Le figuier, un arbre mythique, plein de promesses (Album photos)
Par Ridha Bergaoui - Avec l’olivier, le palmier et la vigne, le figuier est certainement l’un des plus anciens arbres et le plus emblématique de la méditerranée. Introduit en Tunisie depuis des millénaires par les phéniciens, il continue jusqu’à nos jours à nous régaler de ses fruits magiques succulents et délicieux.
Quoique cette année vendue relativement cher, hors portée du consommateur moyen (plus de 10D/kg), son prix et ses bienfaits sont cependant des arguments en faveur du développement et de l’intensification de sa culture. La commercialisation des figues en frais ne pose aucun problème surtout que le consommateur garde une bonne idée des figues, presque naturellement bios, saines et pleines de bienfaits.
Culture et production des figues
Le figuier (Ficus carica L) est cultivé dans de nombreux pays, surtout au pourtour méditerranéen, dans les régions à faible hygrométrie, fort ensoleillement et aux étés chauds et secs. La figue a besoin de beaucoup de soleil pour mûrir, devenir sucrée et goûteuse. On compte actuellement plus de 800 espèces de figuiers. L’arbre adulte peut atteindre jusqu’à 10 m de hauteur et donner des fruits à partir de 4 ans. Le figuier peut produire, jusqu’à 50-60 ans, de 30 à 80 kg/an.
En Tunisie, le figuier a été toujours marginalisé et considéré comme culture traditionnelle, très secondaire. Les données relatives à la superficie, les productions, la commercialisation… sont rares, presque absentes. M. Mars dans un article disponible sur Internet, avance une superficie cultivée en figuier d’environ 30 000 ha (dont 82% en sec). La production pour 1993 se situait à 35 000 tonnes dont plus de la moitié provenait des régions côtières du Sud (Sfax, Gabés et Médenine). En 2018, le Ministère de l’agriculture (DGPA) a estimé la production de figues à 27 340 tonnes provenant principalement des gouvernorats de Béja (3 630 t), Siliana (3 500 t) Gafsa (2 600 t) et Gabes (2 800 t).Il est ainsi possible de dire que la production stagne autour de 30 000 tonnes/an. Le figuier n’a jamais représenté un intérêt stratégique important et n’a bénéficié d’aucune attention particulière. Toutefois on ne peut passer sous silence les efforts déployés par l’association des producteurs de la figue de Djebba (gouvernorat de Béja) pour l’encadrement des producteurs et la promotion de ce produit de terroir qui a obtenu, depuis 2012, la certification AOC (appellation d’origine contrôlé), label de qualité et d’authenticité.
Au niveau international, la production mondiale de figues a été estimée en 2008 à 1,1 million de tonnes avec deux principaux producteurs l’Egypte (304 000 t) et la Turquie (205 000 t). La Turquie est le leader mondial de la figue fraiche. Elle représente le principal producteur et exportateur de figues fraiches avec 64 000 tonnes de figues fraiches exportées.
Symbolique du figuier
Le figuier est un arbre plein de symbolisme. Il représente, en raison du nombre important de fruits produits, l’abondance, la fertilité. Le figuier a été cité dans les trois religions monothéistes. Le coran lui réserve toute une sourate. La Sourate du figuier où Dieu fait un sermon en jurant par le figuier et l’olivier «والتين والزيتون» (sourate 95). Le prophète également a loué les figues et leurs bienfaits pour la santé. Dans les livres saints, Adam et Eve ont dissimulé leur nudité, après la consommation du fruit interdit, derrière des feuilles de figuier.
Le figuier est un arbre exceptionnel, robuste, résistant et prolifique. L’abondance de ses fruits et l’échelonnement de sa fructification en font un aliment à portée de tous. Il a été toujours recherché comme aliment de qualité et sa consommation très appréciée. Le figuier est par ailleurs un élément important de l’équilibre biologique, il représente un abri et une source de nourriture pour beaucoup d’organismes vivants. Sa floraison, sa pollinisation et sa fructification ont toujours suscité étonnement et admiration.
Caprification et formation de la figue
La figue, en réalité, n’est pas un fruit dans le sens botanique du terme. C’est un faux-fruit, un sac charnu tapissé à l’intérieur de centaines de petites fleurs femelles. Certaines variétés sont auto-fertiles et ne nécessitent pas de fécondation et les fruits sont produits par parthénocarpie.
Pour d’autres variétés, les fleurs doivent être fécondées pour se développer et donner un fruit bien charnu et succulent. Ces fleurs emprisonnées à l’intérieur doivent être fécondées par une petite guêpe d’à peine 1 à 2 mm (blastophage), c’est la caprification. Le cycle du blastophage est un peu complexe. L’essentiel est qu’il doit pénétrer par un petit opercule situé à la base du sac pour amener du pollen des fleurs mâles (dhokkar en arabe الذكار) produits sur le figuier sauvage ou caprifiguier. C’est la fécondation des fleurs femelles qui va entrainer le développement du réceptacle qui devient charnu. Ce sont ces petites fleurs qui vont évoluer en petits fruits dont les graines dures sont croquantes sous les dents lors de la consommation de la figue. Pour assurer la caprification, l’agriculteur doit soit amener lui-même des fruits mâles et les déposer sous forme d’un chapelet constitués de 6 ou 8 fruits (contenant les blastophages à l’intérieur) sur l’arbre femelle. L’opération doit être répétée plusieurs fois en fonction de la croissance des fruits et les conditions climatiques. Soit planter des figuiers mâles à l’intérieur du verger à raison d’un arbre pour 20 figuiers femelles.
La caprification est un processus extra ordinaire, presque miraculeux. Elle fait intervenir une certaine guêpe qui doit trouver la figue de la bonne espèce, au bon stade de maturation. Elle doit entrer par le minuscule opercule du bas de la figue immature, perdre ses ailes, féconder les fleurs et mourir.
Intérêt du figuier
Le figuier présente de nombreux avantages:
• Très ancienne culture en Tunisie, depuis les phéniciens
• Rustique et grande capacité d’adaptation, le figuier pousse même sols très pauvres et très rocheux. Il est peu exigent et très tolérant aux conditions climatiques
• Sa multiplication est simple (surtout par bouturage, il est nécessaire toutefois de vérifier l’état sanitaire de l’arbre et s’assurer de la variété)
• La commercialisation des figues ne pose pas de problème, y compris l’export
• Présence de plusieurs variétés en Tunisie et d’un patrimoine très riche et diversifié
• Potentiel de production élevé (jusqu’à 100 kg/arbre/an).
Plusieurs cultivars (des variétés-populations qui n’ont pas fait l’objet de sélection) existent donnant des fruits dont la couleur, la forme et le gout sont différents. Ces cultivars sont nommés en fonction de ces critères ainsi que la région dans laquelle elles sont le plus cultivés. La couleur de la peau peut aller du violet presque noir, au vert plus ou moins foncé en passant par du gris, légèrement violacé. La chair est généralement rosée à rouge. Les variétés de figuiers donnent des figues en général une seule fois par an, de fin juillet à fin septembre. Toutefois, certaines variétés donnent deux récoltes par an. Une première entre juin et juillet et une seconde de fin aout au mois d’octobre. Ce sont des variétés dites bifères. En réalité les premières figues (appelées figues de première récolte, figues de printemps ou figues-fleurs et en arabe bitherبيثر) sont apparues tard l’année dernière mais n’ont pas pu terminer leur développement. Au printemps suivant, ces figues reprennent leur croissance et mûrissent les premières avant les karmous (كرموس).
Bien que le figuier soit résistant au manque d’eau, en raison de ses racines importantes, toutefois les vagues de chaleur, les canicules et le manque de pluies ont un effet négatifs certains sur la production et la productivité du figuier. Les figues peuvent se dessécher et tomber ou peuvent rester de trop petites tailles, difficiles à commercialiser. Afin d’assurer une bonne production de figues de qualité, une irrigation surtout en été lors de la maturation des fruits est nécessaire. Une irrigation en goutte à goutte pilotée par des capteurs permet de garantir des fruits de la bonne taille et homogènes.
La taille du figuier est nécessaire. Une taille légère favorise la production de bither, une taille sévère favorise plutôt la formation du karmous. La cueillette doit se faire lorsque les fruits sont mûrs, tendres, souples, moelleux et parfumés. Une petite goutte de jus à la base de la figue est signe de bonne maturité. La figue mûre est un fruit très délicat qui peut se détériorer facilement surtout avec la chaleur. Sa récolte se fait manuellement très tôt le matin. La manipulation, la mise en caisse des fruits et le transport doivent se faire très délicatement pour ne pas abimer les fruits qui doivent être stockés dans un endroit frais et à l’abri du soleil.
Bienfaits et utilisations des figues
Une bonne figue pèse entre 70 et 100 g. La figue est riche en sucres, en minéraux (fer, magnésium, calcium…), vitamines, fibres… Elle ne contient pas de lipides. C’est un fruit énergétique et tonifiant, qui convient à tous sans restriction. Une figue, fraiche ou séchée, peut être un coupe-faim intéressant au cours de la journée pour retrouver son tonus et son énergie. Pour les athlètes et les sportifs, la figue représente un apport nutritif de grande valeur. Les figues séchées ou chriha (شريحة), conservées dans de l’huile d’olive et consommées avec du pain représentent un excellent aliment associant les bienfaits très connus des figues et ceux de l’huile d’olive. Un petit déjeuner de bsissa aux figues est un excellent plat traditionnel très apprécié et très savoureux. La figue est consommée en frais ou en salade de fruits. Elle peut être utilisée pour garnir des gâteaux, des tartes, des biscuits et autres pâtisseries (les makrouds aux figues, par exemple).
La figue fraiche est un fruit très fragile, très périssable qui se conserver très mal. Elle peut être séchée et consommée le long de l’année. Le séchage traditionnel se fait au soleil. On pratique de plus en plus le séchage moderne dans des locaux équipés de fours et des installations nécessaires pour pratiquer le séchage dans les meilleures conditions sanitaires tout en préservant les qualités nutritionnelles et gustatives des figues.
Les figues peuvent également être transformées en confiture et marmelade. Il est également possible de la distiller pour la fabrication d’une eau de vie. La boukha Tunisienne est une eau de vie de figue très connue fabriquée par des Tunisiens juifs depuis la fin du 19 e siècle. Cette boisson «kasher» titre 36° et se boit comme apéritif ou digestif. Elle sert également à la confection de nombreux cocktails ou parfumer des salades de fruits. Toutefois, il semble qu’on utilise surtout des figues sèches importées de Turquie qu’on fait macérer et fermenter pour les distiller. Les résidus de la distillation des figues peuvent être utilisés pour l’alimentation animale.
Il est possible également de préparer avec les figues, une boisson alternative au café. Dans certains pays, le café des figues est vendu dans le commerce et le consommateur peut en acheter comme alternative originale au café traditionnel. On peut également le préparer facilement chez soi. Il suffit de faire sécher des figues noires bien mûres et les moudre. Cette boisson est très populaire en Argentine et d’autres pays de l’Amérique latine. Elle représente un produit naturel, sain, délicieux qui peut être préparée comme du café normal ou du café soluble en y ajoutant de l’eau et peut être bue chaude ou froide. Elle présente de nombreux avantages:
• Pas d’intolérance à la caféine ni de dépendance
• Gout des figues fraiches, aromatisé, agréable et fruité
• Propriétés antioxydantes
• Taux élevé en fibres, vitamines, minéraux et sucres
• Combat le cholestérol grâce aux antioxydants.
Perspectives en Tunisie
En raison des facultés d’adaptation et de résistance au stress hydrique de cet arbre, et dans un contexte de réchauffement climatique, la culture du figuier mérite plus d’attention surtout qu’aussi bien au niveau national que pour l’exportation, la figue (fraiche ou conservée) est très demandée.
Un effort est nécessaire aussi bien au niveau de la génétique pour le choix des variétés les plus intéressantes qu’au niveau du soutien, de l’encadrement et de l’organisation des agriculteurs, tant au niveau de la production qu’au niveau de la commercialisation. Le développement des modes de production de qualité (AOC, biologique…) permet de mieux valoriser les figues, ces fruits délicats, véritables friandises succulentes, savoureuses et nutritives. L’expérience de la figue AOC de Djebba est très intéressante et mérite d’être reconduite dans de nombreuses régions.
La figue fraiche étant très périssable, le séchage représente un excellent moyen de conservation. Le séchage doit se faire toutefois selon des techniques appropriées et en respect des normes d’hygiène et de salubrité. De nouvelles formes et présentation des figues (figues réhydratées, figues glucosées, préparation à base de figues…) sont préconisées ou peuvent être envisagées.
Il faut admettre que la figue est un produit de niche dont le prix restera relativement élevé en raison essentiellement des frais de la main d’œuvre nécessaire pour la cueillette. Il s’agit de passer plusieurs fois et de cueillir, tôt le matin, délicatement à la main, les fruits les plus mûrs, les manipuler avec beaucoup de précautions pour ne pas les abimer afin qu’ils soient attrayants pour le consommateur. Il est possible toutefois de réduire les couts de production en améliorant la productivité actuellement faible (de 20 à 30 kg de figues/arbre/an) alors que le potentiel pour un figuier bien conduit peut aller jusqu’à 100 kg/an.
La figue peut être un levier de développement intéressant de nombreuses zones enclavées et créer de l’emploi, surtout pour la femme rurale, dans la production, la cueillette, le conditionnement et la transformation de la figue. Elle peut être également être une source d’inspiration pour les jeunes et les startups pour créer et innover.
Ridha Bergaoui
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