doit s’émanciper des cadres préétablis en vue de surprendre l’ennemi.
Demain nous vaincrons si nous faisons preuve de ruse,d’audace,de réactivité et de perspicacité. Charge à nous de changer les mentalités et d’instruire les nouvelles générations afin de les préparer au mieux aux engagements auxquelles elles seront confrontées.
Mohamed Kasdallah
Officier de l’armée nationale à la retraite
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