L’indépendance de la Tunisie : hommage à la force d’une vision, et dommage à la défaillance d’une démocratie
Par Abdellaziz Ben-Jebria - Il y a 67 ans, le 20 mars 1956, la Tunisie retrouve son indépendance, avec Habib Bourguiba, pour chef du gouvernement, puis président de la république, en juillet 1957.
C’était une date marquante, pour moi comme beaucoup de ma génération villageoise, car elle coïncida avec mon 6ème anniversaire, donc avec notre première année scolaire. Quelle agréable coïncidence et quelle immense chance de commencer, en cette mémorable année, notre éducation générale, dans l’école de notre village, un espace formidable auquel nous restions vitalement attachés, et particulièrement reconnaissants, pour notre imprégnation intellectuelle, notre épanouissement culturel, et nos réussites professionnelles ! C’était en effet dans cette école que nos instituteurs nous dévoilaient des horizons illimités, et qui nous stimulaient à devenir les leaders et les bâtisseurs de cette Tunisie nouvelle qui devait émerger de son sous-développement pour se transformer, à court terme, en un pays en voie de développement, et peut-être à moyen terme, en une nation pleinement développée. C’était notre rêve, et c’était la ferme détermination de Bourguiba.
En cette première année de l’indépendance de notre pays natal, le premier jour d’école fut, pour ma génération, un jour heureux dans notre vie d’écoliers. Et pour cause, quoi de plus agréable que de nous retrouver fraternellement ensemble, pauvres et moins pauvres, infirmes et valides, dans l’école de notre enfance, proprement habillés ce premier jour comme tous les jours d’école. Tous les élèves recevaient gratuitement : livres de lectures, cahiers d’écritures, buvards, ardoises, craie blanche, plumes et porte-plumes qu’on trempait dans l’encre violet remplissant des encriers. Et la plupart des élèves, issus de familles pauvres, mangeaient gratuitement à la cantine de l’école. Nous étions particulièrement fiers, à Ksibet-Sousse, d’accompagner, tous les matins, notre instituteur bien-aimé de chez lui jusqu’à l’école, en portant son lourd cartable plein de nos petits cahiers. Nous l’aimions joyeusement et il nous adorait réciproquement.
En cette année 1956, malgré sa petite superficie qui totalise à peine 164000 km2, la Tunisie est bordée au Nord et à l’Est d’un long littoral méditerranéen avec de beaux rivages et de belles plages qui attirent les vacanciers à la recherche du repos, de la tranquillité et du beau temps. Et malgré la non-abondance de ses ressources naturelles, la Tunisie est un pays agricole avec ses variétés d’arbres fruitiers, ses champs de cultures céréalières, ses oasis de palmeraies, et ses oliveraies dont certaines dataient des carthaginois, et romains ; d’ailleurs ne l’appelait-on pas jadis "le grenier de Rome" ?
Et en cette année 1956, la Tunisie compte à peine 3 millions et demi d’habitants, dont la moitié ont moins de 20 ans. C’était peut-être là où se cachait son plus grand challenge, mais c’était aussi là où résidait sa plus grosse richesse et surtout son plus grand investissement : la jeunesse, oui mais une jeunesse éduquée, assoiffée du savoir, et tournée ambitieusement vers l’avenir. C’était le rêve insoupçonné de Bourguiba.
Mais en cette année 2023, à la veille de ce 67ème anniversaire de l’indépendance, et au moment où la Tunisie vit encore une phase d’incertitude de son histoire politique, j’ai envie de m’évader momentanément, virtuellement, et discrètement, auprès d’Elhabib Bourguiba, peu importe où il est maintenant, pourvu qu’il écouterait mes lamentations et mes reproches sur le sort de "Touness El-Habiba". Je pourrais au moins attiédir les sensations douloureuses du moment, tout en lui intimant dans quel pétrin on est tous fourrés présentement.
Conscient qu’il n’est plus là pour me répondre, je me contente de monologuer, auprès de lui, ma déception, sans retenu, tout en soliloquant l’extase de mon ivresse à laquelle mon esprit se livrait pour revivre les beaux rêves d’une Tunisie contemporaine, belle et paisible, que lui seul aurait pu lui faire éviter ce pétrin du moment qui ne se repétrirait peut-être plus jamais.
Finalement, je me ressaisis, et je m’adresse sobrement et affectueusement à lui, pour lui rendre hommage, tout en lui reprochant amèrement une défaillance, et une seule, qui était pourtant la vraie cause de ce pétrin. Alors je lui dis:
Toi, Bourguiba, le grand visionnaire prévoyant, qui craignais que la croissance de la natalité engendrât l’abondance d’une enfance mal-nourrie et mal-soignée, et entrainât l’accroissement d’une jeunesse sans emploi, tu t’étais attelé sans relâche à mettre en œuvre un programme efficace de contraception préventive et d’accès à l’interruption volontaire de grossesse qui était même en avance sur la loi Veil en France. Et pourtant, il manquait une assurance fondamentale de durabilité institutionnelle. Quel dommage que tu l’as négligée ! Je te le dirais plus bas ce que c’est ?
Toi, Bourguiba, l’illuminé diligent, qui portais l’avenir du pays sur cette même jeunesse, aussi bien féminine que masculine, que tu voulais qu’elle soit laïquement bien éduquée, parce qu’elle était la clé du devenir de la Tunisie moderne, tu t’étais alors attelé à mettre rapidement en œuvre un programme rigoureux d’éducation nationale. C’était du sérieux, car on lui consacrait plus de la moitié du budget de l’Etat ; comme celui du domaine de la santé, où toute la population y avait droit d’accès gratuitement. Et pourtant, il manquait une garantie importante de stabilité politique. Quel dommage que tu l’as délaissée ! Je te le dirais plus bas, ce que c’est ?
Et toi, Bourguiba, le grand pédagogue pragmatique, qui avais su convaincre les pères conservateurs que l’éducation de leurs filles ne pouvait être que bénéfique pour elles, pour leurs familles, et pour le pays, tu t’étais attelé à promulguer, quelques mois après ce jour de l’indépendance, le Code du Statut Personnel (CSP), visant, entre autres, à instaurer les droits de la femme, à établir le mariage civil, et à abolir la polygamie. Et pourtant, il manquait une audace cruciale de permanence sociale. Quel dommage que tu l’as écartée ! Je te le dirais plus bas, ce que c’est ?
Encore toi, Bourguiba, le plus grand visionnaire international, qui étais le seul leader, parmi les autres arabo-musulmans, à proposer un projet raisonnablement viable et perdurable pour l’avenir de la cause palestinienne, lors de ton célèbre discours à Jéricho (Ariha, 1965), en dénonçant l’intransigeance suicidaire de ces mêmes dirigeants arabes moyen-orientaux. L’histoire t’avait donné raison, 28 plus tard. Et pourtant, il manquait toujours cet engagement vital pour une Tunisie paisible. Quel dommage que tu l’as manqué ! Je te le dirais plus bas, ce que c’est ?
Enfin, toi Bourguiba, le penseur prévoyant, qui aimais la Tunisie vertueusement, tu avais su t’entourer, au début, d’intègres collaborateurs compétents. Puis, le temps passait, et le vide se creusait sans l’émergence d’une légitime continuité institutionnelle. Tu t’étais alors laissé rattraper par l’incurable faiblesse de la maladie et de la vieillesse, pour être finalement humilié et confiné par des méchants loups, jusqu’à ta mort. Et la Tunisie était depuis mal-guidée, maltraitée, et totalement déconstruite, par des obscurantistes-ignorants, et des corrompus empiffrant.
Alors pourquoi est-on arrivé là en reculant ? Tout simplement parce que tu ne t’étais pas adonné passionnément à la culture démocratique, et tu n’as peut-être jamais cultivé l’esprit de concurrence politique, le fondement même de la démocratie, la seule assurance d’une durabilité institutionnelle et la seule garantie d’une stabilité politique. Pourtant, toi le pédagogue, le pragmatique, et le convainquant, tu aurais pu instiller progressivement, chaque année, rien que 5% de cette démocratie pour atteindre, au bout de 20 ans, la pleine croisière de 100%. Quel dommage pour la Tunisie que tu avais beaucoup aimée ! Quel dommage pour ceux qui l’aiment toujours ! Mais, il n’est jamais tard pour que la jeunesse-consciente s’éveille et répare l’irréparable.
Abdellaziz Ben-Jebria
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J'aime le combattant suprême et je l'aimerai toujours; Sans sa vision et sans sa politique d'éducation et de santé publique, toute l'élite politique d'aujourd'hui n'aurait pas existé. Le respect que nous vivions lors de nos voyages nous manque par les temps qui courent .Son amour pour la Tunisie n'a pas d'égal. Il consacra sa vie sans prendre conscience que l'âge peut dépasser l'homme et le leader qu'il était. QUe DIEU ait son âme et toute sa miséricorde dans le monde éternel où .il repose.
Le jour où cette jeunesse-consciente mettra de l'ordre dans ses valeurs qu'elles soient politiques, sociales, culturelles, économiques, historiques ou de toute autre nature, alors on pourra dire que cette jeunesse devient consciente et le pays reprendra sa vraie dimension planétaire.