News - 09.06.2023

Le professeur Ahmed Chabchoub fondateur des sciences de l'éducation et de l'apprentissage (issu de la didactique) dans les écoles tunisiennes pendant les années 80 du siècle dernier

Le professeur Ahmed Chabchoub fondateur des sciences de l'éducation et de l'apprentissage (issu de la didactique) dans les écoles tunisiennes pendant les années 80 du siècle dernier

Par Dr M'naouer Nasri - Avant l'arrivée du professeur Ahmed Chabchoub dans le monde scolaire dans les années 80 du siècle dernier, on ne parlait que d'enseignement quand on évoquait le rapport enseignant-élève. Pendant ce temps-là, j'enseignais dans une école primaire et j'assistais à des journées pédagogiques avec tous les maîtres de français enseignant le même niveau scolaire. Il n'y avait aucune mesure de sélection pour assister à ces journées pédagogiques. Les inspecteurs qui n'avaient pas reçu une formation spécifique étaient des anciens maîtres qui étaient reçus dans un concours national apparemment très sélectif. Ils se référaient donc aux programmes officiels et aux manuels. La culture pédagogique dominante était celle de ces documents. On parlait alors de l'enseignement d'une discipline selon les recommandations des programmes officiels et du manuel. Dans les discussions déclenchées par les leçons-modèles, on parlait de l'enseignement mais on n'évoquait pas l'apprentissage. Ce n'était qu'après l'arrivée du professeur Ahmed Chabchoub à l'isefc (Institut Supérieur de l'Éducation et de la Formation Continue) sis au Bardo et la sortie de la première promotion des nouveaux inspecteurs formés à l'isefc en sciences de l'éducation, essentiellement par le professeur Ahmed Chabchoub, que le discours a changé et on a commencé à parler de sociologie et d'économie de l'éducation, de relation éducative, de triangle pédagogique, d'enseignement-apprentissage d'une discipline et de beaucoup d'autres notions issues des sciences de l'éducation et de la didactique.

Dans ce texte, je vais discuter des questions suivantes:

1. Comment se déroulait une séance d’enseignement avant l'arrivée du professeur Ahmed Chabchoub dans l'espace scolaire tunisien?

2. Qu’est-ce-qui caractérise une séance d’enseignement-apprentissage relevant de la didactique générale?

3. Qu'est-ce-que les sciences de l'éducation dans le livre en arabe sur les sciences de l’éducation du professeur Ahmed Chabchoub?

4. Comment peut-on considérer que le professeur Ahmed Chabchoub a fondé les sciences de l'éducation en Tunisie?

5. Qu'est-ce-que le professeur Ahmed Chabchoub a fait pour pouvoir dire qu'il a transformé l'enseignement en enseignement-apprentissage?

6. Peut-on parler d'une petite révolution silencieuse (ou d'une innovation multiple) dans le l'éducation?

Une séance d’enseignement servant de leçon-modèle lors d’une journée pédagogique?

On ne parlait que de l'enseignant et de ce qu'il a fait avec ses élèves lors des journées de formation auxquelles j'assistais avec tous les enseignants de 6ème année français. Il n'y avait aucune mesure prise au niveau de l'inspection de circonscription pour sélectionner les maîtres. Ils étaient tous considérés nécessiteux de la même formation. On se réunissait donc tous ensemble, les novices avec les anciens, et les chevronnés avec ceux qui enseignaient en français ou en 6ème pour la première fois. Après la leçon-modèle que le maître désigné pour la présenter aurait très bien préparé, on commençait la discussion de ce que le maître ou la maîtresse a fait pour progresser dans sa leçon. On n'évoquait pas l'évaluation diagnostique de départ, la prise en considération des acquis des élèves, les interactions horizontales, les activités dans des groupes, la pratique de la métacognition, l'évaluation formative pendant la leçon, les pratiques de différenciation selon les difficultés des élèves, l'évaluation de la maîtrise de la leçon etc. On ne parlait que des activités d'enseignement et si les élèves sont forts ou moyens ou faibles et quelle estimation peut-on garder de la classe en général. Personne ne se souciait des difficultés de tel ou de tel élève. Personne ne se posait la question concernant le rapport de tel élève avec l'enseignant, avec ses camarades et avec la discipline. Un élève ayant des difficultés restait incompris et faussement jugé qu'il ne travaillait pas où qu'il ne s'intéressait pas à la leçon ou qu'il était faible, sans se demander pourquoi, comme s'il s'agissait d'une fatalité.

Qu'est-ce-qui caractérise une séance d'enseignement-apprentissage (issue de la didactique générale)?

Avec les nouveaux inspecteurs formés en sciences de l'éducation pendant les années 80 à l'isefc par le professeur Ahmed Chabchoub, le discours pédagogique lors des journées pédagogiques et pendant les visites de classe a changé. Il y a une nouvelle vision de l'activité scolaire et de l'acte éducatif dans sa totalité. Les nouveaux inspecteurs ayant bénéficié d'un enseignement supérieur en sciences de l'éducation chez un professeur d'un grand renom parlent autrement de l'éducation et du rapport entre l'enseignant et l'élève en classe. L'enseignant n'est plus la source unique du savoir et l'acteur principal dans ce qui se passe en classe. L'élève aussi devient un acteur principal et c'est grâce à lui que le contenu de la leçon s'élabore. Il y'a une participation réelle aux différentes activités et une attention continue de la part de l'enseignant aux difficultés des élèves. Quand un ou plusieurs d'eux sont coincés et n'arrivent pas à comprendre une notion ou à réaliser un exercice, l'enseignant essaie de comprendre la ou les causes et réalise une analyse diagnostique puis une remédiassions qui se termine généralement par l'aplanissement de la difficulté et du retour au flux normal du cours. En ce qui concerne l'élaboration du contenu de la leçon, ce sont les élèves, avec leurs participations, travaillant individuellement ou en groupes, qui le construisent progressivement. L'enseignant intervient pour lancer la discussion, organiser les interventions, construire des groupes, répartir les tâches… Bref, son rôle n'est plus de transmettre un cours étranger à des élèves qui le reçoivent sans avoir participé à sa production. Il devient un facilitateur de l'apprentissage de ses élèves.

Le professeur Ahmed Chabchoub, soucieux de donner aux nouveaux inspecteurs et aux enseignants une référence dans ce nouveau savoir, qu'il a rédigée par ses soins, publie en arabe le livre intitulé "Didactique des disciplines" qui est un ensemble de cours donnés à ses élèves-inspecteurs. Le contenu du livre était influencé par les grands didacticiens français comme Gérard Vergnaud et Yves Chevallard, didacticiens des mathématiques, André Giordan, didacticien de biologie, avec un retour incessant à la psychologie génétique de Jean Piaget pour justifier les apports sur l'enfant.

Pour la diffusion du livre qui était assez volumineux (plus de 300 pages) et dont le prix était bas (5 dinars), le professeur Ahmed Chabchoub comptait sur les inspecteurs qu'il a formés et envoyait par louage à ceux qui acceptent de lui rendre ce service un carton contenant généralement cent exemplaires qu'ils vendent aux enseignants. Personnellement, il m'a offert une copie du livre qu'il m'a envoyée avec le carton.

Qu'est-ce-que les sciences de l'éducation dans le livre en arabe sur les sciences de l’éducation du professeur Ahmed Chabchoub?

En parlant du livre publié en langue arabe et intitulé "Les sciences de l'éducation" dans les années 80 du siècle dernier, je me rappelle un événement très important pour moi. Je me suis inscrit pour la 1ère fois au concours de recrutement d'élèves-inspecteurs. Ce concours m'a semblé intéressant parce qu'il me permettait en cas de succès d'aller à Tunis pour faire des études de trois ans en sciences de l'éducation pour me préparer à l'exercice des fonctions d'inspecteur des écoles primaires. En plus de ça, j'aurai mon salaire comme d'habitude. Je ne pouvais pas me passer du salaire parce que j'étais marié et j'avais pendant ce temps-là deux enfants qui allaient déjà à l'école.

Le professeur Ahmed Chabchoub, a cherché, je ne sais par quel moyen, et a connu les noms et adresses des candidats au concours. Il m'a envoyé une lettre pour susciter l'achat du livre qu'il venait tout juste de publier à ses propres frais et qui était d'après ma connaissance son 1er livre avant même "La didactique des disciplines" qui était sa deuxième publication.

Dans le livre, j'ai découvert pour la première fois de nouvelles approches de l'acte éducatif relevant des différentes sciences de l'éducation. J'aimais beaucoup le livre et je me passionnait pour faire des études supérieures en sciences de l'éducation. L'étude supérieure de la discipline et la situation administrative en tant que bénéficiaire de la formation continue m'intéressaient plus que devenir Inspecteur des écoles primaires.

Et puisque je pratiquais l'écriture littéraire dans des nouvelles, des textes de critique et des poèmes, j'étais admis et j'ai connu le professeur Ahmed Chabchoub.

Dans son livre, comme Gaston Mialaret dans son livre sur les sciences de l'éducation, don't il est influencé, il nous fait découvrir les différentes sciences de l'éducation, et fait accompagner ses propos de textes illustratifs extraits de livres écrits par des auteurs connus dans la branche scientifique en question.

Comment peut-on considérer que le professeur Ahmed Chabchoub a fondé les sciences de l'éducation en Tunisie?

Avant l'arrivée du professeur Ahmed Chabchoub dans l'espace scolaire à travers les inspecteurs qu'il a formés et les livres qu'il a publiés à ses propres frais et mis entre les mains des enseignants, à bas prix, le discours pédagogique favorisait l'enseignement et l'enseignant aux dépens de l'élève qui était considéré comme un récepteur du contenu présenté par le maître. Dans les études et les recherches, on étudiait les facteurs liés à l'enseignement et l'enseignant: processus-produits, facteurs de présage d'un bon enseignement…

En Tunisie, c'est avec le professeur Ahmed Chabchoub que l'image de l'élève et de la relation éducative a changé chez les enseignants, d'abord grâce aux nouveaux inspecteurs formés par le professeur en sciences de l'éducation, et puis par les livres de sciences de l'éducation du professeur qui se sont succédés et qu'il met toujours entre les mains des enseignants dans toute la Tunisie et à un prix bas.

L'argument qui me semble important dans le fait de considérer le professeur Ahmed Chabchoub comme fondateur des sciences de l'éducation en Tunisie réside dans le fait que, les textes pédagogiques étaient indifférenciés. Ils appartenaient à la catégorie pédagogie. On ne les différencie pas. Ce n'est qu'après sa venue dans l'espace éducatif à travers les inspecteurs qu'il a formés, la diffusion de son livre sur les sciences de l'éducation et la culture éducative qui commence à se répandre chez les enseignants, surtout grâce aux facteurs cités, que les textes pédagogiques sont discriminés et répartis en plusieurs catégories représentant chacune une science de l'éducation.

De plus, la Réforme de l'éducation et de l'enseignement de Mohamed Charfi en 1992, ministre de l'éducation pendant ce temps-là, à rendu service au professeur Ahmed Chabchoub qui défendait scientifiquement les mêmes valeurs et diffusait dans ses livres et son enseignement à l'isefc les mêmes notions issues des sciences de l'éducation et de la modernité.

Qu'est-ce-que le professeur Ahmed Chabchoub a fait pour pouvoir dire qu'il a transformé l'enseignement en enseignement-apprentissage?

Dans les classes, depuis l'arrivée des nouveaux inspecteurs formés en sciences de l'éducation et en didactique par le professeur Ahmed Chabchoub pendant les années 80, les pratiques pédagogiques et le statut de l'élève ont changé. Les enseignants ont construit progressivement une nouvelle identité professionnelle qui accorde à l'élève le droit à la discussion, au fait de poser des questions à ses pairs ou au maître, le travail en groupes, la recherche documentaire à la maison, l'exploitation de différents médias textuels et numériques, les jeux organisés, le théâtre et les arts en général… L'élève ne vient plus en classe pour recevoir un contenu qu'il n'a pas participé à son élaboration. L'enseignant doit faire de son mieux pour développer chez les élèves l'autonomie. Il les prépare à la vie qui demande l'autonomie pour être capable de gérer les péripéties rencontrées.

Peut-on parler d'une petite révolution silencieuse (ou d'une innovation multiple) dans le l'éducation?

Certainement, le professeur Ahmed Chabchoub, avec tous ses bienfaits dans l'école publique tunisienne, avait un projet qu'il réalisait en douceur et sans trop de bruit pour éviter la censure politique. Lui, qui était connu par son "apolitisme", savait que ses idées ne convenaient pas beaucoup au pouvoir politique pour avoir facilement un "laissez-passer". Il a donc choisi d'être apolitique et d'éviter les vacarmes pour réaliser son projet innovant qui consistait à moderniser l'école tunisienne et rendre les élèves autonomes et responsables de leur apprentissage.

Conclusion

Je pense qu'en conclusion, il serait bon d'informer le professeur Ahmed Chabchoub dans les cieux que son projet innovant de l'école tunisienne est réalisé avec succès, et que, s'il y a maintenant une rechute de l'école tunisienne, c'est pour des raisons qui le dépassent. Son projet à lui est réalisé comme il voulait et la Tunisie jouissait d’un bon renom en éducation durant les deux dernières décennies du siècle dernier.

M'naouer Nasri
Docteur en sciences de l'éducation
Inspecteur général de l'éducation retraité
Ancien commissaire régional de l'éducation

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