Jean-Pierre Elkabbach: Oran, Paris, Tunis…
Un destin de grand journaliste! Jean-Pierre Elkabbach, décédé début octobre dernier, à l’âge de 86 ans, aura pleinement épousé son destin. Rares sont ceux qui comme lui ont traversé dans tous les sens la Ve République en France, interrogeant ses principaux acteurs, mettant sur le gril présidents de la République, Premiers ministres, et autres figures significatives. Subissant parfois leur ire, esquivant leurs mauvaises passes…
Journaliste coriace, traquant l’information, «obsédé» par les exclusivités, il avait élargi son rayon à l’actualité internationale et à ses faiseurs. C’est alors tout naturellement que la Tunisie capte son attention dès le vendredi 14 janvier 2011. Dimanche 16 janvier, il débarquait à Tunis pour recueillir à chaud pour Europe 1 la première interview du Premier ministre, Mohamed Ghannouchi. Il en fera un grand scoop international. Ravi, Elkabbach en suivait les retombées dans les dépêches des agences de presse, reprises un peu partout dans le monde, en différentes langues. C’était là sa grande satisfaction.«Alors ! Dis-moi ! Comment tu va titrer la reprise de l’interview», interrogeait-il sans cesse ses proches confrères. «Alors! Dis-moi! l’AFP a repris ? Combien de dépêches ? Montre-moi !», demandait-il. C’était ça aussi Elkabbach, constamment sur la brèche, avant, pendant et après.
Garder le contact et la distance: un équilibre très difficile
Jean-Pierre Elkabbach, cet enfant d’Oran, orphelin de père alors qu’il était très jeune, avait quitté son Algérie natale dès l’obtention du baccalauréat, pour « monter » à Paris, poursuivre ses études à Science Po. Sa fibre de journaliste se confirmera et sa passion pour ce métier sera affinée au fil des ans, portée certes par un grand talent, mais aussi et surtout par une édifiante capacité de travail. JPE ne vivait que pour la traque continue de l’information, les grandes interviews qu’il recueillait, les débats contradictoires qu’il menait. Depuis ses premiers pas à l’Ortf, au sein de France Inter, passant ensuite à Europe 1, dirigeant longtemps la rédaction de France 2, présidant France Télévision, revenant à Europe 1, puis allant à CNews, Elkabbach «a voulu être une référence, quand on lui reprochait ses révérences », comme dira de lui le président Emmanuel Macron.
Dans une longue carrière de journaliste comme celle de JPE, il n’est guère facile de garder le contact avec les décisionnaires tout en gardant la distance nécessaire. Combien de fois, Elkabbach avait-il payé de cette proximité qui lui avait valu la disgrâce de revanchards ? Au lendemain de l’échec de Valéry Giscard d’Estaing à sa propre réélection, en 1981, et la victoire de François Mitterrand, il connaîtra une longue traversée du désert. Mitterrand le remettra en selle. Et c’est à lui qu’il accordera en 1994, quelques mois seulement avant sa mort en 1996, une longue interview qui fera date.
La Tunisie, si proche
Jean-Pierre Elkabbach savait prendre rendez-vous avec l’Histoire et ses figures. La Tunisie le passionnait. Il y comptait beaucoup d’amis et de fidèles auditeurs et téléspectateurs. Découvreur de talents, il portera son attention et tout son soutien professionnel à Sonia Mabrouk, aujourd’hui journaliste vedette à Europe 1 et CNews. Comme il l’avait fait pour Léa Salamé ou Nagui.
Le lien avec la Tunisie sera sans cesse entretenu. Elkabbach se rendra plusieurs fois à Tunis pour interviewer Béji Caïd Essebsi. L’amitié qui les liait était déjà ancienne, mais le rôle joué par BCE après le 14 janvier viendra offrir de nouvelles opportunités d’interviews. JPE le rencontrera souvent chez lui, et l’interviewera au Palais de Carthage, ou encore au Musée du Bardo, juste au lendemain de l’attentat du 18 mars 2016. S’intéressant au mouvement Ennahdha, il interrogera son chef, Rached Ghannouchi, sur la nouvelle Constitution alors en gestation. A Paris, il recevra dans les studios d’Europe 1 Mehdi Jomaa, alors chef du gouvernement…Une exigence continue
Une voix porteuse, une question ciselée, et la réplique instantanée: c’était la marque de fabrique de Jean-Pierre Elkabbach. Travailleur irréductible, il ne se lassait jamais de s’informer, lire, écrire ses fiches, les réécrire, surligner au fluo, en différentes couleurs. Il était habité par le sens de la densité, de la concision, et de l’information à arracher, toujours à la recherche de la phrase qui fait mouche… Colérique par moments, toujours affectueux, fidèle en amitié, JPE avait gardé son âme oranaise, bien trempée dans la Méditerranée, cultivant sans cesse sa détermination à réussir.Le bâtiment principal de France Télévision, dans le XVe arrondissement de Paris, portera désormais le nom de La Maison de Jean-Pierre Elkabbach. C’est non seulement inscrire son parcours, mais aussi rappeler combien le métier de journaliste est toujours exigeant, parfois controversé, mais immensément marqueur de société.
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