Changement climatique : Le rapport du Giec oscille entre un temps apocalyptique et l’espoir offert aux humains de changer leur destin
Par Samir Allal - Depuis plus de trente ans, le Groupe d’Experts Intergouvernemental pour le Climat (Giec) analyse le changement climatique, ses conséquences et les stratégies d'adaptation possibles à travers le monde via des rapports d'évaluation mis à jour régulièrement.
Cinq rapports sont déjà publiés et le sixième a été publié ce lundi 9 août 2021. Ce dernier rapport a mobilisé, plus de 200 auteurs, les meilleurs experts au monde dans leur domaine. Pendant quatre ans, ils ont travaillé et discuté ensemble des dizaines de milliers d'articles pour faire sortir un «consensus». Ce rapport était très attendu, tant par la communauté scientifique que politique.
L’avant-dernier rapport du Giec date de novembre 2014. Entre-temps, "il y a eu beaucoup d'avancées scientifiques importantes", sur «l’attribution des événements météorologiques extrêmes au changement climatique» ou encore sur "l'augmentation de la puissance de calcul" pour mieux représenter notamment les "phénomènes de petite échelle". Pas de quoi remettre en cause les précédentes prévisions, mais plutôt les approfondir.
Ce sixième rapport se décompose en trois volets : le premier sur les éléments scientifiques les plus récents concernant le changement climatique, le deuxième sur les conséquences du changement climatique et les mesures d'adaptation – prévu pour février 2022 – et le troisième consacré aux mesures d'atténuation pour le mois suivant.
Dans ce dernier rapport, la communauté scientifique a généré de «nouveaux scénarios», avec des trajectoires de hausse de la température globale en fonction de l'action humaine, pour mieux explorer les réponses du système climatique. Un chapitre nouveau est consacré aux événements extrêmes.
En pleine pandémie mondiale, ce rapport tombe au milieu d'une avalanche de catastrophes qui ont remis les conséquences du dérèglement climatique à la une: record de chaleur en Tunisie, au Canada, des sécheresses extrêmes en Afrique et dans l'ouest de l'Amérique du Nord, des incendies ravageurs en Turquie, en Algérie, au Liban ou en Grèce, des inondations meurtrières en Allemagne et en Belgique, la famine à Madagascar...
Dans plusieurs régions du monde, l’accentuation de l’alerte climatique est déjà une réalité, avec une fréquence élevée des phénomènes extrêmes, une sérieuse raréfaction des ressources en eau, une baisse de la production agricole, de forte perturbation de la pêche et des différentes formes de désertification des terres. La méditerranée est considérée comme un des points les plus sensibles de ce changement.
Le pire est à venir
Les conséquences dévastatrices du réchauffement sur la nature et l’humanité qui en dépend sont entrain de s’accélérer et seront douloureusement palpables bien avant 2050.
Le message principale du sixième rapport du Giec est alarmant : quelque soit le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre : «la vie sur Terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes. Mais l’humanité ne le peut pas», note ainsi le résumé pour les décideurs de 137 pages de ce rapport.
Avec l'Accord de Paris en 2015, le monde s'est engagé à limiter le réchauffement à +2 °C par rapport à l'ère préindustrielle, si possible +1,5 °C. Désormais, le Giec estime que dépasser +1,5 °C pourrait déjà entraîner «progressivement des conséquences graves, pendant des siècles».
Selon l'Organisation météorologique mondiale, la probabilité que ce seuil de +1,5 °C sur une année soit dépassé dès 2025 atteint déjà 40 %. Le pire est à venir, «avec des implications sur la vie de nos enfants et nos petits-enfants bien plus que sur la nôtre», martèle le Giec.
Le rapport oscille entre un temps apocalyptique et l’espoir offert aux humains de changer leur destin par des mesures immédiates et drastiques. Parmi ses conclusions les plus importantes, figure un abaissement du seuil au-delà duquel le réchauffement peut être considéré comme acceptable.
Des changements déjà irréversibles : l'humanité est mal préparée
Le climat a déjà changé. Alors que la hausse des températures moyennes depuis le milieu du XIXe siècle atteint 1,1 °C, les effets sont déjà graves et seront de plus en plus violents, même si les émissions de CO2 sont freinées. Les êtres vivants - humains ou non - les moins à blâmer pour ces émissions sont, ironiquement, ceux qui en souffriront le plus.
Pour certains animaux et variétés de plantes, il est déjà trop tard. Agriculture, élevage, pêche, aquaculture… «Dans tous les systèmes de production alimentaire, les pertes soudaines s'accroissent», observe le rapport, et les aléas climatiques en sont le «principal moteur».
Or, l'humanité n'est à ce stade pas armée pour faire face à la dégradation certaine de cette situation. La question des changements climatiques et la gestion des risques globaux de manière générale devraient se mettre au cœur des décisions prises pour l’avenir.
«Les niveaux actuels d'adaptation sont insuffisants pour répondre aux futurs risques climatiques», prévient le Giec. Avec un réchauffement de seulement +2 °C, 130 millions pourraient tomber dans la pauvreté extrême d'ici dix ans et 80 millions de personnes supplémentaires auront faim d'ici à 2050.
A cette échéance, des centaines de millions d'habitants de villes côtières seront menacés par des vagues-submersion plus fréquentes, provoquées par hausse du niveau de la mer. A +1,5 °C, dans les villes, 350 millions d'habitants supplémentaires seront exposés aux pénuries d'eau. Ils seront 400 millions à + 2 °C.
Et avec ce demi-degré supplémentaire, 420 millions de personnes de plus seront menacées par des canicules extrêmes. «Les coûts d'adaptation pour l'Afrique devraient augmenter de dizaines de milliards de dollars par an au-delà de +2 °C», prédit le rapport. Encore faut-il trouver cet argent.
Des grands projets pour permettre l’atténuation des effets de ces changements ainsi que des adaptations sont nécessaires mais ils tardent à se mettre en place. La baisse des émissions des gaz à effet de serre devrait être plus forte et le contexte exceptionnel de 2020 avec la crise de covid n’a permis que 5% de baisse des émissions de ces gaz.
Le réchauffement sera aggravé par d'autres activités humaines : pas de remède miracle
Le texte souligne le danger d'effets en cascade. Certaines régions (comme la région méditerranéenne, l’est du Brésil, l’Asie du Sud-est, la Chine centrale) et presque toutes les zones côtières pourraient être frappées par trois ou quatre catastrophes météo simultanées, voire plus : canicule, sécheresse, cyclone, incendies, inondation, maladies transportées par les moustiques…
«Et il faut de surcroît prendre en compte les effets amplificateurs d’autres activités humaines néfastes pour la planète», note le rapport qui cite la destruction des habitats, la surexploitation des ressources, la pollution, la propagation de maladies, etc. Le monde fait face à des défis entremêlés complexes, à moins de les affronter en même temps, nous n'allons en relever aucun. Lire à ce sujet les multiples articles que j’ai publiés sur ce site à ce sujet.
Sans oublier les incertitudes autour des «points de bascule», éléments clefs dont la modification substantielle pourrait entraîner le système climatique vers un changement violent et irrémédiable. Au-delà de +2 °C, la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l'Antarctique de l'Ouest (qui contiennent assez d'eau pour provoquer une hausse du niveau de la mer de 13 mètres) pourrait par exemple entraîner un point de non-retour, selon de récents travaux.
«Chaque fraction d'un degré compte», insiste le Giec, alors qu'un autre point de rupture pourrait voir l'Amazonie, un des poumons de la planète avec les océans, transformée en savane. Face à ces problèmes systémiques, aucun remède miracle unique.
En revanche, une seule action peut avoir des effets positifs en cascade. Par exemple, la conservation et la restauration des mangroves et des forêts sous-marines, qualifiées de puits de « carbone bleu », accroissent le stockage du carbone, mais protègent aussi contre les submersions, tout en fournissant un habitat à de nombreuses espèces et de la nourriture aux populations côtières.
Une note d'espoir : la COP 26 approche
En dépit de ces conclusions alarmantes, le rapport offre une note d'espoir. L'humanité peut encore orienter sa destinée vers un avenir meilleur en prenant aujourd'hui des mesures fortes pour freiner l'emballement de la deuxième moitié du siècle.
«Nous avons besoin d'une transformation radicale des processus et des comportements à tous les niveaux : individus, communautés, entreprises, institutions et gouvernement», plaide le rapport. «Nous devons redéfinir notre mode de vie et de consommation».
Le rapport d'évaluation complet de 4.000 pages a pour vocation d'éclairer les décisions politiques. La publication de ce rapport intervient à moins de 100 jours de la COP26 à Glasgow (Royaume-Uni), en novembre.
Etape cruciale, elle sera l'occasion, comme prévu par l’accord de Paris, de vérifier que les pays ont bien "relevé le niveau d'ambition" de leur stratégie de réduction des émissions de CO2.
L'ONU s'est d'ailleurs récemment inquiétée de ces délais qui ne sont pas respectés. On peut espérer que ce rapport du Giec soit très important dans le monde entier.
Une "piqûre de rappel" nécessaire, alors qu'un rapport publié en février estimait que les effets combinés des nouveaux engagements des pays constitueraient moins de 1% de baisse des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 (comparé à 2010), très loin des 45% nécessaires pour rester sous les 1,5°C, comme le préconise l'accord de Paris. "Les émissions ne cessent d'augmenter, alors qu'il faudrait déjà être sur un plateau".
Avec ce rapport important, le Giec s'apprête à rejouer son rôle principal: fournir aux gouvernements les éléments scientifiques utiles pour "élaborer des politiques dans le domaine du climat", ainsi que des bases pour les négociations lors des COP. "Le rapport du Giec va être adopté par les pays membres. Ainsi, à la COP 26, on ne discutera plus de science, on pourra directement parler de politique climatique."
Professeur Samir Allal
Université de Versailles/ Paris-Saclay
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