News - 28.11.2023

Mohamed Jaoua présente ce vendredi à Paris ses mémoires : la post-face d’Elyès Jouini

Mohamed Jaoua présente ce vendredi à Paris ses mémoires : la post-face d’Elyès Jouini

ATUGE France organise ce vendredi 1er décembre à la Fondation de la Maison de Tunisie à Paris, une rencontre avec le mathématicien Mohamed Jaoua, à l'occasion de la sortie de son livre de mémoires "Destin de Sta' : un mathématicien entre deux siècles". Cette rencontre qui se tiendra à partir de 18h30 sera modérée par Élyes Jouini et suivie d’une séance de dédicace.

Mohamed Jaoua est notamment fondateur de l'institut préparatoire aux études scientifiques et techniques IPEST et de l'Ecole polytechnique de Tunisie.

Ci-après le texte de la post-face de ces mémoires, rédigée par Elyès jouini.

Plonger dans Mémoires d’un Sta’ de Mohamed Jaoua, c’est se trouver emporté dans un tourbillon d’événements où l’histoire et le parcours personnels croisent les événements qui ont jalonné l’histoire contemporaine de la Tunisie, des lendemains de l’indépendance à nos jours en passant par le 26 janvier 1978, le 3 janvier 1984, le 7 novembre 1987 ou le 14 janvier 2011.

Mais c’est le propre des mémoires, me diriez-vous ? Oui, j’en conviens, mais Mohamed Jaoua traverse cette période en intellectuel engagé. Engagé, car il est acteur de cette histoire, impliqué tant dans l’action syndicale et partisane que – dans le champ qui est le sien, celui de l’enseignement supérieur – dans la construction institutionnelle. Intellectuel, car il jette sur chaque événement, sur chaque étape, sur chaque péripétie, le regard de celui qui dissèque et analyse, avec recul, hauteur de vue et ouverture d’esprit.

Et si ces explications ne suffisaient pas à justifier cette sensation de tourbillon, alors je dirais que l’alternance entre textes récents et textes plus anciens est très certainement l’une des sources, voire la source principale, de ce vertige. Mohamed Jaoua nous retrace, en effet, son parcours, selon un texte linéaire mais régulièrement entrecoupé de textes plus anciens, pour certains déjà publiés, et qui constituent autant d’instantanés. Ce qui a décanté alterne avec ce qui est pris sur le vif et les deux se complètent, s’enrichissent et se percutent aussi.

«Rien n’est plus difficile pour chacun d’entre nous que de situer ce qu’il a fait et de se situer soi-même. On rafistole et reconstruit au moins autant qu’on se souvient et souvent beaucoup plus», écrivait Jean d’Ormesson. C’est sans doute cette reconstruction, cette possible infidélité au réel, incompatible avec l’honnêteté intellectuelle qui le caractérise, que Mohamed Jaoua a voulu éviter, en posant ses textes passés comme autant de balises, de garde-fous à cet exercice de mémoire.

Ainsi, en mêlant le continu et le discontinu, le linéaire et le non-linéaire, en mettant en lumière les bifurcations, ces moments clés où l’histoire hésite entre deux trajectoires, où un événement marginal tranche entre ce qui est et ce qui aurait pu être, Mohamed Jaoua insuffle dans l’écriture des ressorts qu’il a étudiés de près dans un tout autre champ, celui des mathématiques appliquées.

Et sans doute n’est-ce pas un hasard si mathématique et littérature sont ainsi mises en écho lorsque l’on sait que Mohamed Jaoua a toujours veillé à cultiver en lui la passion pour les mathématiques, au cœur de son métier, et un éveil permanent à la culture, à toutes les cultures. Et sans doute n’est-ce pas un hasard également s’il a personnellement veillé à ce que la formation des futurs ingénieurs, tant à l’IPEST qu’à l’EPT, ne se limite pas aux disciplines scientifiques mais qu’elle soit ouverte au cinéma, à la littérature, au théâtre, etc.

Et sa boussole en la matière a toujours été, comme il l’écrit, «faire ce qui vous plaît, en dépit des convenances et des diktats du moment, est le meilleur moyen de mener votre vie en y prenant du plaisir.»

Je l’ai dit en introduction, en racontant son histoire, Mohamed Jaoua nous raconte l’histoire récente de la Tunisie. Mais il nous raconte, en parallèle, deux autres histoires.

Il nous raconte l’histoire des mathématiques appliquées, cette branche des mathématiques qui a pris son plein essor après la Seconde Guerre mondiale et dont Jacques-Louis Lions est l’un des pères fondateurs en France. Au sein des mathématiques appliquées, le calcul scientifique s’est développé en parallèle avec les capacités de calcul des ordinateurs, et Mohamed Jaoua a vécu de près cette période charnière où la croissance exponentielle de ces dernières a été concomitante au développement de techniques mathématiques et algorithmiques toujours plus performantes. Là encore, il en a été acteur bien plus qu’observateur et il me suffit de mentionner à cet égard, outre ses nombreuses publications mathématiques inaccessibles au commun des mortels, le Centre de calcul al Khawarizmi qu’il a dirigé et qui, à son arrivée, disposait d’une capacité de mémoire de 4 méga-octets !

Au cours de sa navigation sur l’océan des mathématiques appliquées, Mohamed Jaoua a côtoyé les plus grands, Lions mais également Bahri, Baouendi, Grisvard, Nédelec, Raviart et d’autres encore. Et il a été, aux côtés de Ahmed Friâa, l’un des pères fondateurs des mathématiques appliquées en Tunisie : du département de mathématiques appliquées au DEA puis au LAMSIN, il a été de tous les combats, contribuant à faire accoucher l’université tunisienne – au forceps – d’institutions qui lui ont valu une reconnaissance internationale incarnée notamment par la Chaire UNESCO «Mathématiques et développement» ou par le statut de pôle d’excellence régional AUF.

Et à chaque combat, il a dû remobiliser les énergies, reprendre les choses à leur début, convaincre sans cesse des interlocuteurs nouveaux. Mais plutôt que Sisyphe, je parlerais plutôt de l’éternel retour du même nietzschéen. Mener sa vie de sorte que l’on puisse souhaiter qu’elle se répète éternellement, c’est un peu ce que nous donne à voir Mohamed Jaoua dans ses mémoires. Et son éternel retour est aussi bien retour au combat que retour au sens géographique, un «retour définitif» sans cesse renouvelé avec la Tunisie comme point fixe et le reste du monde comme aire de jeu et de régénération.

Pour terminer, je me permets de partager avec les lecteurs une anecdote personnelle. Je garde très présent à l’esprit ce jour où, à la suite d’une réussite dont les journaux s’étaient fait l’écho, j’ai reçu une lettre cosignée par Ahmed Friâa et Mohamed Jaoua, me félicitant pour cette réussite et m’offrant à cette occasion un abonnement aux Annales de l’ENIT. Les querelles d’ego étaient alors au cœur de la dynamique universitaire en Tunisie et la démarche de Ahmed Friâa et de Mohamed Jaoua tranchait radicalement avec ce climat général mortifère.

Cette ouverture à l’autre, ce talent de rassembleur, alliés à une capacité à identifier les compétences et à les mobiliser au service de projets ambitieux constituent, à n’en pas douter, des marqueurs forts du tempérament de Mohamed Jaoua.

Sans cela, point de département de mathématiques appliquées, point de LAMSIN, point d’IPEST ni d’EPT, point d’ESPRIT…car – in fine – l’histoire que nous raconte Mohamed Jaoua n’est-elle pas surtout celle d’un bâtisseur… un Sta’ !

Un Sta’ passionné…mais à la passion lucide et réfléchie.

Elyès Jouini

Agrégé de mathématiques,
docteur en sciences mathématiques,
professeur à l’Université Paris Dauphine,
administrateur de l’Institut universitaire de France

Destin de Sta’, Un mathématicien entre deux siècles
de Mohamed Jaoua
Editions Leaders, novembre 2023, 396 pages, 40 DT
En librairies et sur www.leadersbooks.com.tn    

Lire aussi

Les mémoires de Mohamed Jaoua: Destin de Sta'
 

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
0 Commentaires
X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.