Non, le covoiturage n’est pas du transport clandestin et anarchique: A quand une réforme de la législation?
Par Ridha Bergaoui - Pour se rendre au travail, étudier, rendre visite à sa famille ou pour toute autre raison personnelle, le citoyen a besoin de se déplacer. Certains vont à pied, d’autres prennent un taxi individuel ou collectif, louent une voiture ou utilisent les transports en commun. Les plus favorisés disposent de leur voiture personnelle.
Une autre possibilité, tout à fait légale, existe depuis de nombreuses années dans de nombreux pays : le covoiturage. Ce mode de mobilité touche des dizaines de millions d’usagers dans le monde.
Partout, le transport urbain connait une véritable révolution
Partout dans le monde, le transport urbain évolue à grande vitesse pour répondre aux nouveaux enjeux environnementaux, économiques, les exigences des citoyens, les nouvelles technologies… Les possibilités de se déplacer ne cessent de se développer.
Des solutions innovantes de mobilité individuelle sont proposées alliant à la fois praticité, économie, écologie, gain de temps… Vélo, trottinettes, voitures électriques en abonnement (autopartage ou car-sharing) sont mis à disposition du public en libre accès pour assurer une circulation plus facile dans des villes de plus en plus polluées, encombrées et saturées.
La tendance générale est de sortir la voiture personnelle des grandes villes, au profit des modes de transport en commun et individuels propres. Dans le même objectif, le covoiturage est réglementé et encouragé.
Le covoiturage s’insère dans une approche écologique et de partage
Le covoiturage consiste à se déplacer à plusieurs dans une voiture et se partager les frais du voyage (carburant, péage autoroute…). L‘objectif n’est nullement un profit financier et le propriétaire du véhicule ne doit pas en réaliser des bénéfices ou en faire un métier. Des plateformes permettent de mettre en relation le propriétaire et les personnes désirant se rendre au même endroit et organisent le déroulement du voyage. Pour bénéficier du service, il suffit de s’inscrire et de payer sa contribution sur la plateforme. Celle-ci prélève sa commission et verse le reste au propriétaire du véhicule. Les frais de participation sont calculés selon un barème forfaitaire tenant compte de la puissance de la voiture et de la distance parcourue. Internet et les NTIC ont beaucoup facilité la popularité du covoiturage.
Dans de nombreux pays, le covoiturage est tout à fait légal et une pratique très répandue. L’Etat, les collectivités, les administrations et les entreprises encouragent leur personnel à pratiquer le covoiturage surtout domicile-travail. Des subventions aux propriétaires des véhicules sont prévues et les divers organismes disposent d’une plateforme en intranet pour organiser le covoiturage. Des arrêts, points de rendez-vous et des aires de parking dédiées sont aménagés pour faciliter la mise en relation des usagers. Le covoiturage est devenu tellement usuel qu’on parle de démocratisation du covoiturage.
Avantages et inconvénients du covoiturage
La réduction du nombre de voitures en circulation réduit la pollution et le dégagement de CO², gaz à effet de serre. De l’air pollué entraine la multiplication des pathologies respiratoires, allergiques… Le covoiturage permet d’éviter l’encombrement des routes et le nécessaire investissement dans de nouvelles infrastructures routières et de parking.
Au niveau individuel, le covoiturage est économique et entraine la réduction des frais de mobilité. Il permet d’éviter le stress de la conduite aux heures de pointe et de recherche de place de parking. Il permet aussi de faire de nouvelles connaissances. Il conduit à un gain de temps appréciable par rapport aux transports en commun dont les circuits ne correspondent pas toujours avec les besoins du citoyen.
L’inconvénient principal du covoiturage est l’insécurité en voyageant avec des inconnus. Des problèmes d’organisation ou de ponctualité des membres du groupe et la manière de conduire du conducteur peuvent également être reprochés. Enfin il faut s’assurer que le véhicule est bien assuré en cas d’accident.
Ces inconvénients peuvent être facilement évités grâce à une bonne gestion et à des précautions et une certaine vigilance au niveau des plateformes du covoiturage.
En Tunisie, pourquoi le covoiturage est-il une nécessité ?
En Tunisie, le covoiturage payant est officiellement assimilé à du transport clandestin des personnes et est strictement interdit. Seul le covoiturage gratuit est autorisé (loi n° 2004-33 du 19 avril 2004 portant organisation des transports terrestres).
En réalité, le covoiturage existe soit à titre personnel entre amis, copains ou collègues de bureau ou d’une façon indirecte avec de nombreux sites Internet et des pages des réseaux sociaux qui publient fréquemment les annonces des personnes intéressées. Les jeunes (surtout les étudiants) trouvent plus pratique, pour se rendre à la faculté, de faire du covoiturage que de prendre le transport en commun assez contraignant, encombrés et lents. Les autorités font semblant d’ignorer la situation et de ne rien voir.
Le covoiturage présente de nombreux avantages comme exposé précédemment aussi bien au niveau environnemental, individuel, collectif et social. Pour la Tunisie, d’autres arguments peuvent être avancés en faveur du covoiturage :
• Des Infrastructures du transport en commun mal organisées et en très piteux état
• Des sociétés de transports en faillite et disposant de très peu de moyens
• Une infrastructure routière en très mauvais état
• Une pollution de l’air dans les grandes villes de plus en plus inquiétante
• L’augmentation fulgurante du nombre de véhicules en circulation et l’encombrement des routes avec des embouteillages à la longueur de la journée
• Un nombre d’accidents, enregistrés chaque année sur nos routes, très important en raison d’une part d’infrastructures désastreuses et d’autre part d’usagers irrespectueux du code de la route
• Un fort étalement des villes et la création de cités dortoirs mal desservies ce qui implique l’éloignement des lieux de travail par rapport au domicile des habitants.
Le transport en commun ne se développe guère et les grands projets, qui devaient transporter quotidiennement des milliers de personnes et décongestionner nos villes, tardent à se concrétiser. C’est le cas du RFR à Tunis ou le métro de Sfax qui, pour de nombreuses raisons, avancent très lentement depuis la révolution et ont connu de multiples arrêts parfois pour des raisons futiles.
La voiture personnelle (même celle dite populaire et théoriquement accessible à la classe moyenne) coute de plus en plus cher à l’achat, à l’entretien et au fonctionnement face à un pouvoir d’achat du citoyen qui ne cesse de se détériorer.
La Tunisie importe la plus grande partie de sa consommation en énergie (gaz et pétrole). Le prix du pétrole connait une envolée fulgurante et des niveaux jamais atteints (le prix du baril a atteint ces derniers jours 85 dollars US contre seulement 40 dollars, l’année dernière à la même époque). L’Etat est amené à réserver une partie de plus en plus importante de son budget pour la subvention des carburants.
Suite, en grande partie, à la situation déplorable du transport en commun, le tunisien préfère prendre sa voiture personnelle pour se déplacer. Sur nos routes, la plus grande partie des voitures ne comporte que le conducteur. Les gens sont pressés, se bousculent et se faufilent entre les rangs occasionnant des accrochages fréquents et des embouteillages monstres.
Pour toutes ces raisons (environnementales, économiques et financières), le covoiture représente la solution et permet de décongestionner la circulation et de réduire le gaspillage d’énergie et la pollution.
Encourager et réglementer le covoiturage
Le covoiturage n’est pas du transport clandestin, son objectif n’est pas pécunier. Pour ses multiples avantages, il doit être encouragé, reconnu et réglementé. Il s’agit de préciser les droits des usagers, les conditions relatives aux véhicules (assurance, état général, visite technique…) et à l’exercice du covoiturage, le calcul des frais de covoiturage et les sanctions en cas de non respect de la réglementation. Le fonctionnement des plateformes de covoiturage doit être également réglementé pour éviter tout abus et régler les différents litiges. Un contrôle strict, pour éviter tout dérapage, et des sanctions sérieuses aux contrevenants doivent être prévus.
Le covoiture doit être une politique d’Etat. Administrations et employeurs doivent encourager le covoiturage. Celui ci permet aux employés de venir au travail et de rentrer dans de bonne conditions, à l‘heure et sans soucier des problèmes de transport et de parking.
Il serait possible également, pour motiver les gens à pratiquer le covoiturage, de dispenser les conducteurs des frais de circulation (vignette). Des aménagements doivent être prévus (lieux de rencontre des covoitureurs) et un signe distinctif peut être opposé sur le véhicule.
Moyennant certaines précautions (les plateformes de covoiturage doivent prendre le maximum de renseignements lors de l’inscription sur le conducteur, le véhicule et les passagers), le covoiture est un moyen de transport sûr et transparent.
Conclusion
Le covoiturage ne concurrence pas les transports en communs. Il vient en complément aux autres moyens de transport (louages, taxis collectifs et individuels, voiture personnelle, transport en commun…).
Il représente un véritable gisement de mobilité qu’il faut sérieusement considérer pour ses nombreux avantages financiers et environnementaux.
Il faut désormais remplacer la notion de droit à la voiture personnelle au droit à une mobilité dans les conditions optimales. Le covoiturage garantie une mobilité décente.
Le covoiturage réglementé et bien organisé n’a que des avantages pour la collectivité, le citoyen et l’environnement. Il est urgent d’actualiser et mettre à jour notre législation et ne pas se laisser intimider par les lobbys rétrogrades du transport.
Ridha Bergaoui
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