Tunisie - Le choix difficile d’une université: Entre le public et le privé
Par Mohamed Louadi - On raconte dans la mythologie scandinave que le dieu Odin voulait à tout prix acquérir le savoir divin. Il se décida à se rendre près du puits dont l'eau donne ce savoir. Ce puits était gardé par la tête du géant Mimir. Après un long conciliabule Mimir consentit à laisser Odin boire de l'eau à condition qu'il acceptât de sacrifier un de ses yeux. Odin s'arracha l’œil et le jeta dans le puits, but de l'eau de vie et accéda ainsi au savoir total. Si Richard III donna un royaume pour un cheval, et si Odin donna un œil pour le savoir, ne sacrifions pas trop hâtivement l’éducation de nos enfants; la prunelle de nos yeux comme nous disons en arabe.
Voici encore l’époque fatidique de l’année où parents et bacheliers sont le plus victimes de la surinformation et des choix difficiles: quelle filière choisir, quelle université, publique ou privée ? Souvent le choix est dicté par ce qui est offert et non par ce qui est désiré.
C’est là que le débat privé/public rebondit encore une fois dans les conversations, surtout à la lumière de la performance de l’école publique lors du baccalauréat de cette année qui a rendu caduque la croyance que les enseignants qui sont payés au rabais délivrent un enseignement au rabais.
Il existe de tels paradoxes ! Durant la guerre froide et jusqu’aux années 1980 les programmeurs russes, en raison d’embargos sur les technologies informatiques occidentales les plus pointues, étaient obligés de se contenter de machines peu équipées et étaient de ce fait contraints de produire des programmes extrêmement efficients qui fonctionnaient souvent aussi bien, sinon mieux, que les programmes occidentaux et avec bien moins de mémoire, trop chère à l’époque.
Ces performances de l’école secondaire s’étendent-elles à l’université ? Les universités privées valent-elles l’université publique ? L’université publique jouit-elle encore de son aura ? Et face à la grande panoplie d’universités privées en opération, quels critères les parents et les bacheliers doivent-ils considérer ?
Il y a un très grand nombre de critères pour ce faire, mais je crains qu’il n’y en ait un qui ne reçoive pas l’attention qu’il faut.
Ayant enseigné dans les deux systèmes, je sais que la différence n’est pas tant dans la qualité de l’enseignement; ce sont parfois les mêmes enseignants qui livrent les mêmes cours ici et là, eux-mêmes produits de l’université publique. Mais dans la qualité moyenne des étudiants.
La qualité des étudiants, surtout au plan comportemental, est une variable étrange. J’ai plusieurs fois vu des «dernier-de-la-classe» tunisiens se retrouver en tête de liste en France et ailleurs. C’est l’environnement qui fait l’individu. Et tout comme il y a une seule université publique il y a plusieurs universités privées et, partant, s’il y a un seul environnement public il y a plusieurs environnements privés.
Et d’un côté comme de l’autre les règles disciplinaires varient très largement. Bien sûr d’un côté comme de l’autre il y a d’excellents étudiants, issus de familles ayant soigneusement veillé à la bonne éducation de leurs enfants. Et bien sûr d’un côté comme de l’autre il existe souvent un document spécifiant le règlement interne que les étudiants, et parfois leurs parents, doivent signer. Lit-on ce document ?
Ayant enseigné pendant un peu plus de trente ans dans six pays, six universités tunisiennes dont trois privées, il m’est arrivé d’être la victime de comportements très inattendus de la part de certains étudiants.
Je me suis une fois vu insulter par une étudiante ayant le tiers de mon âge sans que l’administration n’ait levé le petit doigt pendant des mois, sans excuses ni de la part de l’étudiante ni de la part de l’établissement jusqu’à ce jour. Cependant, dans une autre université privée la réaction de l’administration à l’encontre d’un étudiant particulièrement insolent avait été immédiate et je n’avais plus jamais revu celui-ci dans mon cours après l’incident.
Je m’enorgueillis de constater que des écarts disciplinaires allant jusqu’à l’insolence extrême ne me sont encore jamais arrivés dans l’université publique où j’ai pourtant passé plus de deux fois plus d’années d’enseignement que dans le privé.
Les parents qui ont passé leur vie à inculquer les valeurs à leur enfant ne voudraient pas voir leurs efforts fondre comme neige au soleil faute de mauvaises fréquentations. Et en plus payer pour ! Il est en effet primordial de s’informer sur la politique de l’université face aux débordements disciplinaires, y compris à l’encontre de leurs amis de classe, pour ne pas voir son enfant, encore à un âge délicat, être trainé dans une direction indésirable. Le règlement intérieur que tout étudiant doit signer à l’entrée n’est qu’une maigre indication car s’il engage l’étudiant(e) il n’engage pas toujours l’université qui l’a pourtant rédigé et qui n’est pas tenue de l’appliquer.
L’université n’a pas le contrôle de la qualité comportementale de l’étudiant à l’entrée. Mais elle est amplement responsable de la qualité comportementale de l’étudiant à la sortie.
A un âge où les valeurs morales ont un autre prix que celui du savoir, que les promesses d’un emploi ou l’assurance d’un troisième cycle à l’étranger, nous ne pouvons dissocier la science de la conscience.
En tant que parent, j’invite ceux qui ont encore le loisir de le faire à réécouter le soliloque de M. Al Pacino dans le film « Le temps d'un week-end », car rien mieux que ce soliloque ne pourrait illustrer mon propos: «il n’y a rien de pire que le spectacle de l’amputation d’un esprit il n’existe aucune prothèse pour ça».
Mes félicitations réitérées aux lauréats du bac et souvenez-vous que vous ne devez pas être faits du bois dont on fait les flutes.
Mohamed Louadi, PhD
Professeur des universités à l’ISG, Université de Tunis
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