Ali Baklouti: Le Gazetier... de Sfax et du Sud
De sa passion, le journalisme, il avait fait sa raison d’être et de la presse régionale, son devoir. Ali Baklouti, qui vient de nous quitter quelques jours seulement avant de boucler sa 84e année, y a dédié toute son énergie. Fondateur en 1975 du mensuel La Gazette du Sud qui continue à paraître depuis 46 ans, et de son jumeau en langue arabe Chams Al Janoub, lancé en 1980, il a fait acte de résistance. Comment, avec de maigres ressources personnelles et en toute indépendance, maintenir en vie depuis si longtemps deux mensuels, publiés à Sfax, couvrant les gouvernorats du Sud ? C’est ce défi qu’a pu relever Ali Baklouti. Convaincu de la noblesse de sa mission, il s’était échiné à l’accomplir.
Enfant parcourant les ruelles de la médina de Sfax, il aimait s’arrêter devant les devantures des librairies, admirer les livres exposés en vitrine. Poussant ses virées, il allait chez les quelques bouquinistes autour de la grande mosquée, à l’affût des magazines de bande dessinée pour les jeunes, venus d’Egypte. Ali Baklouti se prendra de passion pour la revue Sindabad qui avait créé un club de lecteurs (Nadwa) et s’emploiera à correspondre avec ses membres. Sa vocation est née : calligraphier, dessiner, rédiger...
L’encre en ADN
• Né à Tunis, le 28 janvier 1938
• Instituteur à Gaafour, puis à Sfax
• Correspondant régional du journal L’Action
• Fondateur des mensuels La Gazette du Sud, en 1975 et Chams Al Janoub, en 1980
• Membre du Conseil de la presse
• Chevalier de l’Ordre de la République, 1977
• Officier de l’Ordre du Mérite culturel, 1998
• Chevalier de l’Ordre national du Mérite (France), 1991
Parfaitement bilingue, Ali Baklouti commencera une carrière d’instituteur qui le conduira, d’abord, à Gaafour, avant qu’il ne soit nommé à Sfax. C’était au début des années 1960, dans l’euphorie des premières années de l’indépendance, la naissance de la radio régionale, le foisonnement des activités culturelles et les vives compétitions sportives. Un jeune de son âge, doté d’une belle plume et avide de vivre sa passion journalistique ne pouvait que s’y plaire. Premiers pas : proposer des nouvelles de la vie locale aux quotidiens de la capitale. Le journal L’Action, alors en fulgurante ascension, lui ouvrira rapidement ses colonnes et l’accréditera comme correspondant régional, tant pour le sport que pour l’actualité régionale. Ali Baklouti saura alors se faire apprécier par la rédaction du journal comme les lecteurs par ses articles variés, soignés et bien fournis. Ce succès lui vaudra d’occuper une page hebdomadaire entière paraissant chaque jeudi sous la rubrique de «Page de Sfax». Pour bien la garnir, Ali Baklouti fera appel à de jeunes pousses, identifiées dans la jeunesse scolaire et les clubs de la maison des jeunes, leur prodiguant ses encouragements, relisant leurs articles et les mettant en forme. Une véritable école de jeunes journalistes est ainsi née.
Dans son élan ambitieux, Ali Baklouti ne pouvait se contenter de cette expérience. Son rêve était de fonder son propre journal et de permettre ainsi à Sfax de renouer avec sa longue tradition de presse régionale. Depuis 1891, de premiers journaux commençaient à paraître : Sfax Journal, La cravache (1892), Le Courrier du Sud tunisien (1893) et surtout La Dépêche sfaxienne, fondé le 3 mars 1895 par Jean Revol. Auquel succèderont Alphonse De Ceccatty (1903-1923) puis Emmanuel Scicluna (jusqu’à 1942). Sans oublier La Tunisie nouvelle, fondé le 25 août 1927 par Ahmed Hassine Mehiri et dirigé par Zouhair Ayadi. La presse de langue arabe sera elle aussi abondante et variée: Al Asr Al Jadid (Ahmed Hassine Mehiri), Al Anis (Mohamed Chabchoub), Al Horria (Taher Smaoui) et bien d’autres, pour ne citer que ces titres.
Et Sfax aura, de nouveau, son journal
Ali Baklouti a voulu s’inscrire dans cette lignée. Une étude de projet de création d’un journal à Sfax, entreprise par Riadh Zghal, alors chercheur au bureau régional de l’Institut national de productivité, définira un créneau porteur et esquissera les conditions de réussite. Edifié par ses conclusions, et comptant sur son carnet d’adresses, Ali Baklouti décidera, en 1974, de s’y lancer. Le maire de la ville, Tijani Makni, le gouverneur de la région, Ameur Ghedira, le secrétaire d’Etat à l’Information, Mustapha Masmoudi, assisté par le directeur de l’Information, Mohamed Maghrebi, et d’autres amis et confrères lui apporteront leur encouragement.
Le titre qu’il choisira, La Gazette du Sud, porte en lui-même l’ADN de son journal : un organe en langue française couvrant Sfax et les autres régions du sud tunisien. La périodicité était à fixer entre hebdomadaire, bimensuelle ou mensuelle. Le format devait être tabloïd, mais raisonnablement magazine pour une parution mensuelle. Il ne restait plus qu’à réunir la première équipe et forger un concept éditorial.
Le noyau dur sera formé par les plumes journalistiques disponibles : Rafik Ben Zina, Rachid Ayadi, Mohamed Ksouda, Jamil Chaker, Ali Hammami, Hassouna El Faouzi, etc. Taoufik Habaieb, l’auteur de ces lignes, alors étudiant au CFJ à Paris, était en renfort. Profitant de ses vacances d’hiver, en décembre 1974, il se mettra à contribution pour le lancement du premier numéro. Muni des articles choisis, il sera envoyé à Tunis pour veiller à la saisie des textes, au traitement des images et à la mise en page dans les ateliers de la Sagep. A l’aube du 1er janvier 1975, le premier numéro de La Gazette du Sud sortait de presse.
Un si long chemin
Le plus difficile ne pouvait que commencer. Ali Baklouti portera son journal en sacerdoce. Pendant près d’un demi-siècle. Lancé en mode startup, avant que le concept ne soit établi, le journal devait connaître diverses mutations, imprimeries, périodicité, réussites et difficultés. S’il avait investi la même somme d’argent et la même énergie dans un autre créneau rentable, autre que la presse et plus encore la presse régionale, Ali Baklouti aurait été à la tête d’un grand groupe d’affaires. Mais, fidèle à sa passion, il se consacrera à son œuvre. Ses mérites sont multiples : préserver le patrimoine régional, détecter et promouvoir de jeunes plumes, réunir des auteurs de divers horizons, défendre les causes de la région... Mais aussi et surtout protéger l’indépendance du journal à l’égard du pouvoir, des autorités régionales, des groupes économiques et autres. Une indépendance qui coûte très cher et prive le journal des ressources nécessaires.
Journaliste à la base, Ali Baklouti devait se convertir en chef d’entreprise, une entreprise bien compliquée de par sa vocation. Outre la rédaction, il devait se charger de la collecte des abonnements et de la publicité, de l’impression et de la diffusion, dans un exercice éreintant qui se renouvelle à chaque parution. Comment a-t-il gardé la flamme vive, sans se résigner au sabordage de ses deux magazines ? C’est la force d’Ali Baklouti. Calme, serein, le sourire toujours aux lèvres, l’humour fin, il avait fait de son caractère sa véritable carapace pour accomplir sans relâche sa lourde mission. Avec sa disparition, tout une page se tourne. Son fils, Anis, aura la redoutable tâche d’assurer la relève. Sous une forme ou une autre.
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