Olfa Berrich : Le FMI doit se faire ressusciter, discours et méthodes
Par Dr Olfa Berrich - Depuis sa création en 1944, le FMI a dû s'habituer à se réinventer. Aujourd'hui, le FMI a perdu de son aura et fait face à une grave crise d'identité, jamais connue auparavant. En Tunisie, le FMI n’a plus de crédibilité et son image s’est dépréciée énormément. Il n’y a pas que la Tunisie qui doit réformer ses politiques publiques, le FMI doit aussi revoir ses paradigmes et relaxer ses dogmes et balises de son orthodoxie monétariste. Pourquoi?
Une question d’honneur et de survie de l’organisation. Le FMI est désormais devenu un outil de répression financière (monétaire) et de domination économique, entre les mains des Américains et alliés occidentaux. En Tunisie, comme dans le reste des pays africains, la cote de confiance envers le FMI est au plus faible.
En Tunisie, on n’en a plus confiance
Le sondage WVS (World Value Survey), de 2021 pour la Tunisie indique que le niveau de confiance des Tunisiens envers le FMI est extrêmement faible:
• Trois personnes sur cinq (57%) déclarent qu’ils ne font pas du tout confiance au FMI.
• Une personne sur trois (33%) ne fait pas beaucoup confiance au FMI.
• Et seulement une personne sur dix (10%) fait suffisamment ou totalement confiance au FMI.
Utilisant le même sondage pour d’autres pays, on apprend que l’inconfiance envers le FMI est plus forte en Tunisie qu’ailleurs dans des pays comparables. Deux pays francophones, le Maroc et le Liban, ayant des perceptions fort différentes envers le FMI, comparativement à la Tunisie. Ce même sondage a montré qu’au Maroc:
• 21% des Marocains ne font pas du tout confiance envers le FMI (57% en Tunisie).
• 51% ne font pas beaucoup confiance envers le FMI (33% en Tunisie).
• 24% font suffisamment ou une confiance totale envers le FMI (10% en Tunisie).
Deux ans après son indépendance, en 1958, la Tunisie a rejoint le Fonds Monétaire internationale (FMI) et a eu recours à l’assistance financière du FMI. En 1964, pour la première fois la Tunisie a bénéficié d’un prêt FMI de 14 millions de $, assorti d’une dévaluation du taux de change du dinar de 20% (face au dollar). En 1986, en 2013 et en 2016, la même recette : des prêts contre dévaluation du dinar de 20 à 25%.
En 1958, le valait presque 3 dollars américains, aujourd’hui il faut plus que 3 dinars pour obtenir un seul dollar.
Le FMI, dont les rencontres annuelles de l’automne ont débuté hier à Marrakech n’impressionne plus, tellement ses recommandations et ses promesses de financement sont devenues anachroniques et génératrices d’effets pervers indéniables, alors que tous s’attendaient à ce que les rencontres de Marrakech apportent du nouveau en matière de restructuration du FMI.
Perte de repères et perte de moyens
Le FMI devrait fournir un filet de sécurité financière aux pays en détresse. Pourtant, bien que le monde pauvre soit en proie à la pire crise de la dette depuis des décennies, le FMI semble de plus en plus réticent, se refusant de prêter pour venir en aide aux peuples et pays en détresse.
Pourtant, le FMI dispose de centaines de milliards de dollars de réserve, de puissance de feu monétaire. Il a demandé plus à ses membres, de l’argent à imprimer et à prêter, contre dévaluation des monnaies des pays dans le besoin.
Depuis le début de la pandémie, le portefeuille de prêts du FMI a augmenté d'un maigre 51 milliards de dollars. Le fonds est paralysé parce qu'il s'agit d'une institution multilatérale qui aspire à dominer le monde entier, tout en étant un club contrôlé par l'Amérique et ses alliés occidentaux.
Cela a fonctionné lorsque l'Amérique était la puissance dominante du monde et avait l'intention de poursuivre l'internationalisme libéral.
Déglobalisation et reconfiguration des rapports de force
Maintenant, la Chine essaie de construire un ordre alternatif et l'Amérique se tourne vers l'intérieur, et ne peut plus tout faire. À moins que le FMI n'agisse rapidement pour se restructurer, sa capacité à effectuer son travail de prêteur de crise sera remise en question.
À ses débuts, le rôle principal du FMI était de promouvoir un commerce équilibré et de gérer le système de taux de change fixes de Bretton Woods. Ce n'est que lorsque ces arrangements se sont effondrés qu'il s'est concentré sur une autre de ses missions : fournir de l'argent d'urgence, assorti de conditions, aux pays en crise.
À partir des années 1980, et en particulier pendant la crise financière asiatique de 1997, le FMI s’est raidi et devenu inflexible dans ses paradigmes prônant à tout va, la même l'orthodoxie économique.
Dans les années 2010, le FMI a révisé certains de ses dogmes sur l'austérité et le contrôle des capitaux, et a essayé de promouvoir son côté plus doux. Aujourd'hui, le rôle du FMI en tant que prêteur de dernier recours est sensiblement réduit et moins réussi. De nombreux grands marchés émergents ont amassé de grandes quantités de réserves de change pour se prémunir contre les crises monétaires. Environ 30 % de l'encours des prêts du fonds sont allés à un seul emprunteur, l'Argentine.
Désespoir des pays en crise
Le FMI a aussi prêté fortement pour des pays comme l’Ukraine, l'Égypte et le Pakistan, qui sont stratégiquement importants pour l'Amérique. Mais ceux-ci ont négligé les réformes.
Le fonds exhorte le Pakistan à restructurer sa taxe de vente depuis au moins 1997. Et le FMI n'est plus le seul prêteur de crise. Les pays du Golfe, y compris l'Arabie saoudite, offrent maintenant des liquidités d'urgence, souvent en utilisant des méthodes obscures, par exemple en déposant de l'argent à la banque centrale de l'emprunteur. Le principal problème est que la Chine est devenue un grand créancier des pays les plus pauvres, dont les besoins sont faibles, mais urgents.
La hausse des taux d'intérêt et la pandémie ont laissé au moins 21 pays en totale fragilité, entre ciel et terre! Totalement exposé au défaut de paiement ou cherchant péniblement à restructurer leur dette, et beaucoup d'autres semblent fragiles. Le FMI ouvre les portes aux fonds vautours, pour hypothéquer davantage l’avenir de ces pays surendettés.
L’ordre mondial en gestation
Pourtant, la Chine hésite à participer à la réduction de la dette, en partie parce qu'elle s'oppose à ce que le FMI ne supporte pas sa part des pertes - une garantie vitale pour un prêteur de dernier recours.
Le FMI n'a pas supervisé une seule opération d’allègement de la dette impliquant la Chine depuis le début de la crise du surendettement. Sans eux, les finances des pays pourraient ne pas être viables même si les créanciers sont remboursés. L'Amérique s'inquiète du fait que certains fonds du FMI peuvent finir dans la poche de la Chine, en cas de restructuration d’une dette de plus en plus opaque et peu transparente.
Bien que de nombreux prêts aient été approuvés, la plupart sont censés être subordonnés à une restructuration qui n'a pas été convenue - une grande partie de l'argent destiné au Suriname, par exemple, est dans les limbes depuis plus d'un an. Idem pour la Tunisie, un accord de principe signé depuis un an, pour un montant de 1,9 millard de $, attend toujours le feu vert des lobbyistes américains.
Comme le FMI patauge de plus en plus, la Chine a augmenté ses propres prêts d'urgence aux pays africains. D’énormes sommes, qualifiés de facto le Club de Paris.
Ensemble, ces tendances risquent de mettre le FMI hors-jeu, tout comme une autre institution mondiale, l'organisation mondiale du commerce, qui a également été saboté, cette fois par l'Amérique.
Avec le gel des négociations sur la dette, le FMI évoque de nouveaux objectifs, tels que les prêts pour aider à lutter contre le changement climatique. Cela a provoqué une guerre de territoire avec la Banque mondiale, qui est mieux adaptée au financement de projets climatiques.
Le FMI n'a pas besoin d'une nouvelle mission. Il a besoin de la capacité de s'en prendre à lui-même pour ressusciter de ses décombres.
Pour certains, la solution est qu'il arrête de s'aligner aveuglément sur les intérêts de l'Occident, et du G7 particulièrement.
Il doit se défaire de ses démons, de ses diktats alignés par les dogmes monétaristes surannés. Le FMI doit cesser d’être un bâton entre les mains des Occidentaux, pour taper sur les pays appauvris par la dette, mais qui recèlent d’immenses ressources naturelles, incontournables pour l’avenir.
L’Afrique en est un exemple patent, une victime éternelle de ces diktats hégémoniques et non fondés sur les évidences. Le FMI est réfractaire aux évaluations scientifiques de ses politiques monétaires et de leurs impacts sur le niveau de vie, le bien-être des pays se trouvant à sa merci.
Le FMI est désormais tributaire du bon vouloir de la Chine. Et pas pour rien, la directrice générale du FMI fait la navette entre Washington et Pékin, pour discuter et trouver des compromis, et à défaut des compromissions. Mais même si le discours autour de la réforme du FMI était crédible, ce serait une erreur de le prendre pour acquis et argent comptant. Il faut vérifier sur pièce.
Non seulement, ce serait contraire à l'esprit de la mission du FMI, mais si les pays appauvris sont forcés de faire un choix une fois pour toutes, entre les sphères financières et bailleurs de fonds, certains pourraient bien choisir la Chine et les BRICS pour se financer et transiger au sujet des projets de développement.
En attendant, le FMI est désavoué par un grand nombre de pays endettés. Il ne peut pas obliger les emprunteurs à suspendre les paiements de leurs dettes envers la Chine ou vers la Russie, ou vers les pays du golfe persique.
Les gouverneurs du FMI savent qu’ils ne peuvent plus faire comme avant. L’Afrique n’en veut plus de ces diktats passe-partout sans modulations et sans évaluation d’impacts.
Bien que le FMI ne doive pas se fermer dans ses dogmes hégémoniques, il pourra se remettre en cause et se réformer de l’intérieur, le plutôt, le mieux ce sera.
Aider les pays en crise, solutionner les enjeux de la dette, sont devenues des enjeux beaucoup plus difficiles et moins glamour qu'auparavant. Mais c'est toujours essentiel de se remettre en question pour s’adapter et se faire ressusciter.
Dr Olfa Berrich
Économiste, universitaire au Canada
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