Infobésité, gestion du temps et neuromanagement
Par Fredj Bouslama
«Nous ne serions pas capables de nous concentrer plus de 8 secondes. Les poissons rouges arrivent à tenir leur attention 9 secondes!»
Concept inventé par David Shenk en 1996, l’infobésité désigne les risques et les effets nocifs de la surcharge informationnelle dont nous sommes victimes sur nos processus cognitifs.
En effet, l'Homme du XXIe siècle vit dans une sorte de microonde géante qui bombarde son cerveau d'un flux interminable et ininterrompu d'informations.
En 2010, Eric Schmidt, PDG de Google, déclare qu’Il y a eu 5 exaoctets d'informations créés depuis l'aube de la civilisation jusqu'en 2003, mais autant d'informations sont désormais créées tous les 2 jours, et le rythme s'accélère.
Pierre-Marie Lledo, Directeur de recherches au CNRS affirme qu’en 2014, l’humanité a produit toutes les 7 minutes, 5 Exabytes de données (l’équivalent de 10 billion de livres toutes les 7 minutes), soit autant qu’entre l’invention de l’écriture (4500 ans avant Jésus-Christ) et l’an 2000 !
Un flux effroyable d’informations
En même temps que cette explosion de production des contenus dans le monde, c’est le développement des outils technologiques,de communication et plus particulièrement des outils numériques de proximité qui déversent instantanément des avalanches d’informations dans nos vie quotidienne que ce soit la vie personnelle ou la vie professionnelle.
Entre les messages d’alerte des sites d’informations, les messages Facebook ou encore celles des jeux, cela représente près d’une notification toutes les six minutes au cours de la journée.
Dans le monde professionnel et durant l’année 2020, 306.4 milliards de mails sont envoyés dans le monde par jour. Au début une aubaine pour l’entreprise, ce flux s’est transformé en vrai problème à gérer.
En moyenne, les employés qui utilisent leurs ordinateurs sont interrompus ou distraits toutes les dix minutes, soit 2,1 heures par jour et 546 heures par an !
Comme tous les excès, ce surplus de production et de consommation d’information s’avère néfaste pour la santé mentale et physique mais aussi à la sante économique des entreprises. Les recherches en psychologie et en psychologie sociale ont permis de cerner le phénomène et de relever sesconséquences sur l’individu et les groupes : stress, anxiété informationnelle et intellectuelles, syndrome de débordement cognitif et d’épuisement professionnel, cyberdépendance, désengagement, sont listés comme conséquence directe de l’infobésité.
Les recherches en neurosciences sont formelles au sujet de l’infobésité
L’essor qu’ont connu les neurosciences ces 20 dernières années a permis d’aller plus loin dans la compréhension de ce nouveau fléau. Grace à l’évolution des techniques d’imagerie fonctionnelle, les chercheurs peuvent aujourd’hui regarder le cerveau et les neurones en action ce qui permet de constater avec précision les mécanismes cérébraux mis en jeu sous la pression de l’infobésité.
Le constat est unanime: Bombardé, notre cerveau ne peut traiter toute cette masse d’informations.
Les études scientifiques dans ce domaine ont démontré que L’infobésité affecte structurellement et fonctionnellement le cerveau et en premier lieu, dans ses fonctions exécutives principales tel que l’attention, la mémorisation, la plasticité cognitive et l’inhibition.
Infobésité et attention
En première ligne c’est le système attentionnel qui est exposé aux conséquences néfastes de l’infobésité.
Le système attentionnel de notre cerveau est le portique des fonctions cérébrales. Il se charge habituellement de sélectionner l’information la plus pertinente, de faire le tri et de définir l’orientation de la décision et de l’action. Mais cette fonction a ses limites car elle est très fragile.
On sait aujourd’hui que nous regardons en moyenne 150 fois par jour l’écran de notre smartphone un geste devenu involontaire à cause de la dopamine que secrète le cerveau quand il désire une récompense.
A chaque fois qu’on le fait, notre cerveau coupe l’alimentation à la concentration sur la tâche initiale interrompue par ce coup d’œil anodin. Ces quelques secondes de recherche de dopamine réduisent la concentration et la mémoire de travail.
Les notifications activent notre attention automatique, celle qui a pour objectif de nous prévenir des dangers et nous aider à prendre des décisions rapides. Lorsque cette attention est stimulée, le cerveau court-circuite l’attention volontaire qui mobilise le cerveau lent, siégé du raisonnement et de la décision volontaire et consciente, et réoriente ainsi toutes les ressources cérébrales vers le traitement de l’information urgente.
En seulement 60’’ de sollicitation, la concentration sur la tâche interrompue par la stimulation est totalement perdue. Le temps nécessaire au cerveau pour se reconcentrer sur la tâche initiale est entre 10 et 20 fois le temps de la distraction.
Ce geste modifie structurellement le cerveau à court et à long terme.
La répétition de ce comportement s’enregistre dans le cerveau, car les neurones ayant compris que c’est un geste redondant, établissent de nouvelles connexions et les inscrit dans la mémoire inconsciente. Le cerveau est friand d’automatismes, parce qu’ils sont économiques en terme de cout énergétique et en charge cérébrale. Il va donc robotiser ce mouvement.
Une étude réalisée par Microsoft en 2017 révèle que la surcharge informationnelle dont nous sommes tous victimes a réduit notre capacité de concentration de 12 ‘’ en 2000 à 8 ‘’ en 2017.
Infobésité et productivité
Nancy Flynn, auteur du livre récemment publié E-Mail Management: 50 Tips for Keeping Your Inbox Under Control, affirme qu'une utilisation excessive des systèmes de messagerie d'entreprise pourrait faire perdre beaucoup d'argent à de nombreuses entreprises.
Selon Marsha Egan, PDG d' Egan E-Mail Solutions, il faut quatre minutes pour répondre à l'interruption d'un e-mail, ce qui peut représenter jusqu'à deux heures perdues par jour.
«Le courrier électronique provoque une crise de productivité dans l'entreprise… c'est le cancer silencieux de l'entreprise», a-t-elle déclaré, citant une enquête qui a révélé qu'un homme d'affaires moyen reçoit environ 100 e-mails par jour.
Ken Blanchard auteur américain spécialisé dans le domaine du management et du leadership situationnel de proximité affirme que 40% du temps, en moyenne, des cadres d’entreprise serait occupé à … lire et envoyer des courriers électroniques.C’estle «syndrome du Hamster».
La surcharge informationnelle peut effectivement faire baisser la productivité des employés et donc de l’entreprise au travers de 3 éléments:
• Une baisse de nos capacités de concentration et d’attention,
• Une mémoire plus instable
• et Un processus décisionnel dégradé voire paralysé à cause de la surcharge d’information «inutiles»: le risque est de se perdre dans un «nuage informationnel».
Résultat: 3 collaborateurs sur 5 ratent les informations essentielles à leur travail chaque jour.
Infobésité et risques psychosociaux dans l’entreprise
L’infobésité est devenu une pathologie qui peut engendrer une véritable souffrance au quotidien. L’impact sur l’entreprise est inévitable même si le processus est lent et discret. Progressivement, souvent dans le silence et sans soupçonner l’infobésité, la motivation des employés baisse, l’engagement diminue, la qualité de prise de décision régresse et par ricochet, c’est tout le climat social au travail qui se dégrade.
Une étude menée en France révèle que 74% des Français éprouvent du stress face aux sollicitations incessantes des appareils numériques. Les trois quarts des managers ont le sentiment d’être pris dans une urgence généralisée et pensent que cette situation ne peut qu’empirer.
Toutes ces conséquences coûtent cher à l’entreprise, mauvaises décisions au travail, conflits, blocages, retard, absentéismes, congés maladie… que du temps perdu.
Neuromanagement, de nouvelles solutions: on ne gère pas le temps…on gère l’attention
Après des décennies d’usage intensif des process, on se rend compte aujourd’hui qu’on a beau concevoir ceux-ci à la perfection, lors de mise en route, le facteur humain aura toujours le dernier mot. Souvent rien ne se passe comme prévu.
Contrairement au management classique qui se focalise sur l’optimisation de l’exploitation du temps de travail en fonction de la productivité, le neuromanagement lui, suggère de nouvelles pistes d’optimisation.
Personne ne peut gérer le temps. Il passe, peu importe ce que l’on fait. On ne peut pas le ralentir ou en créer davantage, donc le temps n’est pas le nœud du problème. Ce sont les distractions et l’attention mal canalisée qui interfèrent avec notre capacité à atteindre nos buts. La solution se situe donc à ce niveau.
Un neuro-manager sait qu’il faut protéger ses équipes de l’infobésité et qu’il doit éviter à ces collaborateurs de s’engluer dans ce raz-de-marée d’informations professionnelles, commerciales, personnelles et sociales.
« Un manager qui s’inspire des neurosciences est celui qui rythme et organise l’échange d’information. Il met des filtres. Avant d’envoyer un message, il vérifie si le contenu fait passer une information qui permet de comprendre, plutôt que de savoir », explique le professeur Lledo. Car la transmission de l’information est loin de suffire au cerveau : celui-ci a un besoin impératif de comprendre.
En neuromanagement La gestion du temps tient donc compte de la problématique flux d’information, productivité et efficacité des fonctions exécutives de cerveau.
Plusieurs techniques de travail en amont, en temps réel et en aval sont proposées par le neuromanagement pour maitriser d’une manière optimale, le potentiel du cerveau, ses limites et sans puissance de productivité. Mais d’abord il faut connaitre le cerveau et comprendre comment il fonctionne et comment on arrive à faire de lui un allié pour la performance professionnelle, sociale et personnelle.
Fredj Bouslama
Neurocoach diplômé de l’académie européenne des neurosciences.
CEO Octogoformation et conseil.
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